Le leader du PCF jouit d’une plus grande indulgence que Mélenchon, mais ses positions sur la Russie, la Chine et Israël ne diffèrent pourtant pas tant de LFI. Y aurait-il une arnaque quelque part ?
Dans la rue pavée qui remonte jusqu’à la maison d’éducation de la Légion d’honneur – où Emmanuel Macron conviait les chefs de partis à bavarder de la France – tout le monde a remarqué qu’il était le seul des trois hommes de la Nupes à porter la cravate. On vient voir le président de la République, tout de même ! Et comme on se bidonne en le voyant tout grognon, détournant le regard quand Manuel Bompard (LFI), Olivier Faure (PS) et Marine Tondelier (EELV) s’expriment devant les caméras. Fabien Roussel, il présente bien, en plus il fait rire, avec ces bons mots. Et c’est pour ça qu’on l’aime.
Au fil de l’existence de la Nupes, il est devenu un objet de marketing politique dont la vertu est de ne pas être Jean-Luc Mélenchon. Ceux qui le soutiennent, la gauche anti-Nupes pour la plupart, et une bonne partie de la droite et de la majorité présidentielle qui le trouvent des plus sympathiques, saluent son patriotisme de parti, une forme de courage politique disent-ils. Contrairement à Olivier Faure, il serait celui qui ne s’est pas soumis à Mélenchon. Un résistant de la première heure !
La bonne viande
« La détestation de Mélenchon fait la sympathie pour Roussel », observe, amusé, un cadre du PS. Carole Delga l’adore, Bernard Cazeneuve a « de l’estime » pour lui et partage « les mêmes analyses ». L’essayiste Raphaël Enthoven, critique acerbe de LFI qui le lui rend bien, a publié un chaleureux livre d’entretiens (Qui connaît Fabien Roussel ?, L’Observatoire) avec l’intéressé. Encore récemment, des rumeurs bruissaient sur le leader du PCF « potentiel ministrable. » « Roussel rassure la droite parce qu’il partage profondément une forme de bon sens, d’amour de la culture nationale. Il aime la bonne viande et a compris l’importance du nucléaire », caresse Julien Aubert, vice-président des Républicains pour qui « Fabien Roussel, il fait français. » Et de renchérir : « Il a ses idées, on se dit qu’il est humain. »
Humain certes, mais qui se souvient que Fabien Roussel est aussi communiste ? Le PCF de 2023 a bien de la chance : on ne le diabolise plus. Entre 2012 et 2022, le parti à la faucille et au marteau, victime de son alliance avec Mélenchon sous la bannière du Front de gauche, a eu une existence médiatique des plus moribondes. L’oubli a fait son œuvre, et les cadavres dans les placards communistes ont été enterrés. En remettant le PCF sur le devant de la scène, Fabien Roussel croit même avoir lavé le PCF de tout soupçon, et pourtant la longue histoire communiste l’encombre encore aujourd’hui.
Un roman russe (et chinois)
En mars dernier, l’Assemblée nationale adopte une résolution qualifiant de « génocide » l’extermination par la faim de millions d’Ukrainiens – l’Holodomor. Une opération menée par Staline dans les années 1930. Les députés communistes votent contre. Quelques jours plus tard, Fabien Roussel se justifie difficilement : « Staline a-t-il intentionnellement provoqué une famine ? Ce qui constitue la base d’un génocide… Il y a débat parmi les historiens sur cette question. » Le reste de la gauche écologiste et socialiste s’étrangle devant « cet argument de stal », disent-ils. Et lorsque la milice Wagner pilonnait les villes ukrainiennes, Roussel appelait à « agir pour la paix en priorité », et s’offusquait à l’idée que la France envoie des chars à Zelensky. Un an après le début de la guerre, il continue de réclamer que l’Ukraine n’entre ni dans l’Otan ni dans l’Union européenne. « Quand on lit leurs programmes, les discours de leurs leaders et leurs littératures internes, PCF et LFI partagent les mêmes positions sur bien des sujets géopolitiques », résume Laurent David Samama, expert associé à la Fondation Jean Jaurès et auteur des Petits Matins rouges (L’Observatoire).
À l’été 2021, le même Fabien Roussel sert la soupe au Parti communiste chinois (PCC) dans un entretien à Xinhua, la plus illustre agence de presse officielle du régime, y parle de Deng Xiaoping comme un « grand dirigeant » (responsable de la répression sur la place Tian’anmen en 1989, NDLR) ; Il fait l’éloge de Xi Xinping, un an après d’autres répressions à Hong Kong, vantant les résultats de la recherche chinoise face à l’épidémie de coronavirus alors que les soupçons de fuites du virus depuis le laboratoire P4 de Wuhan se font plus forts. Et quand Jean-Luc Mélenchon affirme, en 2022, que Taïwan est « une composante à part entière de la Chine », Roussel – une fois n’est pas coutume – approuve les propos de celui qu’il esquinte le reste du temps.
Derrière « l’antisionisme »…
Le PCF flirte aussi régulièrement avec les fantômes antisémites de son passé. « Roussel n’a pas nettoyé les écuries », explique le journaliste Guy Konopnicki, membre du PCF jusqu’à la rupture, en 1978. « Depuis les années 1960, il existe un antisémitisme chez les communistes qui se déguise sous le nom d’antisionisme. Il infuse encore aujourd’hui au sein du parti. » Début mai 2023, la résolution condamnant « l’institutionnalisation par l’Etat d’Israël d’un régime d’apartheid » met le feu à la Nupes. Beaucoup foncent sur LFI – qui soutient la démarche – mais le texte est porté par les communistes dans leur niche parlementaire. Roussel est introuvable, et le socialiste Jérôme Guedj s’insurge contre un texte qui ne sert pas la paix entre les deux pays.
La résolution étonne d’autant plus qu’il dénonce la politique d’Israël « depuis 1948 ». « Pendant longtemps, le PCF s’en tenait à la théorie des deux Etats, à la frontière de 1967, explique Guy Konopnicki. Là, en revenant jusqu’à cette année 1948, date de la création de l’Etat hébreu, c’est son existence même qu’ils remettaient en cause. »
Chasteté
Pour ne pas perdre la face sur le sujet, Fabien Roussel sait se donner bonne figure. En pleine campagne présidentielle, le député (et candidat) propose une résolution à l’Assemblée pour que soient déclarées inéligibles par les juges pour cinq ans les personnes condamnées pour incitation à la haine, convaincus d’antisémitisme ou de discrimination en fonction de la religion. Cet été, au pic de la polémique Médine, son entourage fait savoir que le chef a poussé « un coup de gueule » contre L’Humanité qui vient d’offrir sa Une, avec un grand entretien dans ses pages, au rappeur accusé d’antisémitisme.
Chaste Roussel. Mais est-ce par cécité volontaire ou naïveté que Fabien Roussel détourne le regard de cet antisémitisme latent au sein de son parti, qui diabolise obsessionnellement Israël, considère encore l’Etat juif comme l’allié du « grand Satan » américain, et fait de la Palestine un martyr emblématique d’une avant-garde anti-impérialiste, d’un antiaméricanisme têtu ?
C’est ainsi, on pardonne plus facilement à Fabien Roussel ce qu’on reproche à Jean-Luc Mélenchon, par intérêt politique plutôt qu’aveuglement. L’un affaiblit l’autre, leader de la gauche d’aujourd’hui, du moins dans les urnes. Question de style, de ton, et de méthode, aussi. Roussel affable, Mélenchon colérique. « Il a compris que pour durer, il ne pouvait pas hystériser le débat comme le font les Insoumis. Il insiste sur ce qui permet la concorde plutôt que sur ce qui divise, et dessine un chemin d’avenir », analyse Samama. Souriez donc monsieur Mélenchon !