De nos jours, dans la ville de Québec, la population est on ne peut plus homogène. En effet, la grande majorité de ses habitants sont d’origine française et catholique. Pourtant, en 1861, à l’image de Montréal, la population anglophone y était de 40%. De plus, au XIXe siècle, le quartier Saint-Roch accueillait un petit quartier chinois et un autre juif.
À la surprise de plusieurs, les Québécois d’origine judaïque sont toujours présents dans la capitale. La Société historique de Québec vous présente aujourd’hui un rapide survol de l’histoire des Juifs à Québec.
Les premiers juifs à Québec
Il est généralement admis que les premiers Juifs à poser le pied sur les quais de Québec l’auraient fait lors de la Conquête britannique de 1759-1763. En effet, plusieurs officiers du général anglais Jeffery Amherst étaient juifs, dont Aaron Hart, Hananiel Garcia, Emmanuel de Cordova et Isaac Miramer. Néanmoins, il n’est pas exclu qu’ils en soient venus en Nouvelle-France. Toutefois, s’il y en a eu, ils cachaient leurs origines puisqu’en 1627, le cardinal de Richelieu avait décrété qu’il était interdit aux personnes de confession judaïque de venir s’établir en Amérique du Nord.
Le quartier Saint-Roch
Aussi étonnant que cela puisse paraître, le quartier Saint-Roch a longtemps accueilli le quartier juif de Québec. Il se trouvait dans le secteur de l’actuelle gare du Palais et dans l’axe de la rue Saint-Joseph. Cette communauté s’installe véritablement à Québec au lendemain de la Conquête, mais ce n’est qu’en 1831 qu’elle est autorisée à avoir un lieu de culte et à tenir des registres d’état civil.
En 1852, la communauté Beth Israël ouvre une première synagogue au coin des rues Saint-Jean et Saint-Augustin, dans le faubourg Saint-Jean. Elle déménage par la suite sur la rue des Jardins.
Vers 1891, on l’installe sur la rue Henderson du quartier Saint-Roch, où vivaient plusieurs familles juives. Cette rue n’existe plus aujourd’hui. Perpendiculaire à la rue Saint-Paul, elle se trouvait face à l’actuelle gare du Palais.
En 1897, l’ancienne maison du constructeur de navires John Munn, située sur la rue Grant, aujourd’hui la rue Monseigneur-Gauvreau, est transformée en synagogue. C’est là que se réunissaient les membres de la Hebrew Congregation et de la Hebrew Relief Society.
Les membres de la diaspora élisaient domicile dans Saint-Roch en raison de sa vocation commerciale et de la rue Saint-Joseph qui le traversait. En effet, beaucoup de ses membres étaient des commerçants.
La synagogue de la rue Crémazie
Peu après son ouverture sur la rue Grant, la synagogue de la communauté Beth Israël déménage sur la rue Sainte-Marguerite, toujours dans le quartier Saint-Roch. En 1910, une deuxième communauté, Ohev Sholom, ouvre sa propre synagogue. Elle était également située en basse-ville, sur la rue des Fossés, aujourd’hui le boulevard Charest.
En 1927, ces deux communautés fusionnent sous l’appellation de Beth Israël Ohev Sholom. Beaucoup de ses membres ayant réussi en affaires, plusieurs habitent désormais en haute-ville. En 1932, ils veulent y installer leur synagogue. Toutefois, dans le contexte de la montée de la pensée antisémite, les résidents et l’Administration municipale s’y opposent. De plus, l’arrivée de la guerre ne fait qu’exacerber cette tendance. Néanmoins, devant l’opinion publique nord-américaine, la Ville doit céder.
La synagogue de la haute-ville ouvre finalement ses portes dans le quartier Montcalm en 1944, et ce, non sans avoir été victime d’un incendie criminel. Situé sur la rue Crémazie Est, l’édifice est complété en 1951 selon les plans des architectes montréalais Eliasoph et Berkowitz. En 1985, il est transformé en salle de spectacle, le Théâtre Périscope. Bien qu’elle ait subi plusieurs modifications, l’ancienne synagogue est toujours reconnaissable et des caractères hébraïques ornent toujours sa façade.
Le cimetière Beth Israël
Il s’agit d’un petit terrain d’à peine 0,57 hectare. Il est ceinturé d’une simple clôture à mailles losangées, sauf sur le boulevard René-Lévesque où s’élève une clôture de fer forgé et un portail flanqué de plaques expliquant que cette clôture est un don de Maurice Pollack et de son épouse.
En 1966, cette bordure du cimetière avait été amputée de 4,3 mètres pour permettre l’élargissement de la rue. Des sépultures avaient alors été déplacées et une chapelle avait été démolie. Les quelque 300 lots et monuments du site sont plutôt simples, en accord avec la croyance juive qui veut que tous soient égaux devant la mort. En 1992, le gouvernement du Canada le désignait pour son importance historique nationale. Bien qu’il soit peu fréquenté de nos jours, il demeure l’un des rares témoins de la présence juive à Québec.
Des prisonniers de guerre allemands
Bien peu de Québécois se souviennent que des soldats allemands sont débarqués dans le port de Québec le 28 juin 1940. En effet, à la demande du gouvernement britannique, le Canada a accepté, quelques jours auparavant, de recevoir 3 000 prisonniers de guerre. […] Londres juge [ces hommes] encombrants et, advenant une invasion allemande, dangereux.
Les premiers arrivés, pour la plupart des officiers de l’armée de l’air allemande, sont hébergés sur les plaines d’Abraham, aux Cove Fields. Ce camp est sous le commandement de Jean-Victor Allard et sous la garde des membres du 12e Blindé de Trois-Rivières.
Viennent ensuite se joindre aux prisonniers un nombre important d’internés civils, des juifs allemands en grande majorité, qui ont fui l’Allemagne nazie avant la guerre. Les Britanniques se méfient de ces hommes, allant jusqu’à croire qu’ils [puissent] être des espions à la solde des nazis.
Le camp, en plein cœur d’un lieu très fréquenté, attire même les touristes, curieux de voir qui peut bien vivre derrière cette clôture de barbelés. Il ferme ses portes à la fin de l’année 1940. Certains gardes raconteront plus tard qu’il y a eu quelques tentatives d’évasion, dont l’une s’est soldée par la mort du fugitif. […] (Texte d’Andrée Laprise)
Esther Brandeau
En 1738, débarque à Québec un jeune homme du nom de Jacques La Fargues. Rapidement, on se rend compte qu’il s’agit en réalité d’une jeune fille, Esther Brandeau, de surcroît une juive. À Québec, on vivait alors dans l’orthodoxie catholique. En 1739, elle est donc déportée et retourne en France, le roi Louis XIV assumant même ses frais de voyage. Elle a probablement été la première personne juive en Nouvelle-France. Elle est demeurée à Québec une seule année, mais l’histoire s’en souvient tout de même.
Esther Brandeau est née en France vers 1718. Vers l’âge de 15 ans, ses parents l’envoient chez sa tante en Hollande. Son bateau sombre, mais elle survit. Hébergée à Biarritz, elle prend la décision de s’habiller en garçon et de ne plus retourner chez ses parents. Dès lors, elle mène une existence aventurière étant tour à tour mousse, garçon de courses, domestique et capitaine d’infanterie.
En 1983, Barbra Streisand réalise et joue dans le film Yentl. C’est l’histoire d’une jeune juive qui quitte son village et entreprend une nouvelle vie déguisée en garçon. Se serait-elle inspirée de l’histoire d’Esther Brandeau? En 2004, l’autrice montréalaise Sharon E. McKay a écrit un roman jeunesse biographique sur Esther Brandeau.
John Franks
Jusque tard au XIXe siècle, les grandes villes, dont Québec, étaient souvent victimes de conflagration. Pour prévenir les incendies, on édicte des règlements, dont celui du ramonage obligatoire des cheminées, une fois par mois, d’octobre à mai. Ainsi, en 1768, on met sur pied une brigade de ramoneurs et c’est John Franks qui est nommé au poste de surintendant des ramoneurs et d’inspecteur des cheminées pour la ville de Montréal. Franks devient ainsi le premier juif à obtenir une nomination à un poste public dans tout l’Empire britannique.
John Franks serait né en Bavière avant de passer en Angleterre. En 1749, on le retrouve à Halifax où il est marchand. En 1760, il est à Philadelphie, avant d’arriver à Québec l’année suivante. Il s’installe par la suite à Montréal où il obtient sa nomination. Dans cette ville, il appartient à la congrégation Shearith Israel. Dans les années 1780, il revient à Québec où il achète l’auberge du Chien d’Or tenue par Miles Prentice jusqu’à son décès survenu en 1787. C’est là que se réunissaient les francs-maçons. À l’étage de son établissement, Franks présentera des concerts de musique et des pièces de théâtre. Il meurt à Québec en 1794..
Abraham Joseph
Il s’implique dans divers champs d’activités à Québec, principalement dans des compagnies de navigation et d’assurances maritimes. Il s’implique également dans des activités bancaires et, en 1873, il participe à la fondation de la Stadacona Bank dont il devient le premier président. Il sera président du Bureau de commerce de Québec de 1863 à 1866, puis vice-président de la Chambre de commerce de la Puissance de 1876 à 1878. Enfin, il a siégé à plusieurs conseils d’administration et il a occupé plusieurs postes honorifiques. Il a touché à la politique à titre de conseiller municipal pour le quartier Saint-Louis de 1854 à 1861 et il a échoué à deux reprises à accéder au poste de maire. Il est décédé à Montréal en 1886. Il est malheureux que ce prospère homme d’affaires soit tombé dans l’oubli.
Sigismund Mohh
Sigismund Mohr est un ingénieur en électricité né à Breslau, en Pologne, en 1827. Il passe quelques années à Londres avant de s’établir à Québec en 1871. Cet immigrant marquera sa ville d’adoption par l’introduction de nouveautés technologiques.
Lorsque Mohr s’installe dans la capitale, c’est pour travailler dans le domaine du télégraphe. En 1877, il forme la City District Telegraph Company. Le 9 octobre 1877, il donne une démonstration du téléphone, qu’on décrivait alors comme une conversation, par la parole et à distance, par fil télégraphique. L’appel, entre un magasin de la rue Saint-Jean et la salle de récréation des prêtres du Séminaire de Québec, est un succès.
Toutefois, son exploit le plus remarquable a lieu le 29 septembre 1885 alors qu’il fait la démonstration de l’éclairage électrique. En effet, il fait illuminer 34 ampoules électriques sur la terrasse Dufferin devant 20 000 spectateurs ébahis. Le courant est transporté par des fils depuis la centrale de la chute Montmorency. Ce sera le début d’un temps nouveau pour Québec. Il meurt à Québec le 15 décembre 1893. De nos jours, une épigraphe accrochée à la façade de la maison qu’il habitait au 1 de la rue Sainte-Ursule rappelle sa mémoire.
Maurice Pollack
Maurice Pollack est né en 1885 dans la région de Kyïv, en Ukraine. Comme des milliers de ses compatriotes juifs russes fuyant les pogroms, il arrive au Canada en 1902, à l’âge de 17 ans. Pendant plus d’une vingtaine d’années, il est colporteur dans la région de Québec, plus particulièrement en Beauce, avant d’ouvrir un premier magasin, rue Saint-Joseph, dans le quartier de Saint-Roch. Soutenu activement par sa conjointe, Rifka Tarantour, son magasin connaît un grand succès commercial grâce à sa politique de bas prix ainsi qu’à sa politique de vente de vêtements à prix fixe. Il fait face à l’hostilité du clergé et d’une partie de la population qui lancent une campagne antisémite de boycottage dans les années 1930-1940. Les curés appellent alors à n’acheter que chez des marchands chrétiens.
En 1953, Pollack inaugure un magasin ultramoderne, comprenant au sous-sol un premier grand magasin d’alimentation Steinberg, et un stationnement de 150 places. Il se fait également construire une magnifique maison à colonnades sur la Grande Allée, symbole de sa réussite sociale. Homme profondément religieux et d’origine modeste, Pollack consacre la fin de sa vie à la philanthropie. Il crée en 1955 la Fondation Maurice-Pollack. Il est décédé le 16 décembre 1968. (Texte de Réjean Lemoine)
Pour en apprendre davantage, vous pouvez consulter le livre Les Juifs de Québec: quatre cents ans d’histoire de Pierre Anctil, Simon Jacobs et autres, édité aux Presses de l’Université du Québec en 2015.
Un texte de Jean-François Caron, historien, Société historique de Québec