Jusque dans les années 2010, le Front national de la jeunesse organisait des séjours dans un château loué à l’ex-dictateur de République centrafricaine. Au programme : ambiance paramilitaire et formation à la doctrine de l’extrême droite. Plusieurs des cadres actuels du RN et de Reconquête y ont participé.
Réveil à 7 heures au son de la Chevauchée des Walkyries, petit-déjeuner à 7h30 puis lever des couleurs, garde-à-vous dans la cour, sous l’œil sévère de l’ancien parachutiste, résistant et soldat de l’OAS Roger Holeindre, le talkie-walkie coincé dans le ceinturon. Chaque été pendant près de vingt ans, plusieurs centaines de jeunes de 16 à 25 ans (près de quatre cents lors des années fastes de la fin des années 80) se sont donné rendez-vous aux universités d’été du Front national de la jeunesse (FNJ), lancées en 1985. Les années ont passé, les jeunes d’hier sont devenus quinquagénaires et plusieurs d’entre eux figurent même parmi les personnalités de première importance du RN, voire du parti d’Eric Zemmour. Nicolas Bay et Guillaume Peltier, aujourd’hui tous deux vice-présidents de Reconquête, s’y sont côtoyés la même année, en 1998. Le député RN du Var, Frank Giletti, en a organisé une paire. Louis Aliot en est sorti major en 1991. Comme dans les grandes écoles, les élèves sortent classés de promotions aux noms téléphonés : «Charles Martel», «Clovis» ou «Ni droite ni gauche».
Le cadre n’en est pas moins prestigieux. Un château du XIXe siècle, à Neuvy-sur-Barangeon (Cher), propriété du dictateur centrafricain Bokassa, loué par son grand copain Holeindre qui finira par lui racheter. Dans cet ancien petit séminaire, l’ancien para y a installé son Centre national des combattants (CNC), des mannequins militaires, des casques coloniaux et des affiches nostalgiques un peu partout. «Il gueulait après nous car ça courait dans les couloirs, ça buvait trop. A la fin des repas il nous racontait ses blagues, ses engagements, c’était bon enfant», se rappelle Giletti. «Les conditions étaient spartiates, les jeunes dormaient dans des dortoirs, quelques-uns sous la tente mais le terrain était très beau, de belles perspectives, une pièce d’eau», décrit Gollnisch.
Anciens légionnaires et jeunes cadets
Les jeunes ne font pas que rigoler. «Un militant politique devait être capable de tenir une réunion publique, une conférence de presse et de tenir la rue», résume l’ancien patron du FNJ, Carl Lang. Pendant une semaine, les ateliers pratiques (prendre la parole en public, répondre à la presse du «système») alternent avec les activités physiques et les conférences de cadres du parti. Jeune avocate, Marine Le Pen y prodigue des conseils en droit. Conseiller régional d’Ile-de-France, Jean-Yves Le Gallou invite ceux qui habitent dans une ville communiste à se rendre dans les bibliothèques municipales. «Allez voir à la lettre G, Ga, Gar, Garaudy [un écrivain négationniste exclu du PCF, ndlr]. Vérifiez si le dernier s’y trouve et sinon, demandez pourquoi. Le pluralisme ne se divise pas», ironise-t-il, selon des propos rapportés dans le livre de Michel Soudais Le FN en face (Flammarion, 1996).
Les jeunes frontistes baignent alors dans l’atmosphère intellectuelle la plus radicale. Bruno Racouchot, directeur de cabinet de Le Pen et ex de l’Œuvre française, le groupuscule fasciste de Pierre Sidos, fournit une bibliographie où le père du négationnisme Maurice Bardèche côtoie Charles Maurras, le fasciste italien Julius Evola, Dominique Venner ou le biologiste Alexis Carrel, un eugéniste admirateur du nazisme… On chante les Lansquenets, chant nationaliste qui appelle à l’instauration d’un «ordre nouveau et national». A la fin de la semaine, Le Pen prononce un discours devant un parterre de bérets verts d’anciens légionnaires et des jeunes cadets du CNC – les scouts du FN. Il s’y fait souvent plaisir, comme lorsque en 1995, il s’indigne que Laurent Fabius, Jack Lang et Patrick Bruel, «ces citoyens français d’extraction récente osent faire la leçon au Front national !» Le camp d’été du FNJ ne survivra pas aux débâcles financières de l’année 2007 (législatives désastreuses), et les universités d’été de la branche jeune finiront, dans les années 2010, par se greffer à la rentrée des aînés. Pour les cadres actuels, passés par cette école, seuls restent les souvenirs. Et une vision du monde pour le moins orientée.
par Nicolas Massol