Une peine de quatorze ans de réclusion avait été requise par le parquet qui voyait une forme de « dissimulation » dans le récit de l’accusée.
près cinq heures de délibéré, la cour spécialement composée de Paris a condamné Douha Mounib à douze ans de réclusion criminelle, assortie d’une période de sûreté des deux tiers. « C’est une décision à la fois sévère qui sanctionne la gravité des faits. La cour a eu des difficultés à apprécier la sincérité de vos propos et a été confrontée à une difficulté à apprécier le désengagement qui a été le vôtre. Les éléments de personnalité les plus récents sont plus positifs mais ont été contrebalancés par votre tentative d’évasion […] Il y a une évolution mais il a été difficile pour nous d’apprécier objectivement la sincérité de cette évolution, on ne dit pas qu’elle n’existe mais, par votre comportement, vous avez un peu brouillé les pistes. […] Douze ans, c’est une condamnation sévère, mais ce n’est pas la fin d’une vie. Il vous appartiendra de mettre en place tous les éléments pour éviter de réitérer les risques. Il faut vous engager dans un processus pour continuer », a déclaré le pédagogue président de la cour, Laurent Raviot. « Je m’attendais à une peine au-dessus de dix ans de toute façon », lui a souri Douha Mounib. « Bon courage, madame, et ce n’est pas fini », répond le président.
Une peine de 14 ans requise
« Sur la peine, je vais vous demander un quantum significatif, j’en ai conscience. » À l’issue d’un réquisitoire qui a duré un peu plus d’une heure, Alexa Dubourg, l’avocate générale, avait, quant à elle, demandé une peine de quatorze ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté des deux tiers à l’encontre de Douha Mounib, accusée d’association de malfaiteurs terroriste criminelle (AMT). La jeune femme de 32 ans encourait trente de réclusion pour avoir, à deux reprises, en 2013 et en 2015, rejoint l’État islamique en zone irako-syrienne. « Cette peine doit évidemment sanctionner la gravité intrinsèque des faits, qui est alourdie par la circonstance particulière d’avoir entraîné avec elle un enfant sur un théâtre de guerre. La peine sanctionnera également la réitération des agissements de Mme Dounib, sa détermination n’ayant jamais failli, ainsi que ses agissements sur zone. » Dans le box, Douha Mounib, vêtue d’un pull jaune, écoute attentivement, le visage posé dans le creux de sa main.
Dans son propos liminaire, la représentante du Parquet national antiterroriste (Pnat) rappelle que, sur le fond, il est reproché à Douha Mounib d’avoir apporté un soutien « idéologique et logistique » à l’État islamique, des faits constitutifs de l’AMT criminelle. Si l’avocate générale a tenu à souligner que l’accusée ne contestait ni les départs sur zone ni d’avoir adhéré pleinement à l’idéologie mortifère du groupe terroriste, elle estime que Douha Mounib a, au cours de l’enquête comme de ce procès, livré une version « très édulcorée » de son quotidien sur place. « Elle retient délibérément un certain nombre d’informations susceptibles d’avoir une incidence sur la sanction qui pourrait être prononcée à son encontre », déclare la représentante du ministère public.
Elle évoque d’abord la « minimisation des faits partant de sa responsabilité ». Car si Douha Mounib reconnaît sa culpabilité, l’avocate générale insiste sur « les détails » : que faisait son mari sur zone ? Quel était son quotidien ? « C’est cela qui doit permettre une individualisation de la peine », dit Alexa Dubourg. Or l’accusée ne dit pas tout sur ces points, estime-t-elle. Elle ne croit pas, par exemple, à ses explications concernant les raisons de son départ. La jeune femme a soutenu que son but était avant tout « humanitaire ». Le fait qu’elle reconnaisse avoir voulu combattre étant, selon l’avocate générale, incompatible avec de quelconques velléités humanitaires. « Il ne faut par ailleurs pas se méprendre sur cet argument, quand les revenants expliquent avoir voulu aider, il faut sortir du mythe de la distribution de sacs de riz, il s’agit pour les hommes d’aller prendre les armes et pour les femmes de les soutenir, car l’objectif, c’était avant tout de renverser le régime syrien par la force et la terreur dans le but d’installer le régime de la charia », note l’avocate générale.
« Je ne prendrai pas le pari de la croire »
La représentante du ministère public revient aussi sur le rôle tenu par son deuxième mari religieux, le père de sa fille, qui reste à ce jour introuvable. « Mme Mounib nous explique qu’il n’a pas combattu, qu’il a esquivé, gagné du temps, mais ce qui met à mal ces déclarations, c’est la longévité du séjour sur zone. Une explication d’autant moins crédible qu’il faisait partie d’une katibat [unité de combattants, NDLR] d’élite, dédiée à la formation des combattants infiltrés. C’est une katibat dans laquelle on n’est pas intégré par hasard. » Sur ces points, Alexa Dubourg estime que l’accusée ne dit pas la vérité. Tout comme elle minimiserait, toujours selon l’accusation, la portée de ses activités de sage-femme. « Ces fonctions étaient essentielles, vitales pour l’EI, qui fonde toute sa propagande sur l’émigration et la politique nataliste pour former les futurs moudjahidines », dit Alexa Dubourg. Elle estime que les compétences de l’accusée lui ont offert une place « gratifiante » au sein de l’EI, idée que l’accusée a vivement rejetée au cours des débats, indiquant qu’il n’y avait rien d’institutionnalisé, qu’elle n’avait d’ailleurs aidé qu’une petite dizaine de femmes à accoucher, par simple « bouche à oreille ».
Avant de demander à la cour d’entrer en voie de condamnation et d’annoncer le quantum de peine requis, l’avocate générale a rappelé que le procès servait à évaluer le degré de dangerosité de l’accusé. C’est encore plus vrai pour ce type de procès terroriste, où la menace de la taqiya, « dissimulation », plane. La représentante du Pnat considère que, en minimisant certains faits, Douha Mounib se drape dans la dissimulation. « Ses parents vous l’ont décrite comme honnête, mais il existe aussi une capacité à leur mentir. En partant à leur insu, en le faisant en trahissant leur confiance, la jeune femme se montre capable d’une détermination extrême. »
Au sujet de sa récente tentative d’évasion de Fresnes, le 14 novembre 2021, l’avocate générale dit qu’il faut une « détermination et une persévérance hors du commun », qui existent « encore aujourd’hui ». Lors du procès, plusieurs experts psychiatres et psychologues ont, en effet, décrit la jeune femme comme « jusqu’au-boutiste » et qu’il existait chez elle une forme de « psychorigidité ». Mardi, Douha Mounib disait de cette tentative d’évasion qu’elle n’avait « rien à voir avec la religion », mais qu’elle voulait simplement récupérer sa fille. Une forme de radicalité qui ne rassure pas le parquet, qu’elle soit religieuse ou non.
« Elle nous dit aujourd’hui qu’elle a changé. Ce que je constate simplement, c’est qu’avant sa tentative d’évasion elle disait qu’elle était dans une acceptation de la détention. En février 2022, elle a une discussion avec sa mère au cours de laquelle elle dit qu’elle n’adhère à aucune valeur de la République. Avant ça, elle disait déjà qu’elle était prête à s’assouplir… » Autant d’éléments qui laissent douter l’avocate générale de l’authenticité des déclarations de l’accusée. Et de conclure à l’endroit de la cour : « Je représente la société, et au vu des éléments développés je ne prendrais pas le pari de la croire. »
« Une méfiance de principe »
C’était ensuite à Me Joseph Hazan, l’avocat de Douha Mounib, de prendre la parole. Une plaidoirie subtile qui revient à son tour sur les enjeux centraux du procès : les supposées minimisation et dissimulation. L’avocat évoque l’évidente détermination de sa cliente, un élément qui, certes, forge un parcours atypique et individuel, mais l’avocat de prévenir : « Elle est plus intelligente que les autres, Douha Mounib, elle élabore un discours plus fin que les autres. J’espère que son intelligence plus forte que la moyenne ne va pas aggraver son cas. » Il réfute également l’idée que la cour fasse « la preuve par le vide » : « La taqiya, c’est un joker que les juges ne peuvent pas brandir à tort et à travers » et voit dans le fait que sa cliente ait reconnu d’elle-même que son parcours était « perfectible » un gage d’authenticité.
« On sait qu’il y a encore du chemin à parcourir mais je ne veux pas que vous remettiez à plat l’intégralité de ses déclarations », dit l’avocat. « Comment lever cette méfiance de principe érigée en posture de la justice antiterroriste ? » interroge encore l’avocat, soucieux que sa cliente soit condamnée pour les seuls faits qu’elle a commis. L’avocat de la défense revient sur les événements traumatiques qui ont émaillé la vie de Douha Mounib, un avortement, alors qu’elle était encore très jeune ou encore la mort de son premier enfant au lendemain de sa naissance : « Ne sont-ils pas des ressorts personnels qui ont contribué à ce que Douha Mounib aide des femmes sur zones à accoucher ? »
Plutôt qu’une participation au projet nataliste de l’État islamique, l’avocat voit dans cette activité sur zone la réalisation d’une tâche « informelle » guidée par la personnalité intrinsèque de sa cliente. Sur la tentative d’évasion de Fresnes, il parle d’une « réaction insensée » qui ne démontre en rien la « persistance d’une dangerosité idéologique ». Et de jeter un regard vers le parquet : « Il y a toujours un mais avec Douha Mounib, qu’on transforme en quatorze ans et deux tiers, mais quatorze ans et deux tiers, ce n’est pas une peine de doute, c’est une peine de certitude. » Puis d’exhorter la cour : « Je vous demande de faire un pas vers elle. »