Ayelet Shaked, la vamp éclair de la droite israélienne

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Cette semaine, direction Israël… En 2019, on parlait d’elle pour succéder à Netanyahou. Cette brune à la beauté spectaculaire, égérie de la droite, fut ministre de la Justice, puis de l’Intérieur, avant de disparaître des radars politiques lors des dernières élections.

Sarah Netanyahou en était tellement jalouse que son époux, alors dans l’opposition, dut se séparer en 2008 de la ravageuse, sa directrice de cabinet depuis deux ans. Ayelet Shaked portait un doux prénom trompeur (« gazelle ») mais restait froide et calculatrice. Née dans une famille de droite d’un quartier bourgeois de Tel-Aviv, d’origine mi-russe, mi-­irakienne, elle avait adhéré très tôt au Likoud. Limogée par son mentor, elle garde de cette humiliation un goût amer. Elle quitte le Likoud en 2012 avec un autre ambitieux de la droite dure, Naftali Bennett, pour rejoindre une formation mi-religieuse, mi-laïque, le Foyer juif, qui séduit l’influent lobby des colons. À eux deux, ils effectuent une percée électorale et obtiennent une revanche en contraignant Benyamin Netanyahou à les nommer au ministère de la Justice, pour Shaked, et de l’Éducation, pour Bennett.

En quelques années, Ayelet réussit à devenir l’égérie du camp ultranationaliste. Laïque assumée, cheveux au vent – contrairement à la plupart des habitantes des colonies, qui arborent un triste et pieux foulard –, elle fait campagne contre la Cour suprême, accusée d’être aux ordres de la gauche. Elle use de son influence pour promouvoir des juges conservateurs et religieux et soutient le vote de la loi Israël, État-nation du peuple juif, qui provoque la colère des citoyens ­druzes, pourtant fidèles de toujours à l’État hébreu, mais qui se sentent exclus du cadre national. Histoire de complaire aux rabbins, malgré son look décontracté, elle s’oppose à l’instauration du mariage civil. Elle soutient l’annexion d’une partie de la Cisjordanie et plaide pour un vaste plan de constructions dans les colonies.

Prête à tout

Son idéologie est aujourd’hui au pouvoir, mais la pasionaria aux yeux bleus a quitté piteusement les sunlights. Comment s’y est-elle donc prise pour perdre en novembre 2022 ? Ayelet Shaked a commis une première erreur en provoquant une scission au sein du Foyer juif. Elle lance une nouvelle formation tout aussi nationaliste, Yamina, « À droite ». En France, on l’appellerait « Nouvelle droite ». Un attrape-tout où se côtoient pragmatiques et têtes brûlées. Notamment un certain Bezalel Smotrich, leader du Parti sioniste religieux. Au gré des échecs successifs de Netanyahou concernant la reformation d’une coalition, Ayelet est de plus en plus décidée à occuper le devant de la scène. Son rêve : être la ­deuxième femme, après Golda Meir, à diriger l’État hébreu.

Beaucoup plus sexy que son illustre modèle, elle se met en scène, à la veille des élections du 17 septembre 2019, dans une vidéo de campagne. Elle y parodie une publicité en adoptant des poses langoureuses pour promouvoir un parfum nommé… « Fascisme ». Objectif : se gausser de ses adversaires, qui l’accusaient effectivement d’être… fasciste. « La nouvelle révolution est en route » concluait la belle. Entre-temps, Bezalel Smotrich a claqué la porte de Yamina pour vivre sa vie. Prudente, Shaked ménage l’avenir en s’abstenant de s’attaquer bille en tête à Benyamin Netanyahou. « Le leader de la droite, c’est lui… actuellement » répond-elle lorsqu’on lui demande qui obtiendra son soutien comme candidat au poste de Premier ministre après le scrutin.

Mais l’instabilité des coalitions est telle qu’Israël retourne aux urnes en mars 2021. Un gouvernement d’union nationale – sans le Likoud – parvient à se constituer. Ayelet Shaked l’intègre aux côtés de ceux qui se considéraient la veille comme les meilleurs ennemis du monde : centre, gauche, extrême gauche, liste arabe menée par Mansour Abbas, chef d’une formation islamiste ! Désigné Premier ministre, Naftali Bennett nomme ministre de l’Intérieur sa complice de Yamina. Elle le reste quand Yaïr Lapid succède à Bennett aux termes des accords de gouvernement. Seulement, cette coalition, jugée favorablement sur la scène internationale – au point que Bennett l’ultra a presque adopté des positions centristes –, chamboule les électeurs. « En formant un gouvernement avec les partis de tout l’éventail politique, Yamina s’est aliéné sa base électorale de droite » résumait l’éditorialiste du Times of Israël alors que le pays se préparait à un nouveau scrutin.

Sur fond d’émeutes ­communautaires entre Arabes et Juifs dans les villes mixtes – Nazareth, Jaffa, Saint-Jean-d’Acre – et d’attentats palestiniens qui frappent Tel-Aviv et Jérusalem, l’opinion se durcit, sensible aux sirènes de deux nouvelles stars : Itamar Ben Gvir, leader de Force juive, et Bezalel Smotrich, du Parti sioniste religieux. L’heure n’est plus aux provocs de la vamp vaporisant ses senteurs dans un clip séducteur. Place aux grandes gueules et aux gros bras qui vont assurer une majorité au chef du Likoud. Voyant les choses se gâter, Ayelet Shaked noue un bref partenariat avec Yoaz Hendel, le ministre des Communications. Baptisée Esprit sioniste, cette alliance, que ses détracteurs surnomment « Fantôme sioniste », se défait au bout de six semaines, Ayelet se déclarant prête à rejoindre un nouveau gouvernement dirigé par Netanyahou, même s’il inclut Ben Gvir, que la gazelle n’apprécie pourtant guère.

La sanction des urnes

Tirant un trait avec assez peu d’élégance sur son compagnonnage d’un an et demi avec le centre, les laïques d’Avigdor Lieberman, la gauche et la liste arabe de Mansour Abbas, Ayelet se confesse sur son compte Facebook : « J’ai pris des décisions dont certaines se sont avérées mauvaises. Je dois apprendre à faire amende honorable et à aller de l’avant. Je rentre chez moi, là où se trouve mon cœur. Nous allons reconstruire le foyer d’une droite pragmatique et responsable… » Mais le 1er novembre 2022, le verdict des urnes est sans appel : Yamina est éliminée de la Knesset. Les électeurs ont fait le ménage à l’extrême droite. Temporairement retirée de la vie politique, la comète Shaked clignote encore de loin en loin, au fil de quelques rares interviews. Elle y assure avoir travaillé à l’équilibre des pouvoirs judiciaires et législatifs et militer pour un sionisme religieux « raisonnable »…

Par Julien Lacorie et Martine Gozlan

Source marianne