Elle rêvait d’être actrice, elle a fait carrière dans le journalisme et est devenue chroniqueuse de Bouvard et Ruquier. Avec la gourmandise des polissonnes.
lle n’en a toujours fait qu’à sa tête, prenant le chemin inverse de sa mère, Nathalie Sarraute, l’autrice de Tropismes, pionnière du Nouveau Roman, intellectuelle de gauche qui avait tendance à voir en sa fille frivole, coquette et volage une erreur de la destinée… La grande littérature étant préemptée par sa génitrice, Claude, décédée ce mardi 20 juin à l’âge de 95 ans, choisira la plume mondaine, le style pipelette et peau de vache, publiera des essais rigolards et bien troussés qui prouvent que sous la futilité et les traits d’esprit perçait une vraie culture parisienne et lettrée.
Comment aurait-il pu en être autrement ? Fille d’un avocat et d’une écrivaine célèbre d’origine russe, elle baigne dans un environnement bouillonnant et s’efforce de squatter le podium de tête au collège. Pas le choix. « À Pâques, j’étais parmi les trois premiers de la classe, c’est cela qu’il fallait, se souvenait-elle dans les colonnes du Monde. Revenaient les grandes vacances, et là, je me vautrais à nouveau dans ma paresse. J’adore la paresse ! » L’éducation est stricte, sa mère voulait des garçons – elle n’aura que des filles –, choisit des prénoms unisexes et range les poupées pour les remplacer par des soldats de plomb. Chaque été, Claude entre en pension quand les parents filent en Union soviétique… De quoi façonner un esprit rebelle en un rien de temps.
« Je suis juif et tu es juive »
À 10 ans, elle apprend sa judéité par hasard, sa mère areligieuse n’ayant pas jugé opportun de lui en parler. Un jour qu’elle discute avec son grand-père, la jeune fille explique que la cantine n’est vraiment pas bonne, avant d’ajouter : « Normal, parce que l’intendant est juif. » Et de ressortir à son grand-père toutes les insultes qu’elle entend sur les juifs dans la cour d’école. C’est alors que son aïeul lui réplique : « Ce que tu ne sais apparemment pas, ma petite fille, c’est que Jésus-Christ est juif, je suis juif et tu es juive. » Le ciel lui tombe alors sur la tête, surtout quand ses copains de l’école la plaignent sincèrement en la regardant différemment. Claude vit la Seconde Guerre mondiale dans l’angoisse, en voyant sa mère se cacher en région parisienne pour éviter les dénonciations.
À la Libération, elle rêve de fringues, de maquillage, épluche les magazines féminins et choisit de courir les auditions pour percer sur les planches… Un désastre. Elle sonne faux, on choisit ses rivales et, après quelques pièces d’avant-garde, elle bifurque vers le journalisme grâce au coup de pouce d’un amant bienveillant qui travaille au Monde. Elle commence logiquement à la rubrique spectacle, affectée à recopier des textes, mange de la vache enragée, pleure régulièrement dans l’escalier de service avant d’avoir le droit, suprême honneur, d’écrire quelques titres et critiques. Elle attend son heure, bifurque à la rubrique variété et télévision avant de peaufiner pendant sept ans son fameux billet d’humeur, qui lui donnera une soudaine célébrité sur la dernière page du journal.
Scandale au Monde
Son style débridé et affranchi fait mouche, son rendez-vous quotidien s’impose et devient aussi regardé que le dessin de Plantu en première page. Une vraie consécration qui lui vaut aussi pas mal de lettres de grincheux, secoués par tant de frivolité au cœur d’une si vénérable institution… Bref, Claude Sarraute devient une journaliste star, elle sort des livres à succès, intègre la bande à Bouvard avant de rejoindre celle de Laurent Ruquier qui la chouchoute et la considère rapidement comme sa mère – il lui offrira un anniversaire mémorable pour ses 85 ans avec rhum et sable blanc à Cuba et un rôle dans sa première pièce de théâtre.
Les plans de carrière, elle n’a jamais connu. Claude a toujours pris ce que la vie lui offrait : le rire, l’alcool, les copains, les maris… et beaucoup d’amants. Elle a été mariée trois fois, une vie débridée et assumée qui l’amusait beaucoup et nourrissait ses livres guillerets. D’abord avec un journaliste américain, puis Christophe Tzara, le fils du poète Tristan Tzara, avec lequel elle aura deux garçons. Elle le quittera pour le philosophe Jean-François Revel, après que ce dernier lui aura déclaré sa flamme, comme elle l’a raconté dans son livre Avant que t’oublies tout, écrit avec Laurent Ruquier. « Je rentre chez moi, raconte-t-elle, mon mari Christophe Tzara n’était pas encore couché et je lui dis : je suis désolée, mon chéri, mais là, j’ai rencontré quelqu’un, il faut absolument que je refasse ma vie avec lui, nous, c’est fini… » Elle restera plus de quarante ans avec Revel, aura un dernier garçon avec lui et adoptera également une fille.Entre eux, une vraie complicité d’esprit, ce qui ne les empêche pas d’avoir des vies séparées d’un commun accord – elle vivra notamment une grande passion avec Hans, un journaliste allemand qu’elle qualifiait de « virtuose de l’amour ». « J’en ai bien profité, confiait-elle à la fin de sa vie. Ce qui ne m’a pas empêchée, avec une mauvaise foi éhontée, de me tordre de jalousie à la pensée de celles que je qualifiais de ses grosses », en évoquant les maîtresses de son époux.
Amants et lifting
L’âge venant, elle profite de ses petits-enfants et de sa maison refuge, en Bretagne, en face de l’île de Bréhat, une grande demeure blanche au milieu des pins. Elle y passe régulièrement ses vacances, se baigne tous les jours – même à Noël – et se plonge dans ses travaux d’écriture en contemplant les jeux des lumières et des marées… Elle raconte ses souvenirs, ses amants, son lifting et les affres de la vieillesse avec toujours le même style franc et vachard. « Ce n’est pas la mort qui me fait peur, c’est le grand âge ! confie-t-elle à VSD à l’aube de ses 90 ans. Tout fout le camp. Je suis menacée par le déambulateur et je vois arriver le fauteuil roulant !