Les confessions d’Eric Goldberg, génie de l’animation chez Disney

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Invité du Festival du film d’animation d’Annecy, le coréalisateur vétéran de «Pocahontas» et animateur clé sur «Aladdin» confie quelques souvenirs au «Point Pop». Par Philippe Guedj.

vec sa bouille ronde, son regard qui frise et sa chemise jaune recouverte de motifs Mickey et Minnie portée le jour de notre rencontre, Eric Goldberg, 68 ans, est le parfait prototype du grand enfant qui n’a rien perdu de son espièglerie. Son rire de garnement fuse à intervalles réguliers, comme celui d’un Woody Woodpecker, et l’on n’est pas étonné de lire sur son CV que ce coréalisateur de Pocahontas (1995) et de Fantasia 2000 (1999) fut aussi, en 1992, le superviseur principal de l’animation du génie, campé par l’inoubliable Robin Williams, dans le drôlissime chef-d’œuvre Aladdin de John Musker et Ron Clements. Bref : sous des airs de bille de clown, c’est un grand et humble nom du dessin animé qui répond à nos questions.

Invité d’honneur du dernier Festival d’Annecy, où il présenta une master class ainsi que la séance hommage aux 100 ans du studio d’animation Disney, au côté de la présidente Jennifer Lee, Goldberg s’est confié au Point Pop sur la proximité de sa spécialité avec le cinéma en prises de vues réelles, ainsi que sur ses souvenirs de feu Williams et l’état actuel de son secteur, dominé depuis plus de vingt ans par la 3D.

En revanche, ne demandez surtout pas à Goldberg son opinion sur les remakes en version live par son employeur de ses propres films animés. Inutile de nous faire un dessin : sa réponse aussi rapide qu’un trait de crayon et son sourire crispé indiquent sans aucun doute que le sujet le fait rire aussi jaune que sa chemise. Passé ce sujet qui fâche, l’amertume de l’animateur boute-en-train disparaît en un éclair et nous quittons Eric Goldberg sur un sourire plein d’espoir quant à l’avenir de son art.

Le Point Pop : C’est la troisième fois que vous êtes invité au Festival international du film d’animation d’Annecy. Quel regard portez-vous sur cette manifestation ?

Eric Goldberg : Je suis toujours émerveillé d’être invité à Annecy. Ce festival est vraiment l’endroit d’où est parti l’anoblissement de l’animation aux yeux de l’opinion, ainsi que l’émancipation des réalisateurs de films d’animation indépendants. OK, je travaille dans un secteur plus traditionnel de l’animation chez Disney, mais j’adore l’éventail des genres et des styles qu’offre cette industrie, et j’adore l’esprit de camaraderie qui règne à Annecy, où pratiquement tout le monde est passionné par ce medium et veut sans cesse apprendre.

Mes souvenirs d’Annecy remontent aux années 1970, quand de grands cinéastes du genre pas encore reconnus venaient y montrer leurs films pour la première fois. Je ne pouvais pas encore m’y rendre mais Annecy était déjà une légende à mes yeux, je savais toujours ce qui se passait là-bas et j’étudiais les réalisateurs qui étaient invités. Il est dommage qu’encore aujourd’hui, l’animation soit relativement snobée par une partie de la profession alors qu’elle est capable de tant de prouesses diverses. Guillermo Del Toro a redit lors de la cérémonie des Oscars que l’animation n’était pas un genre, mais tout simplement du cinéma et je lui donne raison à 100 %.

Vous qui êtes diplômé d’illustration au Pratt institute, depuis quand l’animation est-elle une vocation chez vous ?

Probablement depuis mes quatre ans [rires] ! Je suis tombé dans l’animation via la télévision, quand tous les grands dessins animés ont commencé à être diffusés, depuis les Disney jusqu’aux cartoons de la Warner, de la MGM ou des frères Fleisher… J’ai tout avalé ! J’ai toujours su que je voulais être animateur et j’ai fait mes premiers flipbooks [petits carnets de dessins qui donnent l’impression d’être animés quand on les feuillette avec le pouce, NDLR] dès l’âge de six ans. Je n’ai jamais cherché à être diplômé en cinéma, mais en illustration, même si les films en prises de vues réelles m’ont toujours influencé : Hitchcock eut un impact déterminant sur moi, autant que les comédies burlesques – les Marx Brothers, Laurel et Hardy, les comédies muettes de Chaplin, Keaton, Lloyd…

Mais j’ai aussi été très marqué par le film noir et son usage de la lumière pour raconter une histoire. Chez Disney, nos artistes layout [dans un film d’animation, ce sont les personnes chargées de créer pour chaque plan le décor et la lumière environnante où les personnages évoluent, NDLR] sont de véritables directeurs de la photographie : ils contribuent à la narration à travers l’éclairage, la composition du cadre, la mise en scène… Toutes ces notions viennent du langage cinématographique. Sur Pocahontas, pour la chanson « Des Sauvages », notre superviseur des artistes layout, Rasoul Azadani, eut l’idée de créer ces grandes ombres s’étalant sur la colline : il a piqué l’idée à Kurosawa [il explose de rire] ! Moi-même, pour la chanson « Moi, moi, moi », pendant que les gars creusent avec leurs pelles, j’ai fait un plan cut sur une vue en plongée où on les voit tournoyer avec leurs pelles, et ça, je l’ai chipé au Temps de l’innocence de Scorsese [rires] !

À propos de passerelles entre l’animation et le cinéma live, que pensez-vous des remakes en prises de vues réelles par Disney de ses grands dessins animés – dont votre propre Pocahontas et Aladdin ?

[Il hésite longuement.] OK… Disons les choses comme ça : je préférerais vraiment ne pas avoir à répondre à cette question. Je me contenterai de vous dire que le studio est le propriétaire de ces personnages et qu’il a le droit d’en faire tout ce qu’il veut ! [Et Eric Goldberg éclate de rire pour conclure, NDLR.]

Comment avez-vous été amené à travailler comme superviseur du génie sur Aladdin, devenu un classique instantané ?

J’ai effectivement supervisé le génie ainsi que le design de plusieurs personnages secondaires. Ce fut une collaboration merveilleuse avec John Muskers et Ron Clements, deux réalisateurs très collaboratifs, qui écoutaient toutes les bonnes idées, d’où qu’elles viennent, tout en gardant en tête leur film. Aladdin fut mon ticket d’entrée chez Disney. J’avais à l’époque mon propre studio d’animation à Londres, Pizzaz Pictures, et, un an plus tôt, j’avais rencontré deux représentants de Disney lors d’un festival d’animation à Los Angeles.

Ils m’ont demandé si je pouvais leur envoyer un montage des publicités d’animation que nous faisions, ce que j’ai fait, et par la suite ils n’ont cessé de me rappeler pour que je revienne à Los Angeles pour rencontrer Musker et Clements. Quand ils m’ont confié qu’il s’agissait de me recruter pour le projet du film Aladdin, pour lequel Robin Williams allait peut-être interpréter le génie, je n’ai pas réfléchi longtemps. Je savais que si je refusais, je risquais de rater le sommet de cette vague de renouveau qui chamboulait tout le secteur de l’animation aux États-Unis. Il fallait que j’en profite avant que ce mouvement ne se tarisse.

Je suis donc revenu à L.A., j’ai rencontré Ron et John qui m’ont donné le scénario… En le lisant, j’avais envie de les supplier de me donner le génie, dont les dialogues avaient été écrits vraiment pour Robin Williams. Quand ils m’ont annoncé qu’ils me confiaient le poste de superviseur du personnage, j’ai réagi calmement mais j’étais en ébullition ! J’ai d’ailleurs perdu mes clés de voiture ce matin-là et la sécurité de chez Disney a dû casser la vitre de ma voiture de location. Voilà mes débuts chez Disney [rires] ! Faire ce film fut une expérience formidable. Robin a tant donné pour ce rôle… Mais comme on n’était pas sûrs que les enfants devineraient tous les personnages qu’il imitait, on s’est assurés que le génie soit toujours drôle et les fasse rire dans son look.

Vous êtes issu de l’animation traditionnelle en 2D. Comment avez-vous vécu l’arrivée du premier Toy Story et l’explosion de l’animation en images de synthèse ? Une bénédiction ou une malédiction pour vous ?

J’adore le premier Toy Story. John Lasseter m’avait invité à la projection avec son équipe et j’ai trouvé le résultat magnifique, intelligent et, tout en étant conscient que plus rien ne serait comme avant, j’étais séduit. J’aime toutes les formes d’animation. Et ce que j’ai adoré dans Toy Story, c’est surtout qu’il s’agissait d’un grand film, avec une histoire très bien construite et de grands personnages. Depuis, l’animation assistée par ordinateur est devenue tellement sophistiquée qu’elle prend aussi la forme de l’animation 2D, d’autant plus que beaucoup de jeunes animateurs 3D sont influencés par l’animation traditionnelle.

Donc je n’ai pas peur : la 3D est juste un outil de l’animation parmi d’autres et nous parlons tous ce même langage qui a été inventé et perfectionné par les studios Disney dans les années 1930 et 1940. Créativement, tout le secteur est en bonne santé, il n’y a jamais eu autant de productions animées alors que Disney fut longtemps le seul studio à en produire. Maintenant, je vois débarquer énormément de jeunes talents, très prometteurs pour le futur.

Par Philippe Guedj

Source lepoint