Israël: les Breslev, disciples de la joie

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Ils détonnent avec leur liberté de rire, de danser et de chanter. Les adeptes du mouvement Breslev sont des religieux juifs orthodoxes qui vivent leur croyance avec ces principes essentiels: profiter du moment présent et être heureux.

C’est un jeudi soir, une veille de shabbat qui ressemble à beaucoup d’autres à Tel-Aviv, en Israël. Dans les quartiers branchés du bord de mer, qui ne dorment pratiquement jamais, les bars, restaurants et night-clubs font le plein. La musique, autant que les cocktails et l’alcool coulent à flots. Les DJ rivalisent de playlists entêtantes pour attirer une jeunesse venue profiter de cette chaude soirée déjà presque estivale. Les lumières et néons des bars clignotent à l’envi pour capter l’attention d’une clientèle venue boire et danser jusqu’au bout de la nuit. Les bandeaux arc-en-ciel des clubs gays affichent leurs couleurs et l’esprit d’ouverture à toutes les communautés. Au milieu de cette agitation, un camion bariolé de graffitis et peintures vives, surmonté d’immenses enceintes vibrant de musique électro, avance à très faible allure le long de l’avenue principale.

Des policiers en uniforme impassibles et des voitures sérigraphiées avec gyrophares allumés escortent cet étrange convoi. Des passants grisés d’alcool se joignent à la fête, des automobilistes l’accompagnent à coups de klaxon. Enivrés de décibels, des jeunes gens dansent autour du véhicule. Ils portent des tzitzis, ces franges de coton tressées et accrochées au coin d’un ­vêtement et sont coiffés du peot, ces papillotes portées longues de chaque côté du visage à la manière des juifs ­orthodoxes. Ces hommes religieux qui sautent, dansent, chantent avec presque autant de ferveur et d’énergie que des amateurs de rave party sont des membres du mouvement Breslev. Ces sorties nocturnes et musicales sont fréquentes pour eux. Elles sont, à chaque fois, l’occasion de répandre de la joie, du bonheur, des CD, des livres (forcément religieux) et de faire connaître leur communauté.

Yoni est l’un de ces jeunes orthodoxes à l’allure un peu hip-hop. Coiffé de papillotes blondes et chaussé de baskets à la mode, il fait une pause pour reprendre son souffle, mais aussi rouler convenablement sa cigarette qu’il agrémente, sans complexe, d’un peu de haschisch. «On sort dès que c’est possible. On fait la fête. On répand de la joie, comme nous l’a enseigné rabbi Nahman. C’est le devoir premier d’un Breslev»

Un prophète venu d’Ukraine

Le jeune homme fait référence au maître à penser de ce courant hassidique fondé dans la ville d’Ouman en Ukraine, à la fin du XVIIIe siècle. C’est là que « Rabénou » (notre rabbin), comme l’appellent ses disciples, a vécu. L’essentiel des enseignements de rabbi Nahman consiste à exiger des ­fidèles de se mettre au service de Dieu dans la joie et l’allégresse. Le camion est d’ailleurs chargé de « goodies ». Autant d’autocollants, de cartes et autres supports à la gloire du rabbin qui sont distribués, généreusement et avec le sourire, aux curieux et aux amateurs de danses endiablées tentés de s’approcher du véhicule pour se ­déhancher. « Nous sommes des religieux orthodoxes », lance en riant Yoni avant de reprendre le refrain à la gloire du saint homme. « Mais notre devoir est de profiter du moment présent sans se soucier des malheurs. L’optimisme est notre règle. »

Un principe de vie que Yéonathan Parienti a décidé d’embrasser avec toute la ferveur de sa foi. Père de ­famille, entrepreneur et homme d’affaires, il dit avoir trouvé son équilibre dans la ­religion et particulièrement dans le message porté par le mouvement des Breslev. À 42 ans, il vit avec les préoccupations de sa génération et de son époque. Élégant, look branché et soigné, il s’intéresse aussi aux problématiques du changement climatique, aux sujets de l’alimentation, de la surconsommation, des inégalités. « Un Breslev n’est pas détaché du monde. Au contraire ! » explique Yéonathan, qui aime à se définir comme un « Hébreu » plutôt que religieux ou orthodoxe.

« Nous sommes observants des règles et des commandements, un peu comme l’étaient les anciens. Je suis dans une quête. D’ailleurs, notre devoir c’est d’aimer l’autre comme nous-mêmes. Ici, la situation est compliquée. J’ai choisi de ne pas ignorer les Palestiniens et les Arabes. Ils vivent parmi nous et je prends le temps de leur parler pour échanger les points de vue… et je comprends leurs inquiétudes. » Une pratique religieuse qui apaise, réconcilie et qui ne soit pas incompatible avec la joie de vivre, voilà ce que Yéonathan a trouvé dans cette voie Breslev et dans la voix de rabbi Nahman.

Ce jeune franco-israélien, qui a passé une partie de son enfance en banlieue parisienne, a longtemps cherché son équilibre. Scolarisé dans des écoles religieuses privées, il a étudié la Torah et fait l’alyah (retour des juifs en terre d’Israël) à l’adolescence. Cependant, le cadre contraint de la pratique l’étouffait. Un ami lui parle, alors, d’un pèlerinage à Ouman, en Ukraine, sur la tombe d’un certain rabbi Nahman.

« Je suis allé là-bas, se souvient Yéonathan. Et j’ai vu tous les genres de juifs se mélanger. J’ai étudié le personnage et son message qui s’inscrit parfaitement dans notre époque. Il dit d’ailleurs que “le désespoir n’existe pas”. Dans le ­milieu juif religieux, il y a tellement d’interdits que je n’arrivais pas à concilier mes envies, les plaisirs de ce monde, les sorties en boîte de nuit, la plage et la pratique de la foi. Je me suis complètement retrouvé dans les principes Breslev. Le slogan de rabbi Nahman, c’est celui du McDo : tu viens comme tu es. »

L’orthodoxie et la liberté

Une vie 100% Breslev pour Yéonathan qui, avec son épouse Alison, a créé à Tel-Aviv Kameart. Une entreprise de bijoux artisanaux et d’accessoires qui a le vent en poupe et dont les articles se vendent même à l’international via le commerce en ligne. Le couple de créateurs décline ainsi des objets et des vêtements religieux avec juste ce qu’il faut de modernité.

« On a “pimpé” les talits (châles de prière) et les tzitzis ; je fais des bijoux et des accessoires à connotation religieuse. On a pris le droit de proposer à nos clients la possibilité d’avoir un look sympa dans la religion. Mais nous avons quelques problèmes avec des orthodoxes qui n’ont pas aimé ce que nous faisons. Nous avons consulté l’autorité rabbinique qui a tout à fait compris notre démarche spirituelle et nous a délivré le certificat de cacherout attestant de notre conformité avec les règles religieuses. »

Oren Levy, lui, a toujours l’air sérieux. Il est très concentré lorsqu’il est à son ouvrage, penché sur son pupitre les doigts noircis d’encre. Mais il est un homme heureux et travaille toujours accompagné d’un fond musical pour égayer l’ambiance. Avec ses tzitzis qu’il porte fièrement, son habit fait bien le moine ou plutôt le juif orthodoxe. Oren est sofer. Son métier consiste à rédiger à la main les textes de la Torah. Mais quand il range son tablier de scribe, Oren porte un nez rouge de clown et se rend bénévolement dans les hôpitaux pour distraire et faire rire les malades. Oren est membre de la communauté Breslev.

Ce père d’une famille très nombreuse applique à la lettre les principes de son maître spirituel : « Partager la joie. » Il s’est formé durant plusieurs mois pour apprendre à faire le clown et ­notamment au yoga du rire. « Il y a plein de façons différentes de vivre le sentiment du bonheur, philosophe en souriant le sofer, et il s’exprime aussi à travers le rire. C’est l’un des principaux enseignements de Rabénou. »

Tout n’a pas été simple pourtant pour Oren, issu d’une famille laïque et hostile à son choix d’embrasser la religion. Pour lui, tout a commencé il y a plus de vingt ans et sa rencontre avec le rav Besançon, une figure du mouvement Breslev.

L’esprit et la bohème

« J’ai fait la connaissance de ce religieux d’origine française dans une tente à Jérusalem . C’est un ancien hippie marié à Barbara Rubin, qui était la muse de Bob Dylan . Le rav Besançon est un poète et un artiste. J’ai aimé sa démarche intellectuelle autant que ­spirituelle. J’ai trouvé dans ce mouvement une certaine douceur et une ­bouffée d’oxygène… »

Autour des textes de rabbi Nahman, d’un café et de biscuits, Mordekhaï et Mickaël, tous deux disciples Breslev, discutent spiritualité et philosophie religieuse. Ils chantent aussi. Mordekhaï, ancien rockeur, a rangé son blouson en cuir et ses santiags pour enfiler des habits adéquats avec sa nouvelle vocation, mais il gratte encore sa guitare et Mickaël l’accompagne en donnant de la voix. Le jeune homme est un entrepreneur qui consacre beaucoup de son temps à l’impression d’ouvrages consacrés à la spiritualité Breslev.

« Rabenou est un révolutionnaire de la Torah, s’enthousiasme Mickaël. Avant lui, les religieux m’angoissaient. On les voit toujours habillés de noir. Ils marchent en regardant le sol. Leurs femmes se cachent. Leurs enfants sont craintifs. Ils vivent avec la peur de Dieu. Mais ça devrait être tout le contraire ! Dieu est ton ami ! Dieu, c’est ton coworker ! Rabbi Nahman nous parle de joie de vivre. Il a proposé du coaching et du développement personnel et parlé de travail autour de la respiration avant tout le monde. Surtout, il est optimiste . Il nous enseigne le bonheur et que tout ce qui nous arrive est bien. C’est essentiel ! Dans nos sociétés, on devrait tous être sous cachetons ! Son message ­positif est universel. » Et ces religieux en sont convaincus : en Israël, l’avenir sera Breslev et joyeux.

De nos envoyés spéciaux Nadjet Cherigui (texte) et Raphael Gotheil (photos)

Source lefigaro