Les plus vieilles papillotes de poisson découvertes en Israël

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Des microrestes de poisson trouvés sur le site Gesher Benot Ya’aqov en Israël révèlent qu’il y a 780 000 ans, les occupants du site cuisaient des carpes à l’étouffée.

Gesher Benot Ya’aqov est un site préhistorique en Galilée, dans le nord d’Israël. Pour les préhistoriens, qui ont pris l’habitude de le désigner par les trois premières lettres de son nom hébreu GBY, ce site est d’une importance scientifique considérable, car il témoigne de la sortie d’Afrique avant 800 000 ans de groupes humains porteurs d’une culture acheuléenne évoluée utilisant le feu : vraisemblablement des Homo erectus. L’équipe d’Irit Zohar, du musée Steinhardt à Tel Aviv, révèle aujourd’hui à quel point, en effet, ils étaient évolués : ces Acheuléens savaient contrôler la cuisson de leur poisson !

Les Acheuléens sont des populations qui pratiquent une technique de taille produisant des éclats coupants et des outils sur éclats, mais qui est surtout identifiée par son outil iconique : le biface. À GBY, cette sorte de hache ou de couteau à tout faire de chasseurs-cueilleurs opportunistes servait à équarrir des éléphants et d’autres animaux, à couper des végétaux exploités, mais aussi à préparer des poissons. Des carpes géantes mesurant jusqu’à deux mètres pullulaient en effet dans un lac voisin – le paléo-lac Hula –, et il est vraisemblable que les occupants de GBY pouvaient les attraper facilement à la main. Lors de précédentes recherches sur ce site, la répartition de nombreux micro-artefacts en silex brûlé avait démontré la présence de foyers durables, donc de l’utilisation fréquente du feu – sans qu’on sache si les occupants savaient le produire à volonté.

Dans les mêmes couches que les silex brûlés, les chercheurs ont collecté quelque 40 000 microrestes de poissons. Plus de 95 % sont des dents pharyngiennes, ces dents que les carpes (et d’autres poissons) portent au fond de leur gueule. Or on sait que les os cartilagineux des poissons se ramollissent à la chaleur – ils servent souvent à la préparation de gélatine –, de sorte qu’ils se conservent mal une fois cuits. C’est pourquoi la forte proportion de dents pharyngiennes dans ces restes de poissons suggère que ces derniers furent cuits à une certaine température contrôlée et non pas carbonisés directement dans le feu.

Pour vérifier cette hypothèse, l’équipe d’Irit Zohar a étudié par diffraction aux rayons X la dilatation thermique des nanocristaux composant l’émail des dents, et ainsi établi leur exposition à une chaleur faible à modérée. Concrètement, à moins de 500 °C, alors qu’un feu de bois produit, typiquement, des températures entre 800 °C et 1 000 °C. Conclusion : les occupants de GBY faisaient cuire les carpes qu’ils attrapaient à mains nues à moins de 500 °C.

Les chercheurs ont aussi montré que les carpes étaient au menu des Acheuléens toute l’année, en retraçant l’histoire hydrologique du paléo-lac Hula par les isotopes, notamment de l’oxygène et du carbone.

Comment cuisaient-ils ces poissons ? Rien ne l’indique, mais les chercheurs supputent que les communautés vivant à GBY enterraient les carpes dans la terre près des foyers, possiblement après les avoir enveloppées dans des feuilles de nénuphar géant récoltées dans le lac. Cette technique de cuisson du poisson dans des feuilles se pratique encore de nos jours.

Les occupants préhistoriques de GBY sont des membres de la vague d’Acheuléens qui s’est répandue en Eurasie, où son arrivée est attestée par l’apparition soudaine de « bifaces évolués » – des bifaces particulièrement bien taillés et symétriques. En Europe, de premiers bifaces apparaissent vers 700 000 ans (Notarchirico, Italie), puis d’autres – tous évolués – à partir de 650 000 ans (le Moulin Quignon, Abbeville). L’écart entre GBY et l’Europe s’explique sans doute par le délai nécessaire pour apprendre à affronter le froid. Le feu – peut-être d’abord un feu apprivoisé qu’il fallait maintenir – a sans doute joué un rôle. Les premières attestations d’un usage habituel du feu en Europe remontent en tout cas à 450 000 ans (grotte du Menez-Dregan à Plouhinec en Bretagne) ; après 400 000 ans, le feu domestiqué est manifestement d’un usage général. La présence du feu à GBY et donc avec la vague H. erectus qui a investi l’Europe après 800 000 ans n’a rien d’anodin : forme de prédigestion, la cuisson optimise la valeur calorique des aliments, les stérilise et détoxifie ; libérant la face de la nécessité de muscles masticateurs puissants, elle a aussi fourni davantage d’énergie pour le développement du cerveau humain. Enfin, le poisson est aussi un aliment particulièrement favorable au fonctionnement du cerveau, surtout, si, comme cela se fait toujours, on le cuit à l’étouffée dans une épaisse feuille. Une recette probablement vieille de 780 000 ans.

François Savatier

Source pourlascience