Pris dans de très fortes turbulences sur le marché de la vente de vêtements au détail, avec la chute des enseignes Camaïeu et Go Sport, l’homme d’affaires bordelais Michel Ohayon n’en reste pas moins un acteur de premier plan en France dans le secteur de l’immobilier commercial et le monde des palaces de luxe. Retour sur une trajectoire complètement atypique discrètement débutée à Bordeaux dans les années 1980, entre coups retentissants et projets avortés.
L’homme d’affaires bordelais Michel Ohayon, dirigeant de 61 ans de la FIB (Financière immobilière bordelaise), a commencé sa vie professionnelle dans les années 1980 en vendant des vêtements de prêt-à-porter à la marque Daniel Hechter. Une activité de vente au détail qu’il va délaisser quelques années plus tard pour s’intéresser au Meccano complet, c’est-à-dire la gestion des fonds de commerce et des murs. Et Michel Ohayon a une méthode bien rodée : il recherche des bâtiments à prix cassés, situés autant que possible en centre-ville, les fait retaper et les loue à des enseignes commerciales bien connues.
C’est le début de son aventure dans le monde feutré de l’immobilier commercial dont il va devenir l’un des plus importants acteurs au plan national. Si son nom est aujourd’hui sur toutes les lèvres, c’est que Michel Ohayon est revenu depuis 2018 dans cet univers de la vente au détail où il a démarré mais où il n’a pas fait carrière. Virage stratégique qu’il négocie avec la création en mars 2018 de la filiale Hermione People & Brand (HPB), à la tête de laquelle il va mettre Wilhelm Hubner, un ancien cadre dirigeant d’Auchan. Un mois plus tôt, en février, il a repris la gestion de 22 magasins Galeries Lafayette situés en région avec la FIB, puisque cette opération relève de son activité en immobilier commercial.
Un changement rapide de dimension sociale
C’est en septembre 2018 que HPB s’attaque avec succès à sa première cible. Mais en octobre suivant les juges du tribunal de commerce d’Evry l’empêchent de mettre la main sur une autre enseigne de référence: Toys’R’Us France. Qu’importe, Michel Ohayon en a vu d’autres et ne risque pas d’en rester là. Avec sa traque de nouvelles entreprises en difficulté à reprendre, HPB se met à frapper tous azimuts.
Si Michel Ohayon n’est pas un clone de Bernard Tapie, il déploie depuis 2018 une stratégie qui lui ressemble furieusement. HPB ramène dans ses filets des enseignes de prêt-à-porter aussi connues que Camaïeu, Gap France, le spécialiste Go Sport mais aussi le torréfacteur havrais Cafés Legal. Et c’est ainsi que le patron de la FIB, jusque-là inconnu du grand public, s’est retrouvé en moins de cinq ans à la tête de plus de 7.000 salariés. Lui qui n’aime pas parler chiffres et n’a pas une énorme expérience du dialogue social, puisqu’il a été surtout au contact du personnel de ses sous-traitants dans le secteur du bâtiment, va devoir forcer sa nature.
Retour durable des consommateurs vers les boutiques ?
En témoignent ses très récents échecs dans le prêt-à-porter, marqués par l’effondrement de Camaïeu (2.600 salariés). Des échecs médiatisés qui contrastent avec ce monde en clair-obscur de l’immobilier commercial où tout est feutré et discret, y compris les transactions.
Comme il le précisait dans un entretien accordé le 19 septembre 2019 au magazine américain Forbes, Michel Ohayon a pris conscience à la fin des années 2020 d’une évolution de fond et opté pour le retail : « Les gens plébiscitent de nouveau les boutiques de proximité. La livraison à domicile a montré ses limites, les villes sont à l’offensive pour désengorger le trafic arrivé à saturation. J’estime qu’il est important de comprendre les grands mouvements sociologiques, cette hyper digitalisation nourrit une forte envie de revenir aux magasins physiques de quartier » déroule ainsi le stratège, qui va ensuite foncer sur ce boulevard grand ouvert. Si cette tendance a été gelée par la pandémie de Covid-19, elle est repartie de plus belle à la fin du confinement. L’avenir dira si l’inflation galopante mettra à son tour un coup d’arrêt à cette envie des consommateurs.
Un fils d’immigrés marocains
Même s’il a depuis quelques années déplacé l’essentiel de sa force de frappe à Paris, Michel Ohayon conserve le siège social de son groupe à Bordeaux, où il dispose d’une équipe de direction. Né en 1961 à Casablanca, c’est l’un de ces entrepreneurs bordelais originaires d’un ailleurs plus ou moins lointain, qui a grandi et signé ses premiers succès à Bordeaux. Ce n’est pas « un fils de ». Il n’appartient pas à la gentry bordelaise. Il est arrivé avec ses parents à Mérignac (Bordeaux Métropole) à l’âge de deux ans.
Fils d’immigrés juifs marocains, qui étaient de modestes marchands de tissus, Michel Ohayon, pourtant avide de reconnaissance, ne cochait aucune de ces cases qui ouvrent les portes de la bourgeoisie bordelaise. Un milieu dont les étages supérieurs échappent aux canons de la vie provinciale pour se mêler -en particulier grâce au vin- au village planétaire des grandes fortunes. C’est ainsi que l’existence du jeune Ohayon ne pouvait être que totalement ignorée par l’establishment bordelais. Et puis, comme pour d’autres invisibles avant lui, est arrivé le moment où Michel Ohayon a commencé à réussir.
Sa première rencontre avec les grandes familles
Sa revanche contre cet aveuglement de l’establishment bordelais, un milieu qu’il a toujours décrit avec une pointe de fascination, peut-être parce que la gentry bordelaise tient à ce que Bordeaux reste considérée comme une ville où il est toujours possible de faire fortune, Michel Ohayon a pu commencer à la déguster grâce à la crise immobilière de 1991. Quand certaines grandes familles bordelaises, totalement inaccessibles pour ce jeune Français d’origine maghrébine, se sont trouvées prises au dépourvu, qu’elles ont dû vendre et que le fondateur de la FIB s’est retrouvé en position d’acheter.
Michel Ohayon pose la première pierre historique dans son panthéon personnel ce jour de 1999 où il rachète à la barre du tribunal le Grand Hôtel de Bordeaux. Un immeuble emblématique du XVIIIe installé place de la Comédie, juste en face du Grand Théâtre. Un bâtiment en déshérence depuis 1981, dont le jeune propriétaire parisien a fini par se suicider. Michel Ohayon parvient à s’emparer de ce futur palace, en intoxiquant l’autre acheteur sur les rangs. Après la Grande Récré et Camaïeu, Michel Ohayon reprend les casernes de Libourne
18.000 m2 vendus en 2004 au duc de Westminster
Quand il devient propriétaire du Grand Hôtel, pour la somme de 31 millions de francs (7,3 millions d’euros en euros constants), une somme jugée modique même à l’époque, Michel Ohayon signe son premier triomphe au cœur du port de la Lune. Le futur Intercontinental Bordeaux-Le Grand Hôtel sera livré en 2007 et cette première décennie 2000 va marquer un tournant, avec une pierre angulaire qui restera 2004.
Cette année-là, pendant des mois auditeurs, juristes et spécialistes du chiffre vont travailler d’arrache-pied dans les locaux bordelais de la Spiic (l’ancêtre de la FIB) pour boucler la vente par Michel Ohayon à la foncière Grosvenor, propriété du duc de Westminster, l’homme le plus riche d’Angleterre, de 18.000 m2 de surfaces commerciales en plein centre de Bordeaux, quasiment toute la rue Porte Dijeaux, moyennant 110 millions d’euros. Ce sera la plus grosse transaction enregistrée en 2004 en France sur ce marché. Arrive aussi une autre bonne nouvelle.
Une diversification pensée au début des années 2010
Arrêté sèchement dans son élan en 1995 par Alain Juppé, alors maire de Bordeaux, pour son projet de complexe commercial avec logements Burdipolis, en plein centre-ville, Michel Ohayon obtient enfin cette fois-ci le feu vert du palais Rohan pour réaliser un grand projet bordelais. Alain Juppé confie alors au promoteur la construction du futur auditorium de Bordeaux. Mais cette consécration ne sera pas un long fleuve tranquille. Parce que le chantier est négocié pour un prix fixe en 2004 et que les délais vont complètement déraper.
L’auditorium doit être au départ livré en 2007. Mais les nombreuses péripéties rencontrées (désamiantage, découverte de bijoux archéologiques romains, problèmes techniques, financiers, conflit avec le maître d’ouvrage) vont faire riper le chantier avec une livraison en 2012. Toujours impliqué dans l’immobilier commercial, le patron de la FIB commence à penser à se diversifier au début des années 2010. C’est au cours de cette période qu’il achète, en 2014, le Waldorf Astoria Trianon à Versailles, moyennant une somme évaluée à 150 millions d’euros. En 2014, il annonce également un nouveau programme d’investissement de 3 milliards d’euros à moyen terme, ciblé sur les palaces et les projets en immobilier commercial.
Encore de nombreux projets sur le feu y compris à Libourne
Si aujourd’hui tout le monde ou presque a l’impression que Michel Ohayon est un ogre compulsif, qui s’attaque à tout ce qui bouge pour racheter un maximum d’entreprises en un minimum de temps, le patron de la FIB sait aussi être lent. Dans l’immobilier commercial, comme les futurs palaces, cela semble même être une règle absolue. Et, au bout du compte, il fait peu de doute que la création de HPB en 2018 ne soit l’aboutissement de sa stratégie de développement partiellement dévoilée en 2014. Parce que Michel Ohayon a continué à racheter des palaces, comme le Sheraton de Roissy, en 2016, ou le Waldorf Astoria de Jérusalem en 2017, qu’il aurait acquis moyennant 160 millions d’euros selon la presse israélienne.
En France, il a également mis un pied dans le monde du vin, avec l’acquisition en 2017 du Château Trianon (Saint-Emilion grand cru) et investi depuis 2015 dans l’ancien Virgin Megastore de la place Gambetta à Bordeaux dont il veut faire un autre palace. Il est également impliqué dans le vaste programme de restructuration des anciennes casernes du centre-ville de Libourne, qui semble ne pas avancer aussi vite que le voudrait le maire, Philippe Buisson.
Michel Ohayon va-t-il survivre à ses déboires dans le commerce du prêt-à-porter, où a-t-il commis une erreur de jugement sur la dynamique du marché ? C’est la question que désormais tout le monde se pose. Mais il est probable qu’il lève le pied sur ce secteur, ne serait-ce qu’à cause de la remontée du coût de l’argent.