Sans doute planifiée de longue date, hautement coordonnée, l’attaque du Hamas à Gaza contre Israël le week-end du 7 octobre porte la marque du chef des Brigades al-Qassam, branche militaire du mouvement islamiste palestinien.
C’est un détail qui ne trompe pas sur la nécessaire discrétion dans laquelle l’homme évolue depuis des décennies. Pourtant chef révéré de la branche militaire du Hamas (les Brigades Izz al-Din al-Qassam, responsables depuis des décennies des opérations armées les plus notables du parti islamiste palestinien), Mohammed Deïf, également surnommé « Guest » (« invité », en anglais), ne dispose que de quelques lignes en français sur Wikipedia.
Alors que l’opération « Tempête Al-Aqsa » était lancée depuis Gaza contre Israël, le Financial Times a consacré le 8 octobre un article permettant de mieux cerner ce personnage central dans les événements encore en cours, cerveau principal d’une opération militaire d’une grande complexité qui a choqué le monde, fait un très grand nombre de victimes et pris les défenses et les services de renseignement d’Israël suffisamment en défaut pour être décrite comme le « 11 septembre » de l’État hébreu (franceinfo).
« Un Dieu pour la jeunesse »
« Guest », dont le nom de naissance est Mohammed Diab Ibrahim al-Masri, porte ce surnom de l’obligation de dormir chaque soir dans un endroit différent, pour tromper les services de renseignement d’Israël, qui le poursuivent sans succès depuis des décennies.
Comme l’explique le Financial Times, l’État hébreu aurait failli avoir sa peau le 12 juillet 2006, lorsque des F-16 israéliens bombardaient une réunion de hauts responsables du Hamas à Gaza. Il n’a pas été tué mais en serait sorti très gravement blessé : Mohammed Deïf aurait perdu une jambe et un bras, et évoluerait désormais en fauteuil roulant.
« Même avant cela, Deïf était comme une personnalité sacrée et était très respecté à la fois au sein du Hamas et dans la population palestinienne », explique au FT Mkhaimar Abusada, professeur de science politique officiant à l’université al-Azhar de Gaza. Lancée le 7 octobre, l’opération Tempête Al-Aqsa (le Monde) en a sans doute fait « un Dieu pour la jeunesse », ajoute l’universitaire.
L’incursion des combattants gazaouïs des Brigades al-Qassam, dont le Wall Street Journal explique qu’elle a été visée et appuyée de manière directe par l’Iran, est effectivement une opération militaire des plus complexes, hautement planifiée, précisément coordonnée, adaptée aux moyens des soldats du Hamas contre ceux, bien plus vastes, d’Israël.
Une opération d’une grande complexité
Elle a été menée par les airs, avec l’envoi samedi 7 octobre à l’aube de plusieurs milliers de roquettes al-Qassam depuis Gaza (AP), certains chiffres disent 3 500 projectiles, destinées à noyer le fameux « Dôme de fer » israélien.
Ce système de défense anti-aérienne hautement perfectionné, dont korii. avait détaillé le fonctionnement en mai 2021 lors d’un précédent embrasement du conflit israélo-palestinien, a malgré quelques impacts sérieux globalement tenu bon.
Les Brigades al-Qassam ont également fait usage de drones. Certains kamikazes étaient lancés pour frapper des cibles au sol et suppléer aux roquettes low-cost envoyées par milliers, d’autres étaient destinés à lâcher de lourdes charges explosives sur des installations frontalières ou des chars israéliens, une méthode que l’on a beaucoup vue en Ukraine ces derniers mois.
C’est ainsi grâce à ces drones que les troupes de Mohammed Deïf ont pu « aveugler » une partie des installations hi-tech d’Israël à la frontière avec Gaza, ainsi que l’a expliqué Business Insider notamment. Ces destructions et cet aveuglement ont permis aux incursions de se multiplier, notamment dans le Sud du pays et par exemple à Sderot (le Monde), et de complètement déborder des défenses sidérées par un très fort élément de surprise. De très nombreux matériels militaires lourds, notamment des chars (The Hill), ont été saisis par les combattants de « Guest ».
Dans les airs encore, et toujours dans cet esprit de guerrilla low-cost contre le colosse militaire et technique qu’est Tsahal, « Guest » avait prévu de déborder les défenses israéliennes grâce à des parapentes motorisés, ultra-légers et virtuellement invisibles aux radars, mais permettant à bas coût à des dizaines de soldats armés de franchir la frontière et d’aller semer le chaos et la mort en Israël.
Édifiante et terrifiante, une vidéo montre ainsi une foule de jeunes gens faisant la fête lors d’une rave party « pour la paix », organisée à quelques encablures de la frontière avec Gaza.
Dans le ciel, quelques uns de ces « paragliders » : ce sont notamment les hommes qu’ils transportaient qui ont ensuite commis un massacre dans cette foule pacifique, 260 victimes ayant été dénombrés selon le Figaro, sans compter celles et ceux qui ont peut-être été pris en otage et transportés vers Gaza.
Par les airs, par la terre, mais la mer n’a pas été oubliée : dans les plans de « Guest », la surprise devait aussi venir de la Méditerranée, et la marine israélienne a eu fort à faire avec de nombreuses petites embarcations parties de Gaza, et destinées là aussi à multiplier les incursions, tueries et prises d’otages dans plusieurs localités israéliennes.
Le poids des otages
L’un des faits saillants du plan de Mohammed Deïf est la prise d’otages israéliens, en très grand nombre – plus d’une centaine selon le Guardian. L’homme connaît leur poids, ils sont comme l’explique le Figaro une puissante monnaie d’échange pour le Hamas : capturé en juin 2006, le soldat israélien Gilad Shalit avait été échangé après cinq ans de négociations contre plus de 1 000 prisonniers palestiniens.
Contre la morale et les conventions internationales, ces dizaines d’otages israéliens constituent sans doute pour le Hamas une victoire terrible mais éclatante, dont on ne connaît pas encore les suites forcément âpres et complexes, mais qui renforceront un peu plus la proéminence de Deïf dans les plans généraux de l’organisation islamiste.
Depuis toujours, explique le portrait du Financial Times, « Guest » s’oppose à tout type de cycle de négociations, et souhaite porter le combat sur les terres israéliennes, une fois pour toutes. Formé par le fondateur de Brigades Izz al-Din al-Qassam, Yahia Ayache, responsable par le passé de nombreux attentats suicides, notamment dans les années 90 avec de nombreux bus visés dans les grandes villes israéliennes, Mohammed Deïf souhaite la destruction d’Israël.
L’homme dont il n’existe qu’une seule photo connue a, ces jours-ci, fortement secoué l’État hébreu qui a, en réponse, lancé l’opération « Swords of Iron » (Newsweek), mis à mal le gouvernement Netanyahou et ses promesses sécuritaires (le Monde), et rebattu les cartes dans la région, voire au-delà.