L’astrophysicien Hubert Reeves est mort

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Le plus populaire des astrophysiciens, Hubert Reeves, fervent défenseur de l’environnement, s’est éteint ce 13 octobre à l’âge de 91 ans.

Si l’astrophysique rayonne aujourd’hui bien au-delà des frontières du monde scientifique, il est loin d’y être étranger. Barbe blanche de druide, regard bleu brillant et voix douce roulant des « r », Hubert Reeves savait conter la vie des étoiles et du cosmos comme personne. Vulgarisateur scientifique de talent mais également ardent défenseur de la nature, le célèbre astrophysicien s’est éteint à Paris ce vendredi à l’âge de 91 ans. La nouvelle a été annoncée sur Facebook par son fils Benoit : « Toute ma famille se joint à moi dans la douleur de devoir vous annoncer que notre cher père est parti rejoindre les étoiles. »

Né le 13 juillet 1932 à Montréal, au Québec, le petit Hubert grandit entre un appartement de la grande ville canadienne et une maison familiale sur les bords du lac Saint-Louis, à Bellevue. Là, à la campagne, ses parents lui transmettent une forme de vénération pour la nature. Sa mère, la très catholique Marie Manon Beaupré, invite ses enfants à savourer le divin spectacle du coucher du soleil, tandis que son père, Joseph-Aimé Reeves, représentant de commerce d’ordinaire plutôt froid, les initie très tôt à l’observation des splendeurs du ciel nocturne.

C’est d’ailleurs dans le grenier de cette résidence de vacances qu’un livre abandonné – D’où venons-nous, signé l’Abbé Moreux – suscite la vocation du jeune Hubert. Sur la couverture, un homme observe la galaxie d’Andromède… Quant à sa culture scientifique, le jeune homme la doit, en premier lieu, à un très bon ami de sa famille, un moine trappiste répondant au nom de Louis-Marie, qui n’est autre que le premier amour de sa mère. Et, pour ce qui est d’apprendre à raconter des histoires, Hubert Reeves a aussi dans son entourage une conteuse hors pair, sa grand-mère Charlotte, qui attire à elle tous les enfants du village et dont il a, de toute évidence, hérité les talents.

L’astrophysicien des atomes

Très vite, Hubert Reeves s’oriente donc vers les sciences : des études de physique d’abord à Montréal, puis un doctorat d’astrophysique nucléaire au sein de la prestigieuse université Cornell, située dans l’État de New York, aux États-Unis. Là, il côtoie les plus grands physiciens de l’époque, tel Philip Morrison, Hans Bethe, Richard Feynman, Fred Hoyle ou encore Edwin Salpeter. En 1960, après une thèse portant sur les réactions thermonucléaires qui animent les étoiles géantes rouges, le jeune chercheur, qui entame tout juste une carrière d’enseignant en physique à l’université de Montréal, est embauché comme conseiller scientifique à la Nasa où il passe quatre années bénies.

Durant cette période, il rédige, à destination des astronautes, un rapport sur les sources d’énergie stellaires. Un document largement diffusé qui lui confère une première notoriété. C’est alors qu’il envisage d’approfondir ses travaux sur l’origine de certains éléments légers de l’univers (autrement dit des noyaux atomiques ayant un faible nombre de protons) : le lithium, le béryllium et le bore. Des recherches qui nécessitent d’effectuer de très nombreuses mesures. Or, outre-Atlantique, aucun laboratoire n’accepte de l’accueillir. Le système américain exige des résultats rapides et la tâche qu’Hubert Reeves s’est assignée est de bien trop longue haleine.

En 1964, l’université libre de Bruxelles lui permet alors de venir travailler en son sein en tant qu’invité. Un an plus tard, en 1965, c’est le CNRS qui lui propose un poste de chercheur à Paris, où il devient également conseiller scientifique au Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Hubert Reeves s’installe alors définitivement en France, tout en demeurant professeur associé à l’université de Montréal.

Vulgarisateur de talent

Auteur d’une bonne centaine d’articles scientifiques, sa spécialité est l’astrophysique nucléaire, une branche de la discipline qui s’intéresse aux phénomènes astrophysiques ayant une forte implication de processus nucléaires comme la synthèse des atomes des éléments chimiques, juste après le Big Bang – nucléosynthèse primordiale – ou, plus tard, dans les étoiles – nucléosynthèse stellaire – et par le rayonnement cosmique. On lui doit notamment d’importants travaux sur l’origine des éléments légers comme l’hélium, le deutérium ou le lithium. Mais, malgré ses succès professionnels, sans doute aussi parce qu’ils ont fini par avoir raison de son mariage avec Francine Brunel-Reeves, la mère de ses quatre enfants, le scientifique traverse une profonde période de doute qui le conduit à repenser le sens qu’il souhaite donner à son existence. Musique classique, poésie, philosophie, nature, l’astrophysique est loin d’être sa seule passion.

À présent, ce qu’il souhaite, c’est parvenir à partager son savoir avec le plus grand nombre. C’est alors qu’il se lance dans l’écriture d’un premier ouvrage de vulgarisation scientifique. Refusé par trente éditeurs qui considèrent que l’histoire du Cosmos et des étoiles n’intéressera personne, ce livre intitulé Patience dans l’azur aurait pu finir dans le grenier de sa chère ferme de Malicorne, la propriété bourguignonne qu’il a acquise avec sa seconde épouse, Camille Scoffier-Reeves, et où il s’est créé son propre arboretum. Mais, grâce au physicien Jean-Marc Lévy-Leblond, qui lance à cette époque une collection Science Ouverte aux éditions du Seuil, et qui accepte d’y intégrer l’ouvrage finalement publié en 1981, c’est, contre toute attente, un vrai succès mondial qui vaut à son auteur, l’année suivante, le Prix de la Fondation de France. Hubert Reeves entame alors comme une seconde carrière, celle d’un vulgarisateur scientifique de talent. Livres, radio, télévision, conférences et manifestations astronomiques destinées au grand public font de lui un des rares scientifiques populaires. Une aura dont il décide de se servir pour passer d’autres messages qui lui tiennent à cœur.

Militant écologiste

À l’aube des années 2000, Hubert Reeves, très frappé par la pollution du fleuve Saint-Laurent au Québec, s’engage pour la défense de l’environnement et, en particulier, de la biodiversité. Pour lui, grand-père soucieux de l’avenir de ses petits-enfants (huit au total), c’est un combat pour la survie de l’espèce humaine en qui, sans en nier les vices, il conserve une foi presque inébranlable. L’astrophysicien, convaincu qu’ôter la vie par plaisir est une barbarie, milite au sein du Rassemblement des opposants à la chasse pour la préservation de la faune sauvage (ROC – devenue par la suite ligue ROC, puis Humanité et Biodiversité) de Théodore Monod auquel il succède, comme président, après son décès, en 2001. Sous sa houlette, l’association participe au Grenelle de l’environnement, intervient, auprès du président Nicolas Sarkozy, pour empêcher la création d’une mine d’or polluante dans un parc naturel en Guyane ou s’oppose à la création d’un Club Med sur une presqu’île marocaine où vivent les derniers ibis chauves, une espèce d’oiseaux en disparition.

Mais le très médiatique Hubert Reeves milite aussi contre la pollution lumineuse et pour l’euthanasie. Dans ces différents domaines, il cherche à convaincre le grand public mais n’hésite pas non plus à faire du lobbying auprès des décideurs. Il interpelle régulièrement les autorités, les ministres et sonde les candidats à la présidentielle. En septembre 2016, Hubert Reeves est ainsi nommé président d’honneur de la nouvelle Agence française de la biodiversité (AFB) par la ministre de l’Environnement de l’époque, Ségolène Royal. Voulu par François Hollande, l’organisme censé œuvrer « en faveur d’une meilleure préservation des espaces naturels » a depuis été fusionné avec l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, au sein de l’Office français de la biodiversité. Bien sûr, comme il le prédisait lui-même dans ses mémoires, Hubert Reeves n’aura pas eu le temps de tout faire… mais il aura, en revanche, tout fait pour conserver et transmettre sa capacité à s’émerveiller et « la fureur de vivre » à laquelle il a consacré l’un de ses derniers ouvrages, publié aux éditions du Seuil, en 2020.

Par Chloé Durand-Parenti

source lepoint