Heureux comme un Juif aux pays des Kazakhs et des Kirghizs

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Même pendant les troubles les plus sanglants qui ont touché ces anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale au cours des dernières décennies, les Juifs du Kazakhstan et du Kirghizstan ont été plutôt épargnés par la violence et ont peu souffert de l’antisémitisme en dépit d’une propagande islamiste très hostile aux Juifs.

Sur Rayimbek, à la périphérie d’Almaty, zone où se côtoient garages et entrepôts, face à un centre commercial, on aperçoit, bien en évidence – photo et lettres hébraïques – le Centre Chabad. On ne peut s’empêcher de se poser la question ce qui a poussé ce mouvement hassidique, généralement implanté au centre des villes, à s’installer dans un zoning aux allures industrielles. La réponse est simple : à moins de 300 m se trouve la tombe de Levi Yitzhak Schneerson (1878-1944), le père de Menachem Mendel Schneerson (1902-1994), dernier rebbe des Loubavitch.

Si à certains égards, le Kazakhstan et le Kirghizistan se distinguent, notamment en taille – le Kazakhstan est par sa superficie le 7e pays le plus grand au monde pour moins de 20 millions d’habitants, les points communs sont multiples : situés sur la route de la soie (« Jibek Jolou »), dominés par les Russes, d’abord au sein de l’Empire tsariste au milieu du 19e siècle, ensuite en tant que républiques soviétiques et enfin indépendants après l’éclatement de l’URSS. Bien qu’officiellement laïques, l’islam est la religion principale – 72% au Kazakhstan, 90% au Kirghizistan – sans être dominante : minarets discrets, vente libre d’alcool et pas d’appel à la prière par le muezzin. Viendront ensuite des Juifs ashkénazes d’origine russe, qu’ils soient déportés par Staline vers l’Asie centrale, ou qu’ils fuient les régions à l’ouest de l’URSS – Ukraine, Biélorussie, pays baltes – après l’invasion par l’armée allemande en 1941.

Kirghizistan, la « Suisse d’Asie Centrale »

Dès le 4e siècle, des commerçants juifs du Caucase parcourent la Route de la Soie. Des Juifs originaires de Boukhara (Ouzbékistan) sont les premiers à s’installer au Kazakhstan, suivis au 17e siècle, par des conscrits de l’armée russe. Aucune synagogue ne date de cette période. Ce n’est qu’au 20e siècle que des Juifs ashkénazes furent exilés ou déportés en Asie centrale alors qu’ils vivaient surtout en Ukraine, Biélorussie et pays baltes, la « zone de résidence » où ils étaient cantonnés depuis le 18e siècle jusqu’à la révolution bolchévique de 1917. Parmi ces Juifs déportés au Kazakhstan, on peut citer le grand rabbin de Dniepropetrovsk (Ukraine), Levi Yitzhak Schneerson. En 1939, il a été arrêté par les autorités soviétiques pour ses prises de position contre les efforts du Parti communiste pour éradiquer l’apprentissage et la pratique du judaïsme en Union soviétique, et en particulier pour avoir distribué de la Matza aux Juifs de Dnepropetrovsk (anciennement Yekaterinoslav). Après avoir passé plus d’un an dans les prisons de Staline, il a été condamné à l’exil à Chiali, un village isolé du Kazakhstan. Peu avant sa mort, Levi Yitzhak Schneerson a pu s’installer à Almaty, où il a été chaleureusement accueilli par la petite communauté juive locale.

Almaty, principale ville du pays (2 millions d’habitants, où vivent environ 1.000 Juifs, a perdu en 1998 son statut de capitale au profit d’Astana, ville construite dans le style de Brasilia (sans la créativité d’Oskar Niemeyer) rebaptisée Nour Sultan, du prénom de l’ancien président Nazarbaiev à son départ du pouvoir en 2019. Sur décret de l’actuel président Kassym-Jomart Tokaïev, elle va récupérer son nom d’Astana. A l’instar d’autres centres Chabad, celui d’Almaty, ouvert en 2001, est formé d’un complexe comprenant, une synagogue, un magasin vendant des produits casher, une salle des fêtes, une mikveh (bain rituel) et un dortoir qui accueille les touristes juifs en manque de logement et/ou d’argent. Au cours d’un séminaire d’été, outre des cours sur Israël et le judaïsme, les jeunes apprennent à cuisiner des khallot de shabbat.

Le Kirghizistan possède quant à lui une constitution qui garantit l’égalité des droits et des libertés à tous ses citoyens même si cet Etat classé 72e pour la liberté de la presse (122e pour le Kazakhstan). Bishkek (ex- Frunze), sa capitale, ville aérée, avec de grands parcs, agréable à vivre, abrite la communauté juive la plus importante du pays. A Och, deuxième ville du pays, ont co-existé pendant de nombreuses années les ­Boukhariens (originaires d’Ouzbékistan), vus comme des étrangers et non acceptés par la société kirghize et les Ashkénazes résidant dans les zones européennes avec les Russes et les Tatars.

Au cours de la Première guerre mondiale, des prisonniers juifs des armées allemande et austro-hongroise sont déportés au Kirghizistan pour travailler dans les mines de charbon, à des projets d’irrigation et la construction du chemin de fer. Dans les années qui suivent, un institut juif est créé pour mettre fin à l’analphabétisme des communautés juives locales et préserver la culture boukharienne. En 1941, plus de 20.000 Juifs ashkénazes, fuyant la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie et la Pologne, se réfugient au Kirghizistan, parmi eux l’actrice Ida Kaminska et sa Compagnie du théâtre juif de Varsovie. Voyant dans la religion un rôle fédérateur dans la lutte contre l’Allemagne nazie, les autorités soviétiques autorisent l’établissement d’une synagogue à Bishkek où, jusque début des années 1950, des services religieux séparés pour les Juifs d’orient et les Juifs ashkénazes ont lieu, avant d’être interdites par Staline.

L’association Menorah, centre de la vie juive, publie le journal Ma’ayan, organise des activités sportives, abrite un groupe de théâtre et de danse, une bibliothèque. Une école juive, PriEtz-Haïm, dirigée par ­Vladimir Kritsman, fournit un programme éducatif comprenant à la fois des matières profanes et religieuses, accueille 130 élèves, dont une majorité d’enfants juifs, mais pas exclusivement.

Bonnes relations avec Israël

Les Juifs interrogés sur leur situation, sont unanimes quant à l’absence de mouvements ou de manifestations antisémites, même en cas de résurgence du conflit israélo-palestinien. Les explications varient : la tolérance des tribus nomades, habituées aux déplacements et au contact avec d’autres groupes ethniques et d’autres religions, ou les bonnes relations, principalement commerciales, entre Israël et ces deux pays. Le Kazakhstan vend à Israël son pétrole – 25% de ses importations – et achète la technologie et le savoir-faire israélien, notamment dans le domaine agricole. Et pourtant, ces pays ne sont pas à l’abri d’actes antisémites. En 1997, après l’arrestation au Kazakhstan d’un dirigeant syndical, juif Leonid Solomin, des journaux kazakhs s’en prennent à la « juiverie internationale » et aux « sionistes ». En 2010 un attentat à la bombe à la synagogue de Bishkek, le jour de Rosh Hashana, a causé des dégâts matériels. Des organisations telles que « Hizb ut-Tahrir », dans une tentative de faire du Kirghizistan une nation fondamentaliste islamique, ont distribué de la propagande antisémite, mais sans véritable impact sur les Kirghizs.

Après l’éclatement de l’URSS et la déclaration d’indépendance de ces pays (1991) de nombreux Juifs ont émigré vers Israël, pour des raisons économiques et également à cause de conflits militaires. Aujourd’hui, il y a une stabilisation de la population juive, mais à l’instar d’autres pays de la région, la mobilisation partielle (sic) décrétée par Poutine, a fait fuir de nombreux jeunes Russes, juifs et non-juifs qui affluent au Kazakhstan et au Kirghizistan. Ainsi Egor, informaticien originaire de Novosibirsk et son épouse, rencontrés dans les montagnes kirghizes, sont en attente d’un visa pour le Canada. Yohanan, consultant senior dans une entreprise d’Etat dans le secteur de l’énergie nucléaire, a quitté son poste et compte également émigrer en Israël. Il est à prévoir, que parmi ces jeunes Russes, certains s’établiront définitivement dans la région.

Armand Schmidt