2 000 femmes juives orthodoxes se sont rassemblées dimanche 7 mai à Aubervilliers autour de la figure de la « rabbanite », un terme qui désigne l’épouse du rabbin. Un événement censé mettre en avant les valeurs traditionnelles et rappeler « le rôle crucial » de la femme dans la vie juive.
« Bracelet argenté pour les rabbanites, doré pour les VIP ! », lance Léa Cohen, l’une des organisatrices du « plus grand rassemblement féminin ». L’événement s’est déroulé, pour sa deuxième édition à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), dimanche 7 mai. Ce soir-là, les vedettes attendues sur scène sont des rabbanites, mot qui désigne les épouses de rabbins, dont le rôle – certes informel – est reconnu dans la communauté juive orthodoxe. Si elles ne bénéficient d’aucune rémunération ni formation, les rabbanites reçoivent les fidèles à la synagogue, à l’instar de leur mari, et donnent souvent des cours religieux.
Dans la file d’attente, on aperçoit quelques vieilles dames, des mères de famille venues avec leurs bébés et beaucoup de jeunes femmes d’une vingtaine d’années, qui expriment leur joie de se retrouver. Qu’elle soit portée avec des mocassins vernis, des bottines noires à talons ou des baskets blanches, la jupe longue est de rigueur, comme l’exigent les codes de modestie vestimentaire orthodoxe tout en répondant aux dernières tendances : fendues, en tulle coloré ou en jean noir délavé, les jeunes femmes présentes sont apprêtées.
« On aime bien les moments entre femmes »
Car c’est en leur « honneur », et en celui des rabbanites, qu’est organisé pour la seconde année consécutive « le plus grand rassemblement féminin » de la communauté juive orthodoxe notamment par Danielle Sitruk, veuve de l’ancien grand-rabbin de France de 1988 à 2008. Alors que la salle se remplit de ses plus de 2 000 participantes, beaucoup d’étudiantes, dispersées aux quatre coins de la France, retrouvent avec enthousiasme leurs amies de collège et de lycée. « C’est notre ambiance, explique Déborah, étudiante. On apprécie les moments entre femmes dans notre religion, mais là, c’est exceptionnel parce qu’il y a beaucoup de monde. »
Sur la scène, fleurie avec soin, six rabbanites, reconnues pour leur « dévotion » et leur « discrétion », siègent derrière un pupitre. Après leur prise de parole, l’assemblée féminine reçoit un invité de marque : le rav Israel Meir Lau, enfant rescapé de Buchenwald devenu grand rabbin d’Israël, venu livrer son témoignage des camps de concentration. Cette mise à l’honneur des femmes de la communauté porte un caractère récent et vient répondre, à sa façon, à une question qui pénètre malgré elle l’orthodoxie juive : le rôle de la femme dans la vie religieuse, les rites, comme l’étude des textes sacrés. « En faisant un grand rassemblement féminin et en y invitant un religieux reconnu, la communauté orthodoxe répond à la critique que, dans ce courant, les femmes n’ont pas accès à la Torah et aux grands sages », analyse Émile Ackermann, rabbin « moderne orthodoxe », une sensibilité qui se veut un point d’équilibre entre une observance assez stricte de la loi juive et une ouverture sur la société. Dans le courant orthodoxe, les femmes se voient encore découragées de l’accès à l’étude approfondie des textes saints. Si la loi juive prévoit qu’elles soient dispensées – et non interdites – d’enseignement, cette exemption a conduit à ce qu’elles reçoivent dans les écoles confessionnelles des cours allégés du Talmud. L’analyse des textes, le débat, la réflexion restent l’apanage des hommes.
Les orthodoxes et la place des femmes
Selon ses organisateurs, le rassemblement, imaginé en 2022, est d’abord né « des problèmes traversés dans les couples contemporains » et notamment le divorce, devenu « monnaie courante », explique Guilaine Oiknine. L’événement doit venir présenter un contrepoint à ces vies marquées par la séparation et l’émancipation, en montrant notamment « l’image de femmes posées, qui ont réussi dans leur vie, dans leur couple et leur éducation », détaille encore Guilaine Oiknine, qui avec son mari prépare les couples juifs au mariage en région parisienne.
L’enjeu est crucial pour l’avenir des communautés juives : les femmes sont, dans un couple, celles qui transmettent la judéité aux enfants. Et elles sont traditionnellement considérées, dans leurs rôles d’épouses, de mères et d’éducatrices, comme un pilier de la pérennité de ces communautés conservatrices. Pour la sociologue du judaïsme Martine Cohen, chercheuse émérite au CNRS, ce rassemblement est d’abord une « réaction de défense », qui montre que ces communautés ne sont pas imperméables aux questions de genre et d’égalité hommes-femmes.
« Héroïsation de figures féminines »
Mais si la forme inédite et définitivement moderne du rassemblement montre que la communauté orthodoxe répond à la modernité qui l’entoure, pour Martine Cohen cette « modernité instrumentale », qui fait usage des moyens de communication contemporains et d’un phénomène d’héroïsation de figures féminines, n’implique pas pour autant une « modernité dans les valeurs ». La formule, auprès des participantes, semble en tout cas fonctionner. « On est ressortis avec des messages très puissants ! », affirme une jeune femme aux organisatrices.