La gauche israélienne, chronique d’une lente agonie

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המחנה הציוני התיעציות בית הנשיא איתן כבל מרב מיכאלי עמר בר לב איילת נחמיאס אייל בן ראובן צילום: אורן בן חקון22/03/2015
Défaits dans les urnes lors des dernières élections, les partis de gauche sont au plus bas, victimes de leurs rêves de grandeur et de leur incapacité à imprimer leur discours sur la scène politique.

Le Meretz a flanché d’abord. Le petit parti de gauche, solide promoteur de la solution à deux Etats qui eut son heure de gloire dans les années 90, avait pourtant réussi un « bon » score aux élections de mars 2021 – 6 députés à la Knesset et 4 ministres au gouvernement dit du «changement», celui qui a remplacé Benyamin Nétanyahou. Mais le mois de mai a été éprouvant pour la coalition hétéroclite d’alternance. Une vague d’attentats à caractère terroriste jamais vue en quinze ans, des troubles à Jérusalem, sans compter le meurtre de la journaliste Shireen Abu Akleh, tuée lors d’un raid de l’armée israélienne à Jénine.

Pour la députée du Meretz Ghaida Rinawie Zoabi, Palestinienne d’Israël, c’en était trop. Le 19 mai, elle a quitté la coalition gouvernementale. Celle-ci avait perdu sa majorité absolue un mois plus tôt à cause d’un premier départ, celui d’une députée du parti ultranationaliste Yamina – à l’autre extrémité du spectre politique. La coalition, très fragmentée, allait de la gauche à l’extrême droite, et sa cohésion reposait avant tout sur l’hostilité commune à Nétanyahou. Avec cette défection, elle devenait minoritaire en valeur absolue, avec 59 membres sur les 120 que compte la Knesset. A partir de là, la gauche, qui avait fait un retour marquant aux affaires, entame une chute rapide.

Echec électoral

Après la démission de Ghaida Rinawie Zoabi et l’annonce d’un nouveau scrutin, une crise interne secoue le Meretz. En une semaine, mi-juillet, trois de ses plus hauts cadres jettent l’éponge. Dans l’ordre, Issawi Frej, lui aussi Palestinien d’Israël et ministre de la Coopération régionale, annonce qu’il ne se présentera pas aux élections. Nitzan Horowitz, chef du parti et ministre de la Santé, quitte la présidence du Meretz. Tamar Zandberg, qui détenait le portefeuille de l’Environnement, annonce son retrait de la vie politique. Une légende revient pour tenter de sauver ce qui peut l’être : Zehava Gal-On, 66 ans, militante des droits humains. Sous sa direction dans les années 2010, elle avait réussi à maintenir le Meretz au-dessus du seuil électoral. Mais la formation, qui avait travaillé pour s’ouvrir à la population arabe israélienne, perd cet électorat. Le naufrage s’annonce.

L’autre formation de gauche historique en Israël, le Parti travailliste, regarde le navire du Meretz sombrer, en espérant secrètement en profiter. Sa cheffe, Merav Michaeli, croit en sa bonne étoile, s’imagine même faire jeu égal avec le Premier ministre centriste Yair Lapid, leader de la coalition. Sous sa direction, le parti était passé de 3 à 7 sièges. Les sondages sont mauvais, cette fois-ci, mais elle ne les écoute pas. Elle refuse de former une alliance avec le Meretz, malgré une offre jugée généreuse de Lapid : 10 postes de ministres au gouvernement, quel que soit le score des deux partis de gauche réunis.

Las, le jour des élections, les travaillistes dévissent, perdant 100 000 électeurs. Ils envoient de justesse quatre députés à la Knesset, le minimum. Quant au Meretz, il passe sous le seuil électoral d’un cheveu – il lui a manqué 3 500 votes pour être représenté au Parlement. «Ne pas faire cette alliance était une énorme erreur. Merav Michaeli s’est déconnectée de la réalité. Et maintenant, c’est terminé. On est dans un cauchemar», regrette Emilie Moatti, ancienne membre du Parti travailliste à la Knesset. «Pour Michaeli, c’était avant tout une question d’ego. Et elle pensait qu’une alliance lui coûterait des sièges. Elle aurait dû voir les choses venir. C’est politiquement criminel ce qu’elle a fait. Elle a tué le Meretz, estime Neri Zilber, journaliste basé à Tel-Aviv et analyste au Washington Institute. Ça fait plus d’une décennie que la gauche n’arrive pas à se reconstruire.»

«Associés à l’élite de Tel-Aviv»

Pour Emilie Moatti, la crise est encore plus ancienne. Elle l’a fait remonter à l’assassinat du leader travailliste Yitzhak Rabin, en 1995, par un militant d’extrême droite : «On était trop choqués. On a pris le rôle de victime, sans passer à la contre-attaque. Et plus personne n’ose parler du processus de paix, pour ne pas énerver la droite. Le deuil de Rabin doit se terminer.»

Selon Laura Wharton, cadre du Meretz à Jérusalem, «nous sommes associés à l’élite de Tel-Aviv, ce qui énerve pas mal d’Israéliens». «L’extrême droite a effrayé les gens tout en offrant des réponses faciles. Alors que la gauche a beaucoup à dire sur la sécurité. Les terroristes venant en majorité des Territoires palestiniens, c’est sensé d’avoir deux pays avec une frontière qu’on pourrait fermer. On était en train de répondre au problème de criminalité dans les villes arabes israéliennes. Mais nous avons échoué à montrer qu’il y a des alternatives plus efficaces et plus humanitaires que les solutions offertes par l’extrême droite.»

Les ministres de gauche ont paru largement absents lors de l’année passée au pouvoir – alors que les cris d’orfraie de l’extrême droite israélienne saturaient l’espace médiatique. «Ils avaient une superbe opportunité, après des années de traversée du désert, de reconstruire leur marque et élargir leur électorat. Mais le public n’a pas senti qu’ils ont fait ce qu’on attendait d’eux. Je comprends qu’ils ont été très disciplinés et ont dû avaler l’agenda de leurs partenaires de droite, mais il y a un problème de fond», dit Neri Zilber.

Positionnement anti-Nétanyahou

Une partie du vote de gauche a été captée par le parti centriste Yesh Atid dirigé par Yair Lapid, qui a bondi de 17 à 24 sièges. «Lapid attend son heure. Il sait que ce sera un mauvais moment à passer, mais Nétanyahou n’est pas éternel. Il veut rebâtir un système bipartisan à l’américaine, dans lequel il veut se placer comme l’héritier de Rabin. Au passage, il élimine Merav Micheali, victime de ses illusions de grandeur», décrypte Yaëlle Ifrah, analyste politique et ancienne conseillère à la Knesset.

La coalition sortante souffrait d’un manque d’offre politique, n’ayant pas grand-chose d’autre à offrir qu’un positionnement anti-Nétanyahou. Après les élections du 1er novembre, elle n’est plus en mesure de renouveler l’exploit de 2021 et de rassembler une majorité solide à la Knesset. Yair Lapid devra attendre encore, en espérant que le nouveau gouvernement ne détruise pas les institutions israéliennes.

par Samuel Forey

Source liberation