Christophe Cognet entreprend une enquête rigoureuse sur les photos clandestines prises à Dachau, Buchenwald et Auschwitz-Birkenau.
Une pluie battante sur une modeste étendue d’eau fait soudain recracher à la terre des particules blanchâtres, un temps identifiées comme de petits cailloux. Une voix révèle que ce sont des ossements humains. En une séquence liminaire qui tombe comme un couperet, voilà résumée l’inestimable tâche d’À pas aveugles : exhumer des cendres de la Shoah chaque empreinte qui pourra témoigner que cela a eu lieu.
Après Parce que j’étais peintre (2013), centré sur les peintures et dessins réalisés dans les camps nazis, Christophe Cognet poursuit son étude du sujet en consacrant un documentaire aux multiples photographies clandestines ayant témoigné de la réalité de ces lieux. Devant et derrière la caméra, le documentariste conduit une enquête rigoureuse nourrie de minutieux décryptages de chaque cliché retrouvé et identifié à ce jour. Entre les ruines, là où la nature a repris ses droits et où le chant des oiseaux encercle les souvenirs de l’horreur, la caméra foule la terre des camps (Dachau, Buchenwald) jusqu’à conclure son mouvement à Auschwitz-Birkenau.
Le plus éprouvant mais aussi le plus précieux, ce fragment examine quatre photographies capturant le centre d’exécution. Une matière décisive de l’histoire qui parvient à fixer non pas le moment de la mise à mort(“image impossible”, comme le rappelle le cinéaste en voix off) mais son avant (des femmes contraintes de se déshabiller avant d’être emmenées à la chambre à gaz) et son après (des Sonderkommandos en train de jeter les corps dans une fosse d’incinération).
Entreprise de disparition généralisée
Entre la démarche d’un historien et celle d’un juge d’instruction menant une reconstitution, le cinéaste recompose les faits et tente de comprendre d’où ont été pris les différents clichés, avec quelle méthode de dissimulation, ou encore interprète les intentions de l’émetteur ou émettrice de l’image. De ces multiples interrogations déchiffrées avec une méticulosité admirable, le film redessine le quotidien des camps d’extermination et raconte la nécessité absolue, pour une poignée d’humain·es, de saisir une trace de cette entreprise de disparition généralisée.