Les pilotes, l’élite de l’élite au sein de l’armée d’Israël, sont à l’avant-garde de la contestation contre la réforme judiciaire.
L’armée de l’air israélienne, la force de frappe de l’État hébreu, traverse une zone de turbulences sans précédent. Plus de 260 pilotes réservistes ont annoncé leur refus de servir pour dénoncer la réforme judiciaire controversée du gouvernement le plus nationaliste de l’histoire du pays.
«Je n’aurais jamais imaginé en venir à une telle décision», explique Hagaï, un de ces pilotes en colère, architecte de profession dans le civil. Ce trentenaire avoue qu’il n’a pas pris cette décision de gaîté de cœur. «Je me considère comme un patriote, mais Benyamin Netanyahou a brisé le contrat de confiance, je ne suis pas près de servir ce qui est en voie de devenir une dictature», ajoute-t-il.
Il fait allusion au projet de réforme qui vise à rogner les pouvoirs de la Cour suprême. Le gouvernement pourrait ainsi avoir la haute main sur la nomination des juges à la haute instance judiciaire du pays, qui joue un rôle équivalent au Conseil constitutionnel. Ce texte fracture Israël et a provoqué depuis le début de l’année un tsunami de manifestations qui ébranle aussi l’armée.
Dans les rangs des militaires, les pilotes, considérés comme l’élite de l’élite en raison de leurs exploits durant les guerres passées, sont à l’avant-garde. Un coup très dur à la fois pour le moral des troupes, mais aussi pour des raisons opérationnelles. «Un réserviste, pour rester au niveau, doit s’entraîner au moins une à deux fois par semaine et de nuit, sinon il risque de perdre la main et de mettre en cause la cohérence de son escadrille. C’est astreignant, mais je n’avais aucun état d’âme à défendre mon pays jusqu’à ces derniers mois», souligne Amnon, un officier réserviste, à propos des contraintes que ce service implique dans son métier d’informaticien. Il reconnaît avoir beaucoup hésité, comme de très nombreux autres pilotes. «J’ai craint d’avoir l’impression de déserter. Mais je ne veux pas mettre ma vie en danger sans être certain qu’une guerre n’a pas été déclarée pour sauver la mise de Netanyahou», poursuit-il sur un ton amer, en faisant allusion aux procès en cours du premier ministre inculpé pour corruption, fraudes et abus de confiance.
Dossier explosif
Les réservistes insoumis avancent également un autre argument. Selon eux, la réforme met en cause l’indépendance du système judiciaire israélien, ce qui pourrait inciter la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye à inculper des pilotes de crimes de guerre, voire à émettre des mandats d’arrêt à leur encontre lors de leurs séjours à l’étranger.
L’ensemble de ce dossier est à ce point explosif que les officiers de métier de l’armée de l’air préfèrent faire patte de velours. Chaque réserviste refusant de servir a droit à un entretien personnel avec ses supérieurs, qui ont reçu comme instruction de faire preuve d’«empathie» et de jouer à fond sur ses sentiments patriotiques.
Résultat: pour le moment, les sanctions pour refus d’obéissance sont très rares. L’état-major estime que toute répression aurait un effet boomerang en encourageant d’autres pilotes, qui n’ont pas sauté le pas, à se joindre par réflexe de solidarité au mouvement de protestation.
Cette impunité n’est pas du goût de tous. Les ministres des partis d’extrême droite dénoncent la «faiblesse coupable» du chef d’état-major, Herzi Halevi, tout en accusant les pilotes de mettre en danger la sécurité du pays. Des activistes partisans de la réforme ont même été jusqu’à diffuser fin juillet sur les réseaux sociaux une vidéo dans laquelle des pilotes refusent de venir au secours de soldats d’infanterie encerclés par l’ennemi. Le chef de l’armée de l’air a dénoncé «ces vents mauvais de côté qui nous déstabilisent de façon irresponsable».
Attaques des ultranationalistes
La vidéo a été rapidement retirée. Mais les attaques des ultranationalistes ont continué de plus belle contre l’état-major et le Shin Beth, le service de sécurité intérieure, présentés comme des nids de «gauchistes».
Toute la question est de savoir si Tsahal sort affaiblie de ce maelstrom au moment où la tension ne cesse de monter à la frontière libanaise avec le Hezbollah, soutenu par l’Iran, qui pourrait être tenté de profiter de la situation.
«À court terme, pour des opérations ponctuelles, l’armée de l’air n’a pas été touchée, ce n’est toutefois pas aussi évident à long terme en cas de guerre sur plusieurs fronts, met en garde Amos Yadlin, ancien chef des renseignements militaires.Le gouvernement ferait mieux de regarder les choses à 40 000 pieds d’altitude et de geler cette réforme afin de s’occuper des véritables problèmes tels le programme nucléaire de l’Iran ou une possible normalisation des relations avec l’Arabie saoudite.»
Sur le terrain, effectivement, les règles du jeu n’ont pas changé, du moins pour le moment. Une attaque aérienne dans la région de Damas, en Syrie, a été lancée dimanche, comme des centaines d’autres opérations du même genre attribuées à Israël ces dernières années contre des positions de militaires iraniens ou du Hezbollah, deux alliés du régime de Bachar el-Assad.