Caroline Goldman, la psy qui renvoie les enfants au coin

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La clinicienne, fille aînée du chanteur Jean-Jacques Goldman, va à contre-courant de la doxa et prône plus de fermeté dans l’éducation.

Il y a d’abord sa façon de parler. Une voix précise, des phrases amples, un appétit marqué pour des adjectifs justes et singuliers, assez peu dans le goût de l’époque : « incongru », « saugrenu ». Mais aussi une drôlerie qui affleure souvent, une manière très tranquille d’assassiner ce qu’elle juge intellectuellement « grossier ». Une « belle prosodie », selon un admirateur de ses amis, un « vrai talent » pour rendre intelligibles des concepts compliqués et démêler les fils de réalités ambivalentes. Caroline Goldman, donc, 46 ans, fille aînée de Jean-Jacques, psychologue pour enfants et adolescents et docteure en psychopathologie clinique, surgie depuis peu sur la scène publique. Avec un podcast notamment, lancé début 2022 et qui s’est classé en quelques mois parmi les plus écoutés de France. Avec, surtout, une « croisade » revendiquée contre les dérives de l’éducation dite « positive » ou « bienveillante ». Qui, mal digérée et mal professée, « menotte » selon elle les parents, brouille les rapports générationnels et prive les enfants des limites qu’ils réclament. Bataille où il ne s’agit pas, répète-t-elle, de réhabiliter une autorité répressive, mais de « décontaminer » les adultes et de permettre à leur progéniture de faire, en temps voulu, l’expérience de la frustration.

C’est assez net : elle n’a – elle n’avait, au moins – aucun goût pour l’exposition médiatique. Ni pour la radio, ni pour la photo, encore moins pour la télévision. La famille connaît ce que la notoriété produit de plus intrusif ; elle chérit la discrétion. Avant son premier plateau, Caroline Goldman dit avoir été dévorée d’anxiété. Elle avoue aussi, en riant un peu, s’être ranimée en visionnant en boucle le témoignage de Heather Penney, cette jeune pilote de chasse à qui, le 11 septembre 2001, avait été donné l’ordre de percuter le quatrième avion détourné par les terroristes, avant qu’il n’atteigne sa cible. « Je me disais : Ça c’est du courage, ma vieille ! Le pire qui puisse t’arriver, à toi, c’est qu’on t’envoie des tomates à la figure et qu’on te traite de réac. » 

Punition

C’était le 1er juillet 2021, dans La Maison des Maternelles, sur France 2. Pas le plateau le plus brutal qu’on puisse imaginer, sans doute. Mais il fallait tout de même du courage, reprend-elle, pour défendre ainsi les vertus de la punition. Pour inviter les parents à adopter, au besoin, une « posture froide » et « intimidante ». Pour parler de défauts « disgracieux » chez les enfants – l’envie, la jalousie… Pour dénoncer enfin un contexte de « sensiblerie généralisée » où la réalité de l’agressivité infantile est balayée par une sorte de « rousseauisme niais »« Certains grands professionnels avaient commencé de le faire, comme la psychanalyste Claude Halmos ou le pédopsychiatre Patrick Ben Soussan, dit-elle, mais peut-être de façon moins frontale. » La voilà donc, après dix-sept ans de pratique en libéral, des ouvrages et des cours délivrés à l’université, propulsée « cheffe de file » des limites éducatives.

Effet (presque) immédiat : dans un récent article du Parisien, un détracteur (anonyme) suggérait qu’elle reconduisait probablement les violences qu’elle aurait elle-même subies dans l’enfance. À quoi elle rétorquait n’avoir jamais été punie lorsqu’elle asticotait ses cadets et avoir, même, joui d’une liberté un peu excessive. Résultat, le lendemain dans Gala : un article titré « Jean-Jacques Goldman, un père violent ? Sa fille Caroline répond cash. » Elle hausse une épaule : « On ne va pas accorder d’importance à ce qui n’en a pas. » Elle dit s’être demandé, tout de même, comment sa famille allait vivre ce combat qui l’embarquerait par la force des choses. « Tout le monde est très soutenant. Entre frère et sœurs, on a la même façon d’éduquer nos enfants. Et puis surtout, on rigole, on bouquine, on se câline : poser des limites, c’est aussi s’offrir de l’espace pour tout cela. »

Fratries

Évidemment, on guette quelque chose dans le visage, dans le geste. Évidemment, l’ombre du père traîne un peu dans les coins lorsqu’on fait sa connaissance – dans les premières minutes, seulement. Sa maison de Montrouge (Hauts-de-Seine), où Caroline Goldman a aussi son cabinet, donne d’un côté sur une cour pavée, de l’autre sur un jardin. Il y a un grand salon qui sert de « place publique », dit-elle, aux bandes de copains de ses quatre enfants, une longue table en bois dans la cuisine, deux chats qui entrent et sortent paresseusement. Et elle dans le milieu, longue et vive et bouclée, qui, cet après-midi-là, prépare le dîner avant l’arrivée d’un patient. Elle aime les grandes fratries, c’est le modèle qu’elle a connu : elle a quatre sœurs et un frère, du même père et de deux mères différentes. Ses enfants à elle trouvent assez comique que ses positions puissent la faire passer pour une harpie.

« Time out »

Sa croisade est née de son « expérience clinique », dit-elle. De ces familles que, depuis huit ans, elle voit arriver dans son cabinet sans autre difficulté que celle des limites éducatives. « Des parents nourrissants, formidables, à qui il aurait suffi d’écouter leur propre bon sens. Mais à qui on est venu dire que toute crise était l’expression d’un manque affectif qu’il fallait combler par des câlins, que toute punition était susceptible de provoquer des dommages terribles et qu’un enfant obéissant était un enfant brisé. J’ai donc des petits patients qui frappent, hurlent, se rendent insupportables à leur entourage et me supplient de les sortir de cet état de sauvagerie authentique. Qui présentent même des retards d’apprentissage à cause de cette autorisation à ne pas grandir, à ne pas faire d’efforts pour avoir des comportements ajustés. »

Ce constat-là est partagé. Par des pédiatres, des enseignants, des éducateurs de jeunes enfants – par des parents, aussi. Daniel Marcelli, pédopsychiatre, qui fut le rapporteur de sa thèse et compte désormais parmi ses amis, le résume en ces termes : « L’éducation traditionnelle a longtemps privilégié l’interdit et la menace, ce qui, chez l’enfant, suscitait de la peur avec pour conséquence une inhibition fréquente. Aujourd’hui, l’enfant est volontiers stimulé dans un cadre éducatif qui manque souvent de limites, d’où la fréquence de ce que je nomme « les pathologies de l’exhibition ». »

Grand public

« Je me suis dit que je n’allais pas passer les trente prochaines années à déconstruire heure après heure les contre-vérités qui étaient assénées », reprend Caroline Goldman. Elle a écrit un livre destiné au grand public, File dans ta chambre ! (InterÉditions), et choisi le format du podcast pour la liberté qu’il lui offrait. « Comment j’ai élevé mes enfants, et comment j’aspire à ce que soient élevés mes petits patients ? Évidemment, en faisant exister leur subjectivité, un espace pour leur désir, pour l’écoute de leur plaisir. Avec une grande liberté d’action et de pensée qu’on sculpte, qu’on nourrit en aiguisant leur sens critique, en ne leur tenant pas rigueur de dire et d’éprouver ce qui les habite, mais en les éduquant aux codes de bienséance. Or des spécialistes autoproclamés, dont aucun n’a d’expérience clinique, imposent au grand public l’idée extrêmement grossière d’un psychisme qui serait soit entièrement enseveli sous la contrainte, soit entièrement libre et heureux. »

On en vient donc aux « spécialistes » ici visés. La thérapeute Isabelle Filliozat et la pédiatre Catherine Gueguen, au premier chef, dont les livres sont des best-sellers – la première est vice-présidente de la commission des « 1 000 premiers jours » mise sur pied par le gouvernement. Ou encore le coach en parentalité « Papa positive » (plus de 100 000 abonnés sur Instagram). Aucun d’eux n’a répondu à nos sollicitations. Caroline Goldman les cite abondamment, les contredit et les accuse. Ses détracteurs lui reprochent sa violence, estiment qu’elle caricature leurs positions ; elle assure, pour sa part, qu’elle ne veut rien tant qu’un débat public sur ces sujets. Elle ne ménage pas ses coups, c’est certain. Exemple, dans une réponse à un commentaire sur Instagram : « Isabelle Filliozat n’a absolument rien apporté à aucun étage. […] Je pense que son travail est confus, grossier, péremptoire et opportuniste. » On lui a conseillé de modérer son langage. Elle essaie, un peu. « Je n’ai aucun mal à mobiliser une certaine agressivité sur le sujet », reconnaît-elle dans un autre commentaire.

« De mon côté je ne mène aucune croisade, plaide Céline Quelen, créatrice de l’association et organisme de formation Stop Véo [pour violences éducatives ordinaires, NDLR]. Nous ne défendons pas une éducation laxiste, mais une éducation qui respecte l’intégrité physique et psychique des enfants. Cela suppose de savoir ce que l’on peut attendre d’eux et à quel âge. Cela suppose aussi de nous sortir de la tête l’idée qu’ils « font des bêtises » pour ennuyer les adultes. »« Il me semble que Caroline Goldman ne tient aucun compte des progrès récents en psychologie de l’enfant, avance une consœur psychologue. Quand elle écrit que l’enfant recourt à des « armes verbales acérées » ou qu’il mène une « contre-offensive tout à fait sophistiquée », elle tombe dans l’adultomorphisme : elle fait comme s’il avait les intentions et les capacités cognitives d’un adulte. »