Autrefois proche de François Mitterrand, André Bercoff officie désormais sur Sud Radio. Il y promeut souvent des théories anti-vaccins, pro-Trump ou pro-Bolsonaro. L’achèvement d’une longue dérive idéologique.
L’acte de contrition est inattendu. « Je suis d’accord avec vous, ça, c’est un excès », reconnaît André Bercoff. Par « ça », il désigne un tweet datant du 30 décembre 2021, dans lequel il accusait « certains » de « mettre en place une solution finale du problème des non-vaccinés ». « C’était maladroit, ou en tout cas excessif. Je vous l’accorde volontiers ! », reprend-il. Le journaliste de 82 ans évoque son « humeur parfois mauvaise conseillère ». Parfois ? Ne serait-ce que le 8 janvier dernier, l’agitateur s’est illustré dans un tweet envoyé à ses 213 000 abonnés. L’animateur de Sud Radio s’est réjoui de la mise à sac des institutions de la République brésilienne par des militants d’extrême droite pro-Bolsonaro. « Viva Brazil ! Là-bas, il existe encore un peuple ! Qui bossa et qui nova ! Et qui se révolte quand les vessies #Lula essaient de se faire passer pour des lanternes ! Saudade ! Saravah », a-t-il écrit, en référence à la récente élection de Lula à la tête du pays.
Il n’est pourtant pas bolsonariste, jure-t-il. Pas plus qu’il ne serait anti-vaccin. La preuve, dixit Bercoff : il s’est fait vacciner contre le Covid. Mais ses rapports avec la science sont hasardeux. Il a ainsi déclaré sur le plateau de LCI, en novembre 2020, qu’il n’y avait « aucune preuve » de l’efficacité du confinement, et que « nous avons été manipulés par un extraordinaire fantasme de pandémie ». Dans son émission, il a ensuite reçu les pontes de la mouvance anti-vaccin. Comme la généticienne Alexandra Henrion-Caude, ridiculisée au sein de sa communauté scientifique. Ou encore Vincent Pavan, président du site complotiste « Reinfo Liberté » et membre du réseau anti-vaccin Verity France. « Ce n’est pas parce que je reçois quelqu’un que je suis forcément d’accord avec lui, assure André Bercoff. Je veux que les gens puissent écouter ce qu’ils ont à dire. Ensuite, ils en font ce qu’ils veulent… » Les propos tenus par ses invités annoncent tout de même la couleur.
Dans Bercoff dans tous ses états, l’émission quotidienne qu’il tient à la mi-journée sur Sud Radio, l’animateur reçoit parfois des personnalités plus consensuelles, comme le journaliste du Monde Fabrice Lhomme ou le spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus. Ce ne sont pas celles qui font le plus d’audience sur YouTube, où ses conversations avec Philippe de Villiers, Charles Gave, Didier Raoult, Idriss Aberkane, Francis Lalanne ou Juan Branco régalent les complotistes et autres anti-système. Ces rendez-vous enregistrent jusqu’à 2 millions de vues. Quand il aborde ’invasion russe en Ukraine, le polémiste tend volontiers son micro aux experts pro-Poutine : Olivier Piacentini, politologue fréquentant les plateaux de Radio Courtoisie, l’ancien habitué de RT France René Chiche, ou encore la journaliste Anne-Laure Bonnel, connue pour ses reportages pro-russes dans le Donbass. Dès qu’il le peut, Bercoff ne se gêne pas pour dénigrer lui-même, de sa grosse voix, ce qu’il estime être la « doxa majoritaire ». Cela passe notamment par une remise en cause des élections démocratiques. Pour lui, l’invasion du Capitole le 6 janvier 2021 par des militants pro-Trump marque un « début de printemps américain ».
« Il y a eu une fraude massive », a-t-il écrit à ses abonnés sur Twitter. Aujourd’hui encore, nul besoin d’interroger André Bercoff pour qu’il rebondisse sur le sujet. Il suffit d’évoquer le nom de Joe Biden pour que l’animateur dégaine, se disant « violemment contre le vote électronique et le vote par correspondance ». Aux Etats-Unis comme au Brésil, le recours à ces deux systèmes se trouve au cœur des théories complotistes, qui les accusent d’avoir permis une fraude massive… au détriment des deux présidents d’extrême droite, Donald Trump et Jair Bolsonaro. Un point de vue que partage le journaliste. « Pour avoir parlé à des techniciens, je sais qu’il est extrêmement facile de truquer, et que même des gens éveillés ne verront rien », assure-t-il. De là à affirmer que les élections américaines et brésiliennes sont illégitimes ? Bercoff évite de répondre et préfère se draper dans sa posture de médiateur. Il n’est là que pour « interroger » car les « autres médias » – comprenez : ceux de la « doxa » – ne font pas correctement leur travail.
Interrogé sur ses valeurs – met-il vraiment Trump et Biden, Bolsonaro et Lula, Zelensky et Poutine sur le même plan ? -, l’homme esquive. Ce n’est que pour reprendre ensuite avec gourmandise chacun des thèmes appréciés par la complosphère, comme quand il évoque, au détour de la conversation, en référence au fils du président américain. « Pourquoi les médias n’en parlent-ils pas ?, fait-il mine de s’interroger. Je vais vous le dire : parce que Biden appartient au supposé ‘camp du bien’. Pour la même raison qu’ils ne critiquent pas Lula, alors qu’il a été condamné pour corruption et qu’il a fait de la prison ! ». Peu importe que la condamnation du président brésilien ait été annulée par la Cour suprême pour vice de forme. Dans l’esprit d’André Bercoff, tout ce qui est marqué du sceau du mainstream est suspect, d’où une fascination pour les théories les plus échevelées.
Cette passion pour les théories complotistes et les propos outranciers ne date ni de l’élection de Bolsonaro, ni du Covid. Dès les années 2010, il employait par exemple déjà sur Twitter l’expression de « solution finale », pour évoquer le sort des Chrétiens d’Orient. Aujourd’hui, de vive voix, il vise Emmanuel Macron le « stagiaire », s’égosille contre Daniel Cohn-Bendit le « crétin » à qui il intime de « la fermer » et s’en prend à « Notre-Drame de Paris », Anne Hidalgo.
L’achèvement, à la droite de la droite, d’un parcours peu commun.
Qui aurait pu imaginer, il y a vingt ans encore, André Bercoff, éditorialiste couru des plateaux télé, ami de la Mitterrandie, avoir son rond de serviette sur la chaîne YouTube d’extrême droite TV Libertés ? « Je n’ai jamais été trotskiste, maoïste, lambertiste. Je n’ai jamais été d’un parti », balaie-t-il, avant d’ajouter : « Et je n’ai jamais été mitterrandolâtre ! ». Il fut un temps, pourtant, où André Bercoff fréquentait de manière assidue les arrière-cours du pouvoir socialiste. Quatre ans avant l’élection de la gauche, il imagine Jack Lang ministre de la Culture dans Les 180 jours de Mitterrand, publié en 1977 sous le pseudonyme de Philippe de Commines. « Sans rien me dire, il m’avait collé ce ministère, alors que personne n’en parlait, à l’époque. Il est le premier à m’avoir imaginé publiquement à ce poste », se souvient Jack Lang, interrogé par L’Express. L’ancien ministre s’amuse de son flair, se troublant un peu au moment d’évoquer les saillies de son « ami André ». « Je n’écoute pas la radio et je ne regarde pas la télé, donc je ne sais pas de quoi vous me parlez », assure-t-il, préférant louer le « bon vivant », l’homme d’une « drôlerie incroyable », et « l’imitateur brillant ». Jack Lang n’est pas le seul à ménager André Bercoff.
« On ne se brouille pas avec un ami de quarante ans », abonde Jacques Attali, qui assure toutefois « combattre vivement ses idées ». L’ancien conseiller spécial de François Mitterrand préfère chanter les louanges « d’un très bon écrivain « . Il apprécie d’autant plus sa plume que Bercoff l’a un temps mise à son service – ou plutôt de celui de l’ancien président. Un an après l’arrivée de la gauche au pouvoir, le journaliste se glisse dans la peau d’un « hiérarque giscardien » et rédige sous le pseudonyme de Caton, tribun romain, deux tomes intitulés De la reconquête . Le pamphlet, très critique envers la droite, fait grand bruit. Pour préserver la mystification, Attali et Bercoff demandent même à François Hollande, alors jeune conseiller inconnu de Mitterrand, d’endosser le rôle de Caton dans les médias. La plaisanterie dure, jusqu’à ce que, dans l’émission Apostrophes , l’auteur du coup fumant se dévoile enfin. « André a toujours été un peu jaloux de ses propres doubles », philosophe Jacques Attali. Par la suite, nimbé du succès de la supercherie Caton, Bercoff sera nommé quelques mois conseiller des programmes sur TF1, qui est encore une chaîne publique.
L’homme est un adepte des coups tordus en tout genre. Encore aujourd’hui, rares sont les amis à qui il ne raconte pas la fois où il a joué pendant dix jours le rôle d’un employé de banque, ou celui où, pour le magazine Actuel, il s’est mué en Mohamed Zahker, richissime représentant du Golfe venu acheter des châteaux bordelais. A l’époque, Bercoff s’amuse des courbettes que lui fait soudain la bourgeoisie locale. « C’est passionnant de voir le comportement des gens quand ils pensent que vous êtes milliardaire », rigole-t-il. Il a même épousé à nouveau le point de vue d’un milliardaire – authentique cette fois – en devenant en 1986 la plume de Bernard Tapie pour son ouvrage Gagner. Ils resteront liés, au point que Bercoff signera douze ans plus tard un livre prenant sa défense, Comment ils ont tué Tapie.
« Il faut reconnaître qu’André Bercoff a toujours aimé la canaille, les provocateurs. C’est pour ça qu’il était proche de Mitterrand et de Tapie, estime Olivier Barrot, écrivain et journaliste rencontré à l’époque TF1. Il a toujours apprécié une forme de réussite, fût-elle contestable ». Au mitan des années 1980, Bercoff est directeur littéraire chez Robert Laffont. Il deviendra par la suite producteur de plusieurs programmes télévisés, en animera quelques-uns, aussi, comme Ça vous regarde, sur la Cinq, ou encore de Français, si vous parliez… sur France 3. Il continue aussi d’écrire. Dans les journaux, d’abord, en dirigeant la rédaction de France Soir. Des livres, ensuite, à profusion. Des romans qu’il lui arrive – encore et toujours – de signer sous pseudonyme. Des livres politico-humoristiques, aussi, comme Raffarinades, cosigné avec le futur auteur de polars Eric Giacometti, qui se souvient d’un homme « passionné par l’international ». Des récits de voyage, effectivement, qui sont l’occasion de partir en goguette dans les meilleurs hôtels du monde.
Il se dira d’ailleurs que c’est l’écriture de son livre La Mémoire des palaces qui lui a permis de nouer un premier contact avec Donald Trump, dans les années 1990, avant de le revoir vingt ans plus tard. A l’époque, le milliardaire vient de remporter l’élection présidentielle américaine et reste inaccessible aux médias comme aux politiques français. Pourtant, le polémiste parvient à se glisser au 26e étage de la Trump Tower, et à tirer de lui vingt minutes d’entretien vidéo. Comme souvent, la réalité est moins romantique que l’anecdote littéraire. « J’ai rencontré une de ses amies lors d’un dîner à Paris, et elle m’a proposé de le rencontrer. Je ne savais pas si ça marcherait, mais j’y suis quand même allé ! », raconte-t-il.
Après ça, Bercoff grenouille quelque temps auprès de la campagne Sarkozy, dès 2007, mais c’est au début des années 2010 qu’il dévoile ses nouvelles affinités politiques. Il coécrit un échange avec des militants de Riposte laïque et du Bloc identitaire dans Apéro saucisson-pinard (Xenia, 2012), participe à la même époque à Boulevard Voltaire, le site de Robert Ménard et de sa femme. Il signe ensuite plusieurs articles dans l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles. Puis, en 2018, le naufrage : après le sauvetage d’un enfant sauvé de sa chute du sixième étage par Mamoudou Gassama, jeune Malien sans papiers, il fait venir scientifiques et avocats dans son émission pour questionner « l’hypothèse de la chute ». « Je continue de dire qu’il est impensable que cet enfant soit tombé ainsi, nous assure-t-il aujourd’hui. J’ai enquêté. » Certains de ses vieux amis lui sont fidèles. D’autres ont préféré prendre leurs distances. « Nous ne sommes pas brouillés. Mais les propos qu’il tient font qu’il est devenu infréquentable, même si j’en suis profondément peiné », soupire Olivier Barrot. Pour lui, le « personnage fantasque » qu’est « André » n’aura pas résisté aux dérapages lorgnant à l’extrême droite de « Bercoff ».
A en croire l’intéressé, il n’a pourtant pas changé d’un iota. « De quelle gauche parle-t-on ? De la socialiste qui, arrivant au pouvoir, a épousé le capitalisme avec une ferveur non déguisée ? Où est passée la gauche qui s’occupait du peuple, de la fameuse classe ouvrière, plutôt que des minorités sociétales ? », s’interroge-t-il, avant d’enchaîner sur une formule : « On dit que j’ai quitté la gauche, mais c’est plutôt la gauche qui nous a quittés. » Une dernière pirouette… pour éviter de tomber les masques ?