Une exposition réunit des photographies, des lettres et des dessins réalisés par les petits pensionnaires raflés le 6 avril 1944 dans cette maison-refuge de l’Ain. Bouleversant.
Ils sourient face à l’objectif, le regard pétillant de malice, l’air heureux. Au loin, le Jura dresse une muraille illusoire entre la guerre et eux. Nous sommes à l’été 1943. Ces petits garçons et ces petites filles ne dissimulent pas leur joie de pouvoir – enfin – souffler un peu, après de longs mois d’angoisse. Ces enfants juifs ont réchappé aux rafles qui se multiplient depuis 1941 et se sont encore intensifiées en France début 1942 ont trouvé « refuge » à Izieu, en plein cœur du Bugey (Ain). « C’est là que Sabine et Miron Zlatin ont créé, dans une maison à l’écart du village, une « pension » pour cacher ceux qui sont, comme eux, menacés de déportation par l’État français », expose Dominique Vidaud, directeur de ce lieu de mémoire.
Le couple Zlatin a ouvert, au printemps 1943, une « colonie » destinée à recueillir ceux que l’on qualifierait aujourd’hui de mineurs isolés. « Ils ont choisi cet endroit car ce territoire est alors placé, comme onze autres départements du Sud-Est, sous administration italienne, moins encline à déporter les Juifs. Ils savent aussi pouvoir compter sur le soutien du sous-préfet du coin, Pierre-Marcel Wiltzer (1910-1999) », précise Claire Decomps, du Musée d’art et d’histoire du Judaïsme.
C’est dans une jolie maison de maître qui domine la vallée qu’ils se sont installés. « Ici, on peut voir loin », a dit Sabine Zlatin en visitant les lieux. Comprenez : « On a une chance de distinguer une menace avant qu’elle ne parvienne au sommet. » Plus de 120 enfants passeront sur place entre mai 1943 et avril 1944. Grâce aux époux Zlatin, une soixantaine, placés dans des familles d’accueil avant la rafle, parviendra à survivre.
Quarante-quatre n’auront pas cette chance. Faute d’avoir été dispersés, ils seront arrêtés le 6 avril 1944. Ces bambins se nomment, entre autres, Claudine, Sami, Liane, Jacques, Alice, Jean-Paul, Jeanne, Gilles ou Max. Depuis octobre 1943, une institutrice, Gabrielle Perrier, leur fait cours à l’étage dans une petite salle transformée en classe. Compte tenu de leur écart d’âge – la plupart ont entre 4 et 12 ans, mais le plus grand en a 16 –, les enseignements se font par petits groupes.
« Sabine Zlatin a à cœur de redonner le goût de la vie à ces petits qui ont souvent connu une expérience traumatisante dans un camp d’internement au titre de la législation antijuive de l’époque », explique Stéphanie Boissard, en charge des archives du lieu. Sabine, qui a un goût particulier pour les arts, les fait dessiner. Elle leur confie un projet de groupe : raconter des histoires sur de longs rouleaux de papier. Des bobines qui serviront lors de soirées passées devant une « lanterne magique », pendant l’hiver 1943.
La Gestapo cerne la « colonie »
Sur trois longs rubans de papier, les enfants racontent trois histoires distinctes : les aventures d’un pirate, d’un brave moujik mais aussi d’un méchant gangster. Ces leporellos (livres accordéon), une fois dépliés, font irrésistiblement penser à la bande argentique d’un film de cinéma mais aussi, inconsciemment, à la Méguila d’Esther, ce rouleau de parchemin lu lors de la fête de Pourim, dont l’héroïne parvient à neutraliser le machiavélique ministre perse qui projette d’anéantir les Juifs de son pays.
Nul happy end pourtant, ici. Le 6 avril 1944, la réalité de la guerre rattrape les habitants de la maison d’Izieu. Les soldats allemands de la Gestapo de Lyon cernent la « colonie ». Tous ses locataires sont arrêtés. Quarante-quatre enfants et sept animateurs sont déportés. Une seule reviendra des camps : Léa Feldblum, qui émigrera en Israël où elle décèdera en 1989.
Cette rafle constituera, en tout cas, l’un des chefs d’accusation retenus contre Klaus Barbie lors de son procès en 1987. C’est en effet sous les ordres de cet officier SS que furent conduits l’arrestation et le transfert à Drancy puis à Auschwitz – trois des victimes ayant été fusillées dans une forêt près de Tallinn, en Estonie – des déportés d’Izieu, comme l’atteste un télex ayant servi de pièce à conviction.
Documents exceptionnels
Collectés par Sabine Zlatin, de retour dans la maison, vers la fin avril – elle était jusque-là en déplacement à Montpellier –, les dessins laissés par les enfants à Izieu seront conservés par ses soins pour servir de preuves dans les procès à venir. « Serge et Beate Klarsfeld ont, par ailleurs, sillonné l’Europe pour retrouver des lettres des jeunes pensionnaires de notre maison dans la perspective du procès Barbie », précise Dominique Vidaud.
Serge Klarsfeld a accumulé des documents bouleversants, parmi lesquels des croquis et des petits mots signés Georges Halpern, dit Georgy. « Georgy avait mon âge, des parents qui s’aimaient, un parcours qui se croisait avec le mien et qui tentait d’éviter le face-à-face avec les monstres. J’ai survécu ; Georgy a péri. Comme si j’avais été privé de mon jumeau. Je n’ai pas voulu que disparaisse ce moi qui aurait pu être lui… » évoque l’ancien avocat, président de la Fédération des fils et filles de déportés juifs de France, qui, les années passant, s’est de plus en plus identifié à ce jeune garçon.
Ce sont ces documents exceptionnels, aujourd’hui conservés à la Bibliothèque nationale, qu’expose jusqu’au 23 juillet prochain le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme. Ces quelque 150 objets mêlent photographies, documents d’archives et dessins crayonnés. Ils racontent, de manière brute, cette page particulièrement sombre de l’histoire du XXe siècle. Une époque où, en France, on envoyait à la mort de petits enfants juifs.
« Tu te souviendras de moi », paroles et dessins des enfants de la maison d’Izieu, 1943-1944. Exposition au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, 71, rue du Temple, Paris 4e, jusqu’au 23 juillet 2023.