Exsangues, imprégnés de malheur, de douleur, de l’horreur, ils arrivent sur son établi souvent dans un état déplorable. Amnon Weinstein les ramène à la vie, à la musique et à l’espoir: c’est d’ailleurs l’intitulé justement choisi pour son projet Les Violons de l’Espoir. Ces instruments renaissent. Après avoir traversé le pire. Restaurés, ils font le tour du monde pour résonner sur scène dans des salles de concert toujours bondées. Amnon Weinstein, né en 1939, est issu d’une lignée de musiciens et luthiers. Son père Moshe a quitté la Pologne en 1938 pour s’installer en Palestine où il a créé son atelier. «Mon père a commencé cette collection au plus fort de la guerre. De nombreux musiciens qui étaient interdits de jouer en Allemagne nazie ont rejoint l’orchestre philharmonique ici. Plus tard, sont arrivés ceux rescapés des camps ou des ghettos qui ont pu survivre car on les utilisait pour jouer de la musique. Seulement, en 1945, tout ce qui provenait de l’Allemagne nazie était boycotté. Personne ne voulait de ces instruments. Mon père a commencé à les collectionner ainsi.» Des années durant, ces pièces chargées d’histoires tragiques sont restées rangées dans l’atelier familial.
Amnon a continué l’œuvre de son père en toute discrétion jusqu’en 1999 où il a été invité à une conférence à Dresde, en Allemagne. À son retour en Israël, il lance un appel sur une radio nationale. «J’ai demandé à ceux qui avaient en leur possession des violons abîmés par la guerre de me les apporter. Il y a eu un effet boule de neige. J’ai aujourd’hui 112 violons. Ils viennent des ghettos, d’Auschwitz et d’ailleurs. Je continue à en recevoir et j’ai actuellement trois instruments sur mon établi. Certains sont dans un piteux état et nécessitent plusieurs années de travail pour être restaurés. Ils ont parfois passé du temps dans la neige, ont été cassés, brûlés ou pas entretenus. Pour chacun d’entre eux, je mobilise tous mes efforts pour qu’ils retrouvent un jour une salle de concert.»
Réparer pour mémoire
L’œuvre de son père est devenue une mission, un sacerdoce pour Amnon Weinstein, qui ne peut oublier que presque tous les membres de sa famille ont été décimés par la guerre et la barbarie. Son père, sa mère et un de ses oncles sont les trois seuls survivants de la Shoah. Le luthier transforme cette douleur en musique avec chacune de ces pièces de bois. «Ils étaient en morceaux et, lorsque je parviens à les réparer, ils retrouvent leur sonorité. Chaque fois, c’est un miracle, se réjouit-il. Les violons parlent, racontent, s’expriment pour ceux qui ont souffert et qui ne sont plus là. C’est mon devoir de le faire pour les 400 membres de ma famille qui ont péri et les 6 millions de personnes massacrées. Je continuerai à le faire jusqu’à mon dernier souffle.»
Du souffle et de l’énergie, Amnon en a encore et ne cesse de faire vivre ses Violons de l’Espoir qui jouent, chaque fois, à guichets fermés dans le monde entier, comme en novembre dernier, à Paris, où se tenaient trois concerts. L’histoire continue avec Avshalom, son fils âgé de 46 ans, luthier lui aussi. Son atelier est installé à Istanbul. De là-bas, il organise les rencontres, les conférences et les concerts de ces violons dont les dates sont planifiées jusqu’en 2025 pour continuer de transmettre à travers chaque note le lourd passé de notre Histoire mais aussi, et surtout, l’espoir.