Mélenchon et le Crif : aux origines du conflit

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« L’extrême droite n’a plus de limite », a tweeté Jean-Luc Mélenchon en réponse à des critiques formulées par le président du Conseil représentatif des Institutions juives de France contre sa formation. Entre le leader insoumis et le Crif, le conflit n’est pas nouveau.

C’est un nouveau tweet de Jean-Luc Mélenchon qui déclenche la polémique. Et creuse encore plus le gouffre entre les insoumis et les institutions juives. En réponse aux critiques exprimées par le président du Conseil représentatif des Institutions juives de France (Crif) Yonathan Arfi accusant La France insoumise (LFI) de se « compromettre loin du pacte républicain », le triple candidat à la présidentielle a réagi d’une formule qui a aussitôt suscité une vague de réactions indignées. « Le président du CRIF utilise la cérémonie à la mémoire des victimes de la rafle des juifs par la police française pour me prendre à partie. Abject. L’extrême droite n’a plus de limite »a tweeté, dimanche 16 juillet, Jean-Luc Mélenchon.

Comment le leader de LFI en est-il arrivé à qualifier ainsi politiquement le président du Conseil représentatif des Institutions juives de France, le jour de la commémoration de la rafle du Vél d’Hiv ? Dans un discours, Yonathan Arfi venait de mener une charge lourde contre lui : « Face à l’extrême droite, les porte-voix de La France insoumise font bien plus partie du problème que de la solution. En choisissant le clientélisme plutôt que l’universalisme, en s’égarant dans la complaisance avec l’islamisme, avec Poutine ou les partisans des appels aux émeutes, ils sèment une confusion idéologique, meilleur allié de l’extrême droite. 

Autre faute, aux yeux du président du Crif : les propos de la députée insoumise Ersilia Soudais, vice-présidente du groupe parlementaire d’étude sur l’antisémitisme. En décembre 2022, l’élue de Seine-et-Marne était venue à l’aéroport de Roissy accueillir l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri, un « terroriste » aux yeux du Crif. Elle avait alors qualifié son expulsion de « déportation orchestrée par Israël »…

A La France insoumise, on qualifie les propos du président du Crif de « polémique politicienne »« Indigne », selon le député Manuel Bompard, qui rappelle qu’il a lui-même participé à un hommage à Marseille ce week-end. Le leader insoumis n’est-il pas, rappellent ses amis, le héraut de la créolisation, le défenseur des minorités, celui qui s’oppose aux obsessions identitaires de toutes sortes et aux fascistes de toutes natures ?

Mais, y compris au sein de la gauche, plusieurs élus pointent une nouvelle dérive. Comme la socialiste Valérie Rabault : « Le président du Crif a le droit d’exprimer, librement, ses opinions et de critiquer des responsables politiques sur leurs positions. Que ses critiques conduisent JL Mélenchon à le taxer d’extrême droite est indécent et contraire à l’essence de la démocratie. » Ou Nicolas Mayer-Rossignol, le premier secrétaire délégué du PS : « L’engagement du président du Crif contre le RN [Rassemblement national] n’est plus à démontrer. Oser le qualifier d’extrême droite, 81 ans après la rafle du Vél d’Hiv, est une faute et une insulte. Heureusement nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir que la gauche sorte de ces outrances. » Voilà qui ne va pas arranger l’ambiance au sein d’une Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) déjà en crise…

« Rayon paralysant »

Entre Jean-Luc Mélenchon et le Crif, le conflit politique n’est pas nouveau. Il faut remonter à l’affaire Mireille Knoll pour comprendre la bascule de l’ancien sénateur socialiste de l’Essonne et son aversion à l’égard des institutions juives de France. Après la mort de cette octogénaire poignardée à son domicile en mars 2018, Francis Kalifat, le précédent président du Crif, avait prévenu que « ni Jean-Luc Mélenchon et les insoumis ni Marine Le Pen et le FN » (Front national, ancien nom du RN) n’étaient « les bienvenus » à la marche blanche. Il avait alors pointé une « surreprésentation des antisémites à l’extrême gauche » et le « boycott d’Israël » encouragé par cette dernière. Lors du rassemblement, le leader de LFI et ses amis avaient été malmenés par les militants de la Ligue de défense juive (groupuscule de jeunes radicaux) et finalement exfiltrés par la police.

Depuis, Jean-Luc Mélenchon est en guerre contre le Crif. Il reproche à l’organisation de faire de la politique, d’user de l’accusation d’antisémitisme comme d’un « rayon paralysant ». Entre le mouvement mélenchonien et l’institution religieuse, la querelle est récurrente et ressurgit parfois quand on ne l’attend pas. Ainsi, lorsque Jeremy Corbyn, chef du Parti travailliste (ou Labour, la gauche britannique) de 2015 à 2019, accusé de complaisance à l’égard de militants antisémites au sein de sa formation, avait perdu les élections outre-Manche en décembre 2019, Jean-Luc Mélenchon avait cru bon de faire un parallèle avec son propre cas. Commentant sur son blog la déroute des travaillistes britanniques, le chef de file de LFI avait juré que lui ne céderait pas aux « ukases arrogants des communautaristes du Crif ». Ce même Jeremy Corbyn qui fut accueilli avec « fierté » par les candidates insoumises Danielle Simonnet et Danièle Obono en pleine campagne des législatives en juin 2022.

En juin 2021, le héraut de la LFI avait aussi jeté le trouble auprès de la communauté juive avec sa sortie sur les attentats avant les élections : « Vous verrez que dans la dernière semaine de la campagne présidentielle, nous aurons un grave incident ou un meurtre. Ça a été Merah en 2012, ça a été l’attentat de la dernière semaine sur les Champs-Elysées [en 2017]. Avant, on avait eu Papy Voise [en 2002] dont plus personne n’a jamais entendu parler après. Tout ça, c’est écrit d’avance. » Du « complotisme », avait jugé la Ligue internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (Licra). « Un crachat sur la tombe » de la famille Sandler, victime de Merah, avait aussi réagi l’avocat Patrick Klugman. Pour ses proches, Jean-Luc Mélenchon voulait uniquement mettre en cause l’instrumentalisation politicienne de ces événements.

Polémique à propos de Zemmour

Quelques mois plus tard, en octobre 2021, un nouvel épisode accentue le fossé : Jean-Luc Mélenchon se retrouve accusé d’antisémitisme par le Crif après une déclaration sur BFMTV. A une question du journaliste Bruce Toussaint à propos d’Eric Zemmour : « Il est antisémite ou pas ? C’est une vraie question que se pose la communauté juive », le candidat insoumis avait répondu : « Monsieur Zemmour ne doit pas être antisémite parce qu’il reproduit beaucoup de scénarios culturels : On ne change rien à la tradition, on ne bouge pas, la créolisation mon dieu quelle horreur”. Tout ça, ce sont des traditions qui sont beaucoup liées au judaïsme. Ça a ses mérites, ça lui a permis de survivre dans l’histoire. »

Qu’avait-il voulu dire exactement ? De nombreuses voix avaient alors pris ses propos au pied de la lettre, l’accusant d’assimiler Eric Zemmour aux « traditions du judaïsme ». D’accréditer l’idée que le polémiste d’extrême droite, condamné pour incitation à la haine raciale, l’homme qui réhabilite Pétain et la France de Vichy, s’inscrivait dans la tradition de la religion juive. Dans un tweet, la Licra s’était ainsi moquée de « l’ethnologue » Mélenchon reconduit « à la tête du Musée des Arts et Traditions antisémites ».

La polémique fut telle que l’ex-ministre socialiste s’était livré à une mise au point sur son compte Facebook : « On m’attribue que j’aurais situé l’origine des idées d’extrême droite de Zemmour dans le judaïsme. C’est une stupidité ! […] Ma conviction est que toutes les religions comptent des ultra-traditionalistes qui finissent par déraper. » Avant d’esquisser un mea culpa : « Je suis prêt à admettre que je me suis mal exprimé puisque j’ai donné prise à des interprétations qui sont au contraire de ce que je pense. »

Dimanche, réagissant à la polémique, Jean Luc Mélenchon a renvoyé vers le discours qu’il avait prononcé en 2000 pour la commémoration de la rafle du Vél d’Hiv, au nom du gouvernement Jospin. Le ministre délégué à l’Enseignement professionnel y rappelait la responsabilité et la faute de l’administration française, reconnues par Jacques Chirac quelques années plus tôt, appelait au « discernement », à faire la distinction avec « la France à laquelle nous adhérons ». « Nous y sommes invités d’abord par l’exemple que donnent les juifs de France, énonçait-il. Cet exemple, c’est celui de leur amour intact pour notre patrie commune, mille fois prouvée après le 16 juillet 1942, comme il l’avait été auparavant, dans toutes les épreuves nationales. Amour intact, en dépit de la pire des trahisons dont se sont rendus coupables ceux qui avaient pourtant prétexté de la France pour les frapper. »

En février 2021, au micro de Cyril Hanouna sur C8, le leader insoumis avait aussi tenté de se défaire de l’accusation d’antisémite nourrie à ses yeux par le Crif : « Ça me fait très mal d’avoir cette étiquette, ça m’a mis les larmes aux yeux. […] Il y a un côté malfaisant, vicieux, tordu à montrer du doigt des gens. Y a pas assez d’antisémites ? […] C’est insupportable de m’avoir accroché cette pancarte. » Sa déclaration de dimanche ne va pas l’aider à faire changer d’avis le Crif.

Par Rémy Dodet et Maël Thierry