En répondant à la diffamation par le droit, le recteur tombe dans le piège des représentativités et prend le risque de nourrir les radicalités. Kamel Daoud.
Voilà donc qu’en France, et c’est un grand malheur, c’est aux plus éclairés, aux plus instruits, de jouer aux radicaux et d’en assumer la sale besogne : le recteur de la Grande Mosquée de Paris, homme très à distance du moindre soupçon de radicalité, dépose plainte contre l’écrivain français le plus lu de l’époque, le plus lucide, malgré son personnage mondain simpliste. Et c’est un malheur français, avec un malaise pour tous. Car voir un représentant d’une religion ni encore apaisée ni vue comme apaisante déposer plainte contre un écrivain est une erreur de stratégie, sinon de raison et de façon. L’écrivain est sacré en France, sa sacralité est concomitante de la longue histoire « nationale » qui ici inventa la laïcité, sépara salutairement l’Église de l’État et a permis d’écrire, de lire, d’imaginer sans souffrir du diktat des religieux ou d’une religion. S’attaquer à cette liberté, même excessive dans la diffamation, c’est décrocher le mauvais rôle dans le casting des luttes pour les libertés. Qu’espère celui qui dépose plainte aujourd’hui contre Houellebecq et son propos primitif ? Gagner un procès. Mais il y perdra surtout une occasion de consolider la francisation de l’islam de France, son contrat fragilisé avec la république, son coefficient de modération qui a tragiquement tardé sur la violence.
Martyr
Car, dans l’affaire qui oppose le recteur de la Grande Mosquée au grand écrivain, il y a l’histoire de la France derrière Houellebecq (même si c’est abusif) et la mauvaise histoire de l’islam politique et de l’islamisme agressif, avec des écrivains menacés, exilés, insultés, diffamés, tués. Un casier judiciaire, exagéré ou réel, qui ne plaide pas pour que le procès intenté par la mosquée de Paris soit un bénéfice, ni un gain même, et il faut insister en répétant que cette mosquée phare n’a rien à voir avec les radicalités, les attentats, le terrorisme ou l’intolérance. On y croise d’ailleurs ceux-là mêmes qui essaient de libérer l’islam de l’islamisme et la foi de la radicalité, et qui le paient en se heurtant à une adversité terrible. Mais, voilà, il s’agit cette fois d’imaginaire, d’écrivain et de religion : un écrivain incarne un certain rôle dans l’histoire française ; or l’islam de France ou d’ailleurs n’a pas bonne réputation face aux écrivains, dans ce pays ou dans d’autres. On ne comprend pas, dès lors, le geste du recteur, son manque de lucidité ni l’erreur de calcul qui va offrir à un propos malvenu une dimension de symbole et permettre à Houellebecq de devenir un martyr de la liberté de dire et d’imaginer. On y gagnera peut-être un procès retentissant, mais on perdra le rôle du bon au profit de celui du méchant.
Mais Hafiz a-t-il tort ? Formellement non : les musulmans de France ont le droit de dénoncer, s’opposer à la diffamation, l’insulte et l’appel à la haine. C’est ce qui fera d’eux des Français de pleins droits et devoirs. Et le propos de Houellebecq, lu et relu, frappe par son indigence, sa platitude : il a le coefficient d’un post Facebook écrit par un hater numérique. Il joue le jeu des recruteurs adverses et n’éclaire en rien le malheur de la France. Le recteur a le droit de déposer plainte, et recourir à la loi vaut mieux que de convertir la colère ou la haine en attentat, diront les plus cyniques. Cela n’atténue pas néanmoins le malaise.
Jeu dangereux
Malaise donc. Car l’écrivain a raison de jouir de son droit d’excès, de débordement et de provocation. On vient de partout habiter, se réfugier dans ce pays, la France, quand on est écrivain, parce qu’on y aime la langue, la culture et la liberté. Le recteur a raison de déposer plainte pour consolider le lien de la citoyenneté. Mais il a tort parce qu’il perd de son crédit dans sa bataille pour sortir l’islam de France de sa tranchée de reclus, et parce qu’on ne gagne rien à faire le procès d’un homme qui a le génie de la littérature mais pas celui du discours. Houellebecq a raison de dire ce qu’il veut, d’écrire et d’aller vers l’excès. Mais il a tort parce que sa lucidité est prétexte à la bêtise. Hafiz a tort d’engager la représentativité de l’islam de France, et Houellebecq n’a rien d’un représentant de la France pour émettre des verdicts. C’est sans fin. Les arguments se valent, s’équilibrent, se déséquilibrent et nous font perdre du temps, de la raison, de l’espoir. Les musulmans de France ont-ils le droit de se défendre comme d’autres communautés ? Oui, mais l’islam de France n’a pas encore bonne réputation à cause des islamistes et de leurs crimes. Houellebecq a-t-il raison de dire ce qu’il a dit ? Non, son talent se dégrade en médisance et sa lucidité en aigreur. On tourne en rond, personne n’y gagne, sauf les radicaux, les extrémistes de deux bords, l’internationale islamiste et celle des propos idiots. La seule certitude est que cette affaire risque d’être vite fatwatisée, détournée et amplifiée : une mosquée contre un écrivain, c’est tout ce qu’on retiendra dans un monde de hâte et d’intox. Et l’affaire n’est pas qu’un malaise français : dans le reste du monde dit arabe, les radicalités y trouveront leur pitance et leur propagande féroce pour diaboliser la France, l’écrivain et la littérature. On n’en avait pas besoin, et c’est bien la première fois qu’on va vivre ce désastre ventriloque où un recteur qui professe la modération et un écrivain qui en appelle à la lucidité jouent à un jeu qui n’attire que les extrémistes, les inaptes à la mesure.
Kamel Daoud
ce Kamel Daoud peut bien tant qu’il le veut lécher les bottes du grrrand écrivain ou pire encore et en toute lâcheté, renvoyer les parties en présence dos à dos : le racisme n’est pas une opinion -mais un délit