Le nombre de victimes du crime organisé pourrait doubler cette année, malgré les promesses répétées du gouvernement. Par Nicolas Rouger.
Deux septuagénaires tués dans leur voiture en Galilée. Un massacre à la mitraillette dans une station de lavage à côté de Nazareth, dans lequel trois hommes et deux adolescents ont perdu la vie. Dans la communauté arabe en Israël, le crime organisé tue en plein jour, en pleine rue, comme jamais : au moins 137 morts ont été recensés depuis le début de l’année, contre 111 en 2022.
Cela fait des années que cette problématique fait la une des journaux et provoque des déclarations contrites des politiques de tous bords. La criminalité est en tête des préoccupations des Palestiniens citoyens d’Israël, loin devant le coût de la vie et le conflit israélo-palestinien. Pour comprendre son évolution, il faut remonter au début des années 2000, quand la police israélienne a décidé de mettre hors d’état de nuire plusieurs grandes familles criminelles juives. Les marchés sont alors revenus à leurs sous-traitants arabes, qui ont trouvé un réservoir de main-d’œuvre dans leur propre communauté.
Une inégalité de traitement
Israël compte 2 millions de citoyens arabes, tous descendants de ces Palestiniens restés sur le territoire israélien à l’érection de ses frontières, en 1948. Ils représentent 20 % de la population, mais ne bénéficient pas des mêmes opportunités. « À Lod, la municipalité dépense 30 000 shekels par an pour un écolier juif, de 12 000 à 15 000 shekels pour un écolier arabe, explique Fida Shehada, urbaniste et ex-conseillère municipale de cette ville mixte. Ce traitement a des répercussions sur l’éducation, sur l’accès au marché du travail, et sur la communauté tout entière. »
Fida Shehada mène une campagne populaire de lutte contre le crime organisé. Selon elle, son explosion actuelle tient au rôle qu’il a pris dans la communauté arabe : le crime organisé approvisionne certes le pays en drogue, prostitution et armes, mais fournit aussi des services essentiels. « On a du mal à obtenir des prêts à la banque, donc on emprunte à la mafia, explique-t-elle. Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est le résultat de la pandémie. Les gens ont du mal à rembourser, alors on leur envoie un message. »
En juin, Benyamin Netanyahou a créé un comité interministériel pour examiner la situation. Personne n’y croit vraiment. Les représentants de la communauté sont d’autant plus sceptiques que le gouvernement précédent avait mis en place un plan dont « on commençait à voir des résultats », estime un employé de la municipalité d’Umm al-Fahm, grande ville arabe proche de Jénine.
Ce plan était simple : Yoav Segalovitz, ancien chef de l’équivalent israélien du FBI et parlementaire centriste, avait réuni toutes les agences d’enquête (police, répression des fraudes, renseignement) pour remonter les réseaux de blanchiment d’argent, et parvenir à quelques coups de filet. Mais le suprémaciste juif Itamar Ben-Gvir, devenu ministre de tutelle de la police, a mis fin à l’expérience et fermé les unités spécialisées.
Un laxisme qui ne serait pas fortuit
Siam Haykel a perdu deux de ses fils et son époux en 2011, tués dans leurs lits par une nuit cauchemardesque. Pour survivre, elle s’est jetée dans le militantisme. « Je suis allée manifester à Tel-Aviv, j’ai même rencontré Netanyahou, qui m’a promis de faire quelque chose. Rien. » Elle se plaint de l’incohérence policière : « Ils m’ont dit qu’ils savaient qui avait tué mes enfants et mon mari, mais qu’ils n’avaient pas assez de preuves. Ils m’ont proposé de me donner les noms ; pour faire quoi ? Je ne cherche pas la vengeance, à faire pleurer une autre mère. Je veux la justice, c’est tout. » Historiquement, moins d’un tiers des meurtres mènent à une enquête. Cette année, on frise les 10 %. Le 30 juillet, le beau-frère de Siam Haykel a à son tour été tué.
Pour beaucoup de Palestiniens citoyens d’Israël, cette inaction n’a rien d’anodin. « C’est une stratégie, assure Ihab Mahamid, avocat engagé. L’objectif des autorités est de maintenir les Arabes israéliens empêtrés dans la violence. Ça les empêche de s’engager dans une lutte politique aux côtés de leurs frères palestiniens. »
Deux réalités distinctes entre communautés juive et arabe
Entre 2018 et 2022, 731 personnes ont été tuées violemment en Israël, selon le Centre de recherche et d’information de la Knesset, cité par le quotidien The Times of Israel. Si la communauté arabe ne constitue qu’un cinquième de la population israélienne, elle représente 70 % des victimes. Tandis que le nombre de meurtres de citoyens arabes augmente, le taux d’homicides reste stable au sein de la population juive, avec 30 à 35 victimes par an.
Les données citées par le média israélien montrent que seuls 29 % des meurtres</strong> commis dans la communauté arabe entre 2018 et 2022 ont débouché sur une inculpation, contre 69 % pour la communauté juive
Nicolas Rouger