De quoi est-il question dans la crise qui secoue Israël ? L’avenir du sionisme, dont on n’a pas assez dit qu’il était démocratique ou n’était pas. Pour le comprendre, retour au texte : la Déclaration d’indépendance de l’État d’Israël.
Mon maître me le disait : il faut toujours revenir au texte.
« L’État d’Israël veillera au développement du pays pour le bénéfice de tous ses habitants ;
il sera fondé sur la liberté, la justice et la paix selon l’idéal des prophètes d’Israël ;
il assurera la plus complète égalité sociale et politique à tous ses habitants sans distinction de religion, de race ou de sexe ;
il garantira la liberté de culte, de conscience, de langue, d’éducation et de culture ;
il assurera la protection des Lieux Saints de toutes les religions et sera fidèle aux principes de la Charte des Nations unies. »
Cet extrait de la Déclaration d’indépendance de l’État d’Israël est fondamental puisqu’il s’agit de l’acte, du socle, du soubassement qui le constitue et institue Israël comme un État moderne.
Avant cette déclaration il n’y a pas d’État d’Israël. Hors de cette déclaration il n’y a pas d’État d’Israël. Depuis cette déclaration il y a un État d’Israël démocratique. C’est aussi simple que cela.
Pourtant, les épreuves et les guerres n’ont pas manqué.
Parmi ces guerres, trois ont failli anéantir ce petit pays pétri d’espoir, dont l’une lancée dans les heures qui suivirent l’illustre déclaration. Quant aux épreuves, rappelons que l’on a assassiné un Premier Ministre, que l’on a condamné et emprisonné un ancien président et un autre ancien premier ministre.
Depuis 1948, vingt-cinq législatures se sont succédé, des alternances se sont produites, des coalitions aussi diverses qu’hétéroclites se sont formées et défaites. Mais jamais le caractère démocratique de l’État d’Israël n’a été menacé ou interrompu. C’est un fait rare et probablement unique dans l’histoire des nations. Et plus encore quand l’on sait que l’État hébreu lutte toujours et depuis toujours pour sa survie ; qu’il est la seule démocratie de la région et que bon an mal an, Israël se classe au 23ème rang mondial, juste derrière la France, pour l’avancement démocratique.
Le mouvement qui pousse des centaines de milliers d’Israéliens dans la rue, même au mépris d’un attentat, et ce depuis plus de dix semaines ; le mouvement qui a déclenché des pétitions de hauts gradés de Tsahal, de diplomates ; le mouvement qui a suscité l’indignation d’un ancien Premier ministre et surtout du Président de l’État n’est pas contre Netanyahou, ni contre la droite et pas davantage contre la religion.
C’est un mouvement de soutien à la démocratie, pour ce qui la constitue et contre ce qui la menace.
Ce qui la menace c’est Bezalel Smotrich, ministre des finances qui se décrit comme un fier homophobe qui a appelé à effacer – avant de se rétracter piteusement – la localité palestinienne de Huwara, pourtant incendiée par des extrémistes furieux.
Ce qui la menace c’est Itamar Ben-Gvir qui, ministre de la sécurité, ne cesse d’inciter à la loi martiale contre les Palestiniens et à l’établissement de la peine capitale pour les faits de terrorisme et dont l’action la plus remarquée a été le limogeage avorté du chef de la police de Tel-Aviv pour sa clémence envers des manifestants israéliens…
Ce qui la menace c’est la volonté du Premier Ministre Netanyahou d’échapper à tout prix à toute poursuite judiciaire.
Ce qui la menace surtout, c’est le pacte scellé entre ces trois-là dont on ne sait ce qu’il faut redouter : qu’il ait été conçu par conviction ou par cynisme ou pire, par l’alliance néfaste des deux.
De quoi s’agit-il ?
D’abord de mettre à la main de la majorité parlementaire, et donc du pouvoir politique, la nomination des juges à la Cour suprême et de cantonner celle-ci dans un rôle consultatif. La fameuse clause dérogatoire qui donnerait le dernier mot au Parlement contre la censure constitutionnelle vient d’ailleurs d’être adoptée en première lecture à la Knesset. Il en irait de même de la nomination et du rôle du Procureur général de l’État qui est la plus haute autorité judiciaire et administrative du pays.
Certains me diront que c’est assez banal de dresser le Peuple contre l’État de droit. Après tout, Israël affronterait une crise qui n’épargne aucune région et qui a frappé les plus grandes et les plus anciennes démocraties comme les États-Unis de Trump ou le Brésil de Bolsonaro, et, plus près de nous, la Hongrie, la Pologne et plus récemment l’Italie. Pour autant, ce qui se joue ici est différent de tout ce qui s’observe ailleurs.
Le silence des ennemis d’Israël sur cette crise sans précédent est éloquent. D’ordinaire, leurs cris recouvrent tout ce qui se dit sur ce pays. Mais là rien. Ceux qui attaquent Israël se taisent. En revanche ceux qui s’inquiètent pour son devenir se lèvent. Et pour cause. C’est ni plus ni moins que de l’avenir du sionisme dont on n’a pas assez dit qu’il était démocratique ou n’était pas, ou plutôt qu’il était démocratique ou ne serait plus. Et, en définitive, c’est du nom glorieux d’Israël dont il est question et dont on ne dit pas assez qu’il est l’incarnation depuis les temps bibliques de valeurs qui sont autant nationales qu’universelles.
C’est justement écrit au sein même de la Déclaration d’indépendance.
Comme quoi, le maître est sage, il faut toujours revenir au texte pour retrouver la raison.
Patrick Klugman