À quelques minutes d’Oloron, le cinéaste oscarisé Marcel Ophüls nous a reçus dans sa maison de Lucq-de-Béarn. Bien que discret, le réalisateur est loin d’avoir arrêté de tourner.
Marcel Ophüls est ce que l’on pourrait appeler un monstre du cinéma : réalisateur d’une vingtaine d’œuvres, ayant remporté l’Oscar du documentaire en 1989 pour « Hôtel Terminus, Klaus Barbie sa vie et son temps », et l’ayant raté de peu pour « Le chagrin et la pitié », l’homme a côtoyé les plus grandes célébrités, de Costa-Gavras qui fut son assistant jusqu’à Bertrand Tavernier en passant par son rival Claude Lanzmann. À 95 ans, l’artiste entend bien rester un acteur du présent, et non un témoin du passé, et en veut pour preuve ses projets de films. « Je compte bien devenir centenaire comme Kirk Douglas ou ma très chère amie Danielle Darrieux », soutient-il d’un air malicieux.
À la recherche de financeurs
Car tandis qu’il s’allume une cigarette, « des Winston, comme Churchill », l’artiste explique qu’il est bien loin de penser à la retraite. « J’ai un film aux trois quarts terminé, et je cherche de l’argent pour le produire. Cela parlera du racisme et de l’antisémitisme, et s’intitulera « Let my people go », comme la chanson de Louis Armstrong. Je veux retourner en Israël, où j’avais notamment pu filmer une jeune femme juive qui voulait se marier avec un arabe, et savoir ce qu’ils sont devenus ». Marcel Ophüls aimerait également interviewer Emmanuel Macron, pour lui poser une question : « Pourquoi parle-t-on d’antisémitisme et de racisme ? Quelle est la différence ? Je pense avoir la réponse : Le racisme vient de la peur de l’autre, et se nourrit du mépris. Mais l’antisémitisme, à mon avis, est basé sur la jalousie ».
Ne reste selon lui qu’à convaincre les financeurs, ce qui reste le plus dur : « J’ai la même réputation difficile que mon père auprès des producteurs français, ce qui est une fierté. Mon père Max était un génie du cinéma. Moi j’ai du talent, pas mal je crois, mais ce n’est pas la même chose. Là, je suis donc en train d’écrire à toutes les fondations américaines pour avoir des sous ». Le problème principal du cinéaste étant sa difficulté, voire son impossibilité, à fournir un scénario expliquant son film. Une fatalité, selon lui : « Je ne sais pas ce que je vais avoir devant ma caméra, ni ce que mes interlocuteurs vont me répondre ».
De toute sa carrure et sa hauteur, Marcel tempête et justifie. « Dans mon meilleur film, « l’empreinte de la justice », je savais que je voulais rencontrer Albert Speer : mais comment aurais-je pu imaginer qu’il me montrerait sa collection de road-movies ? Dans « Hôtel Terminus », comment aurais-je pu écrire dans un scénario que le meilleur ami de Klaus Barbie insisterait sur le fait que c’était un homme formidable, en me donnant pour preuve que ses chiens l’appréciaient ? C’est impossible ! Mon grand ami depuis 50 ans, Frederick Wiseman, m’a dit alors que nous faisions du ski : « Tu sais Marcel, même toi tu vas devoir fournir 15 pages pour convaincre les décideurs ». Je lui ai demandé qu’est-ce que lui pouvait bien raconter dans ces 15 pages… « Bullshit », a-t-il répondu ».
Pas de quoi décourager l’artiste, qui se projette déjà. « Mon problème est que je ne construis un film qu’une fois dans la salle de montage. Je sais déjà que je veux Sophie Brunet, qui a notamment travaillé sur les films de mon ami Bertrand Tavernier. Mais il me faudra au moins 4 mois de montage, et ce serait bien que ce documentaire ne dépasse pas trois heures, afin de pouvoir sortir au cinéma et à la télévision, et éviter un bide total ». Dans un sourire gigantesque et un rire d’ogre, il assène : « J’ai l’ambition de remporter un deuxième Oscar avec ce documentaire. Cela avait fait un scandale quand je ne l’avais pas obtenu pour « Le chagrin et la pitié », et c’est ce que j’appelle une erreur démocratique. Tout le monde d’Hollywood votait, même les maquilleurs et les coiffeuses… et je pense qu’un documentaire en noir et blanc de 4h20 sur l’Occupation, c’était peut-être beaucoup leur demander. Là, j’ai de bonnes chances de le remporter ».
Il veut tourner un film avec Pierre Richard et Leonardo DiCaprio
Après ce documentaire, Marcel lèvera-t-il le pied pour profiter des montagnes pyrénéennes ? Absolument pas. « Je continue car c’est mon tempérament. Et je ne peux pas m’arrêter alors que j’ai un film qui est presque terminé. Quand j’aurai remporté un deuxième Oscar, je reviendrai à la fiction. Je veux faire une comédie très noire et très symbolique, qui s’appellera « Trump in Venice ». Alors que Venise sera submergée à cause du réchauffement climatique, et qu’il ne restera plus que le dernier étage du Palais des doges, se tiendra le procès des responsables. Leonardo DiCaprio jouera Trump, et je prendrai comme juge Pierre Richard, qui m’a déjà donné son accord. Ce sont deux acteurs écologistes, encore plus que moi ! Pour Bolsonaro, qui sera bien entendu également sur le banc des accusés pour ce qu’il a fait à la forêt amazonienne, le poumon de la Terre, j’ai pensé à Pascal Légitimus. Hollywood l’a bien compris depuis longtemps : plus les temps sont durs, plus les gens recherchent des comédies, du Capra, du Lubitsch, du Wilder… Et les temps sont de plus en plus durs ».
Marcel Ophüls raconte cette anecdote : « Le directeur général de l’ORTF, Jean-Jacques de Bresson, avait dit à de Gaulle que la Suisse cherchait à vendre une émission sur les années sombres et la seconde guerre mondiale. Le général s’était montré intéressé, et avait demandé des détails. ‘Qu’y a-t-il dedans ? Des vérités désagréables’. Et de Gaulle de trancher : ‘Les Français n’ont pas besoin de vérité, ils ont besoin d’espoir’ ».
La retraite à 110 ans ?
Après un court silence, il semble réfléchir. « Après ces deux films, oui, ce sera la retraite pour moi… Même si c’est sûrement vrai que 90 % des gens du showbiz ne partent jamais à la retraite. » Et dans un grand sourire, l’œil pétillant, le cinéaste infatigable se reprend : « C’est parce qu’il faut de l’argent pour ça… Ce sera le cas pour moi après ce deuxième Oscar et cette comédie, surtout que je n’aurais sans doute pas loin des 110 ans ».
Pourquoi le célèbre réalisateur a choisi de vivre en Béarn
Depuis plus de 25 ans, Marcel Ophüls a choisi de résider sur les hauteurs de Lucq-de-Béarn. Une évidence qui trouve ses racines il y a plus de 80 ans, comme il le raconte : « En juillet 1941, mes parents et moi avions tous les papiers pour tenter de fuir… Max, mon père, qui était troufion dans l’armée française et n’avait pas été démobilisé, faisait des émissions en allemand à la radio, qui n’étaient pas très appréciées des nazis : Goebbels avait écrit que quand ils le trouveraient, ce serait sa fête ! Mon père était donc à la fois sur la liste de la Wermacht et sur celle de la Gestapo, avec marqué qu’il devait être déporté ou fusillé sur-le-champ », se rappelle le cinéaste.
L’entraide va jouer, avec plusieurs personnes qui tiendront un rôle clé dans leur fuite. « Trois Justes sont intervenus pour nous aider. Le premier était l’acteur Louis Jouvet, qui nous a fait passer en Suisse. Puis c’est la femme de Georges Pidot, qu’on surnommait Crapote et travaillait à Vichy, qui s’est débrouillée pour les papiers. Enfin, le capitaine Carton a fourni une fausse mission dans le Midi. Nous ne pouvions fuir ni par Hendaye, ni par la côte méditerranéenne, où la Gestapo était trop présente ».
« On a donc trouvé ce petit train, ce tortillard qui grimpait jusqu’au Somport, et nous avons pu atteindre l’Espagne. Ce sont les Pyrénées qui nous ont sauvés », assène avec certitude Marcel, qui n’avait que 13 ans à l’époque. Plus tard, il ne cessera de vouloir revoir le Béarn : « Après la guerre, j’ai tenté de retrouver cette voie ferrée, et j’ai acheté cette maison quand j’en ai eu la possibilité. Je voulais être le plus loin possible de Paris ». Et de se justifier avec cette belle déclaration : « La France est le plus beau pays du monde, Paris la plus belle ville du monde, et le Béarn, qu’on appelait le midi vert, est le plus bel endroit du monde. Et nous avons la chance que ce soit toujours le cas, alors que la Côte d’Azur fout le camp pour toujours ». Dehors, les montagnes se dessinent au loin. Un vrai décor de cinéma !
Par Camille Billemont
Source larepubliquedespyrenees