Le musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ) à Paris consacre une exposition jusqu’au 27 août à l’humoriste Pierre Dac, qui a tenu le haut du pavé des années trente à sa mort en 1975.
Peu connu des jeunes générations, Pierre Dac est à l’origine d’un humour qu’il qualifiait de « loufoque », pétri d’absurde et de jeux avec les mots, mais pas de jeux de mots. Avec son complice Francis Blanche à partir de 1948, il a composé un duo incomparable qui a fait écrouler de rire la France entière, notamment avec le feuilleton radiophonique Signé Furax (1951-1952, 1 034 épisodes), à l’origine d’un véritable phénomène de société.
Nous avons rencontré Jacques Pessis, journaliste, écrivain, scénariste, comédien, réalisateur et commissaire de l’exposition. Neveu adoptif et légataire universel de Pierre Dac, il nous évoque l’homme et l’artiste aux multiples facettes qu’était Pierre Dac et sans lequel Raymond Devos, Coluche, Pierre Desproges, Les Guignols de l’Info, ou Le Gorafi n’existeraient pas.
Franceinfo Culture : Aujourd’hui, s’il était vivant, Pierre Dac brocarderait votre titre de commissaire d’exposition, d’une « loufoquerie », non ? Il vous en vient une à l’esprit ?
Jacques Pessis : Le titre de l’exposition est « Le parti d’en rire » ce qui correspond à notre époque très politisée. Lui, aurait sans doute dit : une exposition pourquoi ? Moi, j’ai toujours considéré qu’il valait mieux passer hériter à la Poste qu’à la postérité. Le public a démontré le contraire.
L’exposition rassemble de nombreuses pièces qui créent beaucoup d’ambiance pour évoquer chacune des époques et des facettes de Pierre Dac. Comment avez-vous procédé ?
Avec Anne Hélène Hoog (conservatrice au musée d’art et d’histoire du Judaïsme, mahJ) qui a eu l’idée de cette exposition, nous avons rassemblé toutes les archives que je possédais, puisque je suis le légataire universel de Pierre Dac. Nous nous sommes aperçus qu’il y avait des tonnes d’archives et qu’elles racontaient un parcours atypique. On connaît le chansonnier, vaguement le résistant, mais moins les deux en même temps. Nous avons donc voulu raconter les deux choses et choisi de créer une ambiance historique dans chacune des douze salles. A chaque fois, c’est un pan de la vie de Pierre Dac et en même temps une époque qui sont évoqués. Parce qu’il a été le pionnier de tas de choses. De la radio, en inventant les premières émissions d’humour, il a été un pionnier de la presse humoristique, avec L’Os à Moelle qui se vendait à 400 000 exemplaires en 1968, mais aussi un résistant en étant un des « Français qui parlent aux Français » entre octobre 1943 et juin 1944, et il a aidé en neuf mois les alliés à décrocher la victoire. Puis il a été avec Francis Blanche l’inventeur d’une forme de feuilleton radiophonique totalement absurde, avec Signé Furax.
Vous étiez très proche de Pierre Dac, et vous êtes son légataire universel, comment s’est réalisé ce rapprochement et quel était la nature de vos liens ?
J’étais un fan de Pierre Dac enfant, et un jour, à quinze ans, j’ai téléphoné à RTL pour demander comment je pouvais me procurer les œuvres complètes de Pierre Dac. On m’a suggéré de lui écrire au 38, avenue de Villiers à Paris. Du haut de mes quinze ans, j’ai pris le métro, et trouvé un 36 et un 40 mais pas de 38 avenue de Villiers. Cela a été ma première enquête journalistique. Je l’ai retrouvé et invité au Lycée Claude Bernard dans un amphi de physique pour un exposé sur le surréalisme. Il est venu et on ne s’est plus quittés, puis je suis devenu son secrétaire général particulier et son neveu adoptif. Enfin, j’ai hérité de son œuvre à sa mort. Il disait : ça n’intéressera personne. Le public a démontré que c’était exactement le contraire.
Ne trouvez-vous pas que Pierre Dac est un peu oublié aujourd’hui ?
J’ai voulu que cette exposition soit une roue de transmission. Pierre Dac a toujours des fans aujourd’hui. Il y a ceux qui ne l’ont pas oublié, il y a des clubs Pierre Dac dans toute la France. Mais la nouvelle génération ne connaît pas son humour. J’ai voulu faire cette exposition pour expliquer aux jeunes ce qu’est un texte humoristique, qu’il faut des mois pour écrire des formules, et que cela ne se faisait pas sur un coin de table. Il y a un humour absurde qu’il faut absolument conserver, car c’est une marque française. Pierre Dac disait en parlant de ses textes : le plus beau compliment qu’on puisse me faire c’est de me dire, c’est complètement con, mais c’est vrai. Et quand je vois des enfants venir à l’exposition avec leurs parents et grands-parents, et rire des sketchs de Pierre Dac, je me dis que c’est en partie gagné.
C’est un humour toujours moderne, qui était en avance sur son temps, et qui perdure aujourd’hui, non ?
Pierre Dac était en avance sur son temps en inventant l’humour loufoque. Sans lui, il n’y aurait pas eu Raymond Devos, il n’y aurait pas eu Coluche, Pierre Desproges, Les Guignols de l’Info, Le Gorafi. Aujourd’hui, il est intemporel. Quand vous prenez ses Pensées, certaines ont plus d’un siècle et elles sont toujours d’actualité.
L’homme a plusieurs facettes et s’avère complexe. La Grande Guerre où il a été blessé et où il a perdu son frère l’a beaucoup marqué, son action à Londres à la radio pendant la Seconde Guerre mondiale est connue. Vous avez des échos des rapports qu’il a pu avoir avec De Gaulle qui lui aussi était en première ligne en 14 et fut l’initiateur de la France libre ?
Pierre Dac n’a pas entendu l’appel du Général De Gaulle. Il a quitté Paris juste avant, mais il en avait entendu parler. Il a dit : je veux rejoindre De Gaulle à Londres. En 1940, ce n’était pas facile d’aller à Londres. La France libre en 1940 rassemblait 4000 personnes. Il a alors traversé les Pyrénées à pied en novembre 1941 et, arrêté, il a fait un an et demi de prison avant de rejoindre « Les Français parlent aux Français » (émission de la BBC réservée à la France occupée et interdite d’écoute par les nazis). Pour lui, c’était son devoir. Il a alors adapté son style humoristique à la politique, créé quelque chose qui va tellement marquer les Français que quand Pierre Dac passait à la radio, à la TSF, entre 1943 et 44, la consommation d’électricité augmentait considérablement. Sinon, Pierre Dac n’a vu qu’une seule fois le Général De Gaulle, le 6 juin 1944 à 11h. Quand le Général De Gaulle arrive à la radio, il croise Pierre Dac dans un couloir. Il lui dit : Ah, Monsieur Pierre Dac, comment ça va ? Et Pierre Dac répond : Puisque je vous vois, mon Général, c’est que tout va bien. Et le Général De Gaulle écrira plus tard une lettre de remerciement à Pierre Dac, pour ses actions dans la Résistance. Lettre qu’il conservera dans son bureau jusqu’à la fin de sa vie.
Pierre Dac présentera sa candidature à la présidence de la République en 1965 face à De Gaulle, et on n’est jamais très loin du politique avec lui. Il s’impliquera également de plus en plus dans sa judaïcité. Vous l’avez entendu parler politique dans le privé ?
On dit que Coluche a été le premier humoriste à se présenter à la présidence de la République, c’est faux. C’est Pierre Dac en 1965, au moment où il relançait son journal L’Os à Moelle. Il a créé alors un parti politique, le MOU, le Mouvement Ondulatoire Unifié, dont la devise est : « Les temps sont durs, vive le MOU ». Et dans la foulée, il se présente à la présidentielle, avec Jacques Martin, Jean Yann et René Goscinny, une fine équipe. C’était pour rire, un canular. Il fera une conférence de presse dans une discothèque à la mode, L’Elysée-Matignon. Et à la question Que pensez-vous du ministère de l’Education nationale ? il a répondu : il me semble urgent d’en créer un. C’est toujours d’actualité.
Francis Blanche fut le proche des proches de Pierre Dac après-guerre et « Signé Furax », qu’ils ont créé ensemble à la radio, a été un phénomène de société. Comment vivaient-ils ce succès ?
Francis Blanche et Pierre Dac se sont rencontrés en 1948 et Francis Blanche deviendra le véritable fils spirituel de Pierre Dac. Ils écrivaient pour la radio, et un jour alors qu’ils étaient en vacances, ils ont parlé de leur passion commune pour les romans-feuilletons du XIXe siècle. C’est comme ça qu’est né Signé Furax, malheur aux barbus, un titre que l’on ne pourrait plus donner aujourd’hui. Ce fut un triomphe. Ensuite, ils sont passés à une autre station de radio, pour faire Le Boudin sacré, Le Gruyère qui tue, La Lumière qui éteint, c’était un véritable phénomène de société. La France entière s’arrêtait quand on écoutait Furax. Les enfants arrivaient en retard à l’école, les parents arrivaient en retard à leur travail. Jusqu’au jour de 1957 où Guy Mollet, président du Conseil, en plein débat à l’Assemblée nationale dit haut et fort : Messieurs, je vous quitte, je vais écouter Furax.
J’ai été étonné d’apprendre que Pierre Dac avait fait des tentatives de suicide. C’est le mythe du clown triste qui perdure ?
Pierre Dac a fait quatre tentatives de suicide pour deux raisons. D’abord suite à la mort de son frère en 1914 qu’il n’a pas supportée, et ensuite après la guerre quand il est revenu couvert de gloire parce qu’il avait été un des « Français qui parlent aux Français », et que les portes de la radio se sont fermées, parce que les places étaient prises. Il s’est retrouvé sans travail et a fait une dépression nerveuse. A l’époque, cela ne se soignait pas. Il m’a dit un jour qu’il avait eu pendant huit ans une araignée dans la tête. Il ne dormait qu’une heure par nuit. Le médecin lui aurait alors dit : vous allez voir, un jour cela va s’arrêter. Et c’est parti du jour au lendemain, sans qu’il comprenne pourquoi. Il a tenté de se suicider notamment avec un rasoir mécanique en s’ouvrant les veines. Sa femme le découvrant lui a fait un garrot à l’envers, mais ça s’est quand même arrangé. Il a ensuite vécu heureux et en pleine forme.
« Pierre Dac – Le parti d’en rire » au musée d’art et d’histoire du Judaïsme
Hôtel de Saint-Aignan, 71 Rue du Temple, 75003 Paris
Mardi, mercredi, jeudi, vendredi : 11h-18h, Samedi et dimanche : 10h-18h, Vendredi 28 juillet 2023 – 11:15 -12:45