La menace russe, mise en lumière par la guerre en Ukraine, permet à Israël de signer d’importants contrats pour livrer ses systèmes antimissiles sophistiqués.
Un déluge de feu. Plus de 1400 roquettes ont été lancées contre Israël mi-mai, depuis Gaza, par l’organisation armée palestinienne Djihad islamique. Elles n’ont cependant fait qu’un mort, une Israélienne de 82 ans dont l’appartement a été heurté de plein fouet. Ce bilan relativement faible, Israël le doit à son « Dôme de fer » (« Iron Dome »), dont le taux de réussite dépasse les 90 %. Ce système a détruit dans les airs près de 450 fusées tirées par le groupe palestinien. Les autres, qui ne menaçaient pas des zones habitées, ont été épargnées, pour conserver un maximum d’intercepteurs en vue des prochaines attaques.
En deux décennies, Israël a développé un savoir-faire reconnu en matière de protection aérienne, dont le « dôme de fer » est l’exemple le plus célèbre. La guerre en Ukraine lui permet à présent de monnayer ses systèmes, considérés parmi les plus efficaces au monde et portant, pour la plupart, le précieux label « combat proven » (ayant fait ses preuves au combat). Résolus à mieux se protéger de la menace russe, les Européens passent commande à une industrie de défense israélienne en pleine croissance – un record de 12,5 milliards de dollars d’exportations en 2022.
La Finlande, qui partage plus de 1000 kilomètres de frontières avec la Russie, vient ainsi de commander la « Fronde de David » (David’s Sling) pour 316 millions d’euros, après examen des différents systèmes de haute altitude disponibles sur le marché. Fabriquée par l’industriel israélien Rafael, de même que le « dôme de fer », cette arme défensive peut contrer missiles de croisières, drones et roquettes à une distance comprise entre 40 et 300 kilomètres. Depuis mai, elle est « combat proven »; deux fusées du Djihad islamique visant Tel Aviv avaient alors été interceptées en vol.
« Tout ce qu’on produit doit être ce qu’il y a de meilleur au monde, avance le président de Rafael, Yuval Steinitz, en référence aux menaces constantes aux frontières du pays (Hezbollah, Syrie, groupes terroristes palestiniens, Iran). Nous travaillons à présent sur deux nouveaux outils : un intercepteur de missiles hypersoniques, le Sky Sonic, et le laser « Iron Beam », qui doit compléter le « dôme de fer ». Nos systèmes sont des game changers dans n’importe quel conflit ». Une seule condition à son export : avoir le feu vert du gouvernement israélien, qui est l’actionnaire unique de Rafael.
L’Ukraine est bien placée pour savoir à quel point l’aval du gouvernement israélien est indispensable. En manque de défense antiaérienne face aux missiles et drones russes, elle insiste pour que ce dernier lui en fournisse. La France, elle, a déjà livré Crotale et Samp-T aux Ukrainiens ; et l’Allemagne, des Iris-T et des Gepard. Mais par crainte de mettre à mal ses accords avec l’armée russe concernant des frappes en Syrie, Israël s’y refuse. Jérusalem rejette également la demande des Américains qui voudraient céder à Kiev les deux batteries du « dôme de fer » actuellement en possession de Washington – là aussi, un feu vert des Israéliens est nécessaire. « Nous sommes préoccupés par la possibilité que les systèmes qui seraient donnés à l’Ukraine tombent entre les mains de l’Iran [en étroite relation avec Moscou] », s’est justifié le Premier ministre Benyamin Netanyahou.
L’Arrow 3, un choix critiqué
Le « dôme de fer » et la « fronde de David » ne sont pas les seuls systèmes à intéresser les Européens. Dans le cadre de son Initiative de bouclier du ciel européen (ESSI, pour European Sky Shield Initiative), lancé à l’automne 2022, l’Allemagne a décidé de confier sa défense exoatmosphérique – au-dessus de la couche de l’atmosphère – à l’Arrow 3, un intercepteur codéveloppé par Israël et les Etats-Unis pour contrer certains missiles balistiques iraniens. Fabriqué par Israel Aerospace Industries (IAI), il doit compléter le déploiement du Iris-T allemand, pour les basses couches terrestres, et celui du système longue portée américain Patriot, plus en altitude. Il s’agit du plus gros contrat de défense jamais signé par Israël, pour 3,5 milliards d’euros.
Pour les Français, il n’y a pas urgence. Certes, « les Arrow 3 ont la capacité d’intercepter les missiles hypersoniques russes Kinzhal, dont la course est en partie balistique », comme le souligne Uzi Rubin, père des programmes Arrow et spécialiste des systèmes antimissiles à l’Institut de Jérusalem pour la stratégie et la sécurité. Mais la guerre en Ukraine montre que les Kinzhal peuvent être détruits par les Patriot, dont dispose déjà l’Allemagne. « S’il y a un besoin de renforcement du bouclier aérien bien pris en charge par l’Iris-T et le Patriot, on ne sait pas clairement quelles autres menaces Berlin veut contrer avec l’Arrow 3, remarque la chercheuse Lydia Wachs, auteur d’une récente étude sur ESSI. Mais il est vrai qu’il y a peu de données publiques sur les caractéristiques exactes de ce système. »
Boaz Levy défend le bien-fondé de cette acquisition : » L’Arrow 3 peut être modifié en fonction des menaces. » Celles-ci risquent en effet de s’élargir dans les années à venir. La Russie pourrait relancer sa production de missiles de portée intermédiaire (500 à 5 500 kilomètres). Signé après la crise des Euromissiles (1977-1987), le traité américano-russe interdisant leur production a expiré. L’Allemagne pourrait chercher à se protéger de ce péril, potentiellement atomique. Or « l’Arrow 3 a été conçu pour détruire les ogives nucléaires encore dans l’espace, où leur explosion minimiserait les dommages physiques au sol », souligne Uzi Rubin. Un détail crucial pour un territoire comme Israël, plus petit que la Bretagne.