Refonte de l’audiovisuel public, politisation des institutions culturelles : une nouvelle ère s’ouvre pour la culture israélienne. Le premier ministre israélien souhaite recréer un Israël à son image.
Dans les couloirs studieux de l’Université hébraïque, institution centenaire enclavée dans Jérusalem-Est, une guerre est en marche. Vendredi 3 mars, le gouvernement israélien a donné à son ministère de l’éducation un droit de regard sur la nomination du recteur de la Bibliothèque nationale, organe historique de l’université.
Le texte est presque passé inaperçu, attaché à une clause dans le budget d’État. Intitulé « Augmentation de la transparence et du contrôle public de la Bibliothèque nationale », il donne au ministère de l’éducation la mainmise sur le conseil d’administration de l’institution.
Vengeance personnelle
Ouverte en 1892, la Bibliothèque nationale contient la grande majorité des textes publiés en Israël, ainsi que des trésors du patrimoine juif. Assimilée à l’Université hébraïque depuis 1925, elle est passée sous le contrôle de l’État en 2008, avec la garantie de son indépendance politique. Aujourd’hui, près des trois quarts de sa collection appartiennent encore à l’université.
Pour la presse, cette loi n’a d’autre but que la vengeance personnelle du chef du gouvernement. Avant de prendre son poste, le recteur actuel, Shaï Nitzan, était procureur d’État, responsable de la mise en examen de Benyamin Netanyahou dans des affaires de corruption. Depuis, le juriste subit des attaques virulentes de l’entourage du premier ministre, qui n’hésite pas à le qualifier de « dangereux militant d’extrême gauche ».
Une pétition d’artistes et d’écrivains
Dans une lettre envoyée au gouvernement samedi 4 mars, le directoire de l’université a fait part de ses inquiétudes, menaçant même de retirer ses financements et les œuvres qui lui appartiennent. Des douzaines d’artistes et intellectuels se sont joints à cet appel, dont l’écrivain David Grossman. Dans une pétition, ils ont annoncé leur intention de rappeler leurs ouvrages et de ne plus en confier « si l’assujettissement de la Bibliothèque nationale se réalise ».
Le problème n’est pas que culturel : « En changeant la loi, le gouvernement renie ses engagements et crée de l’instabilité, explique avec frustration Itzchak Tzachi Raz, économiste à l’Université hébraïque. Le risque et l’incertitude augmentent, et l’économie en pâtit. C’est ce qu’on n’arrête pas d’expliquer, mais personne ne nous écoute. »
Le précédent de la privatisation du groupe audiovisuel Kan
Cette offensive rappelle une autre mesure controversée : la privatisation de Kan, l’actuel groupe public de radios et de télévisions, perçu comme peu favorable au camp Netanyahou. Une décision qui a choqué le monde de la culture, y compris à l’étranger, dans la mesure où les fonds publics ont grandement contribué au succès des séries télévisées israéliennes. Cette réforme est pour l’instant mise à l’arrêt « pour nous focaliser sur la réforme judiciaire », a expliqué le ministre des communications, Shlomo Karhi. En attendant, le pouvoir aimerait ponctionner les fonds de la division infos de Kan et les reverser à ses concurrents, une politique qui bénéficierait en particulier à la chaîne 14, clairement rangée à droite.
Cet affaiblissement du patrimoine national semble confirmer les frayeurs des milliers de manifestants anti-gouvernement. Pour eux, toutes les réformes de l’exécutif cherchent à mettre en place un régime de droit individuel pour Benyamin Netanyahou.
La victimisation comme argument électoral
Le chef du Likoud a fait de sa victimisation un argument électoral primordial. Fils d’un universitaire renommé d’origine ashkénaze, il aime pourtant se présenter comme persécuté par l’establishment. Il s’assimile ainsi à l’expérience de sa base, électeurs de la périphérie, issus de classe ouvrière, plutôt d’origine séfarade et souvent mis au ban de la société israélienne.
Ses opposants ne savent pas comment répondre à cette posture. « La gauche ne voit pas ce que Benyamin Netanyahou a très bien compris : le problème n’est pas idéologique, mais démographique, insiste un ancien proche du premier ministre, aujourd’hui sur le banc des accusés à ses côtés. Les manifestants font du bruit, mais ils ne sont qu’une goutte d’eau dans les 10 millions d’Israéliens. La majorité, issue du prolétariat, s’est alliée à un bloc religieux soudé. “Bibi” est le liant – il peut demander ce qu’il veut. » Et ainsi changer le pays à son image.
Par Nicolas Rouger