Pourquoi Israël ne cesse de chuter dans le classement PISA

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Avec la montée en puissance des ultra-orthodoxes, l’étude de la Bible prend le pas sur le reste, et notamment les mathématiques.
“Il existe deux mythes sur l’éducation israélienne, déclare Haim Shaked, directeur du forum des écoles normales d’Israël. Le premier est que les juifs se préoccupent vraiment de l’éducation. C’était peut-être vrai lorsque nous étions en exil et que nous devions conserver notre identité juive. En Israël, aujourd’hui, ce n’est plus le cas. La deuxième idée reçue consiste à croire que parce qu’Israël semble à la pointe de la Tech, avec de nombreuses start-up, cela signifie que l’éducation israélienne est excellente. Ce que nous avons, ce sont des îlots d’excellence au milieu d’un système défaillant.”

Crise des vocations chez les enseignants

Un rapport publié en octobre dernier est venu confirmer ce sombre diagnostic. Le nombre d’enseignants stagiaires a chuté de 38 % par rapport à l’an passé, tandis que le moral dans les classes s’effondrait. Le gouvernement a augmenté le salaire des enseignants et facilité l’accès aux écoles normales. Mais le nombre de professeurs ne cesse de diminuer. La profession manque d’attractivité. Les jeunes Israéliens brillants sont aujourd’hui plus enclins à se tourner vers le secteur de la Tech.
En effet, plus de 10 % de la main-d’œuvre israélienne est employée par l’industrie technologique, ce qui est peut-être la proportion la plus élevée au monde, mais certains doutent que cela dure, car les enfants israéliens obtiennent des résultats lamentables aux tests internationaux. “Nous recevons de sérieuses plaintes de la part des entreprises, des universités et même de l’armée concernant le niveau des diplômés de nos écoles”, déclare Dalit Stauber, directrice générale du ministère de l’Éducation. Le système éducatif israélien est confronté à “une crise stratégique”.

Écoles laïques vs écoles religieuses, le grand écart

Dans le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), un test conçu par l’OCDE et passé principalement par les élèves des pays développés, le classement d’Israël pour les jeunes de 15 ans n’a cessé de chuter. En 2018, le pays occupait le 29e rang sur 37 pays évalués, son score était encore plus bas en mathématiques (32e) et en sciences (33e).
Dan Ben-David, économiste à l’Institut Shoresh de Tel Aviv, a étudié les résultats et a trouvé encore plus de raisons de s’inquiéter. Si les tests ne s’appliquaient qu’aux écoles laïques d’Israël, le pays serait dans le top 10 des pays riches. Mais ses écoles religieuses publiques font largement chuter le niveau général, et pour les établissements scolaires de la minorité arabophone d’Israël, c’est encore pire. “Même ces chiffres sont trompeurs, observe-t-il. Ils n’incluent pas les écoles juives ultra-orthodoxes, qui n’enseignent pas le programme national et ne passent pas le test PISA.”
“Nous voyons constamment les écarts se creuser parmi les postulants à notre cursus’’, déclare Yuval Elbashan, doyen du collège Ono, la plus grande institution académique privée d’Israël, qui accueille un grand nombre d’étudiants arabes et ultra-orthodoxes. “Nous devons mobiliser des ressources importantes rien que pour mettre les nouveaux étudiants à niveau.”
En 2020, un cinquième des enfants ont commencé l’école primaire dans le système ultra-orthodoxe. Cette proportion est appelée à augmenter, car les ultra-orthodoxes ont un taux de natalité élevé. Leurs partis politiques, membres de la coalition qui a remporté les élections israéliennes le 1er novembre, ont obtenu la promesse du nouveau Premier ministre, Binyamin Netanyahou, que leurs écoles recevront des fonds publics. Et cela, même si elles n’appliquent pas le programme national et refusent de manière générale d’enseigner des matières “laïques” telles que les mathématiques et l’anglais au-delà d’un niveau rudimentaire – et pour les garçons seulement jusqu’à l’âge de 12 ans. Après cela, les élèves sont obligés de suivre des cours exclusivement religieux.

Un système éducatif divisé en plusieurs courants religieux

Les difficultés d’Israël en matière d’éducation ne sont pas dues à un manque d’investissement. Les dépenses consacrées à l’enseignement primaire et secondaire au niveau national, qui représentent plus de 5 % du PIB, sont plus élevées que dans tout autre pays riche. Mais son système de réseaux bien distincts d’écoles publiques pour les élèves juifs de différents courants et pour les élèves musulmans et druzes, nécessite une bureaucratie lourde et intrusive qui gêne les enseignants et les chefs d’établissement. “Israël n’est pas le seul pays à souffrir d’une pénurie d’enseignants ou à connaître des inégalités sociales importantes, déclare Adar Cohen, directeur du département sciences de l’éducation de l’université hébraïque. Mais la façon dont son système scolaire public est divisé en différents courants est unique – et la source majeure de ses problèmes.”
Cette division signifie que les programmes, les tests et la formation des enseignants sont menés séparément. Le niveau de financement par élève dans les écoles publiques, qu’elles soient juives ou arabes, est le même. Mais les autorités locales disposant de moyens importants complètent le financement des écoles de leurs localités. Les parents aisés compensent également les lacunes de l’enseignement que reçoivent leurs enfants. “Presque tous les élèves vont dans des écoles publiques, mais il existe toute une industrie cachée de cours privés, payés par les parents qui peuvent se le permettre, qui tient l’économie israélienne”, déclare Yoav Pridan, directeur d’un lycée de Tel-Aviv et coprésident de l’organisation de chefs d’établissement Manhigim (“Leaders” en hébreu).
“Les ministres de l’Éducation et les directeurs généraux du ministère changent constamment, et les directeurs d’établissement scolaires ne sont pas en mesure d’apporter des changements dans leurs propres écoles, car nous sommes coincés dans un système centralisé et politisé”, explique Yoav Pridan. Sept ministres de l’Éducation se sont succédé au cours de la dernière décennie.

La montée des ultra-orthodoxes au ministère de l’Éducation

Dalit Stauber, nommée par le gouvernement sortant, a cherché à réformer les méthodes d’enseignement. Elle a distribué des primes aux enseignants pour qu’ils restent dans la profession et a accordé plus d’indépendance aux chefs d’établissement. Elle a également offert aux écoles ultra-orthodoxes des fonds supplémentaires si elles acceptaient d’enseigner les mathématiques, les sciences et l’anglais à un niveau plus élevé. Mais elle est sur le point de partir après seulement un an d’exercice dans ses fonctions. Un nouveau ministre issu du Likoud, le parti de Binyamin Netanyahou, va certainement essayer d’établir un programme différent. La tentative de réforme de l’équipe sortante a suscité des critiques de la part de la droite et des religieux pour avoir soi-disant délaissé les études bibliques traditionnelles.
Un nouveau vice-ministre représentant la droite religieuse cherchera sans doute à faire en sorte que les écoles ultra-orthodoxes puissent continuer à négliger les matières laïques telles que les mathématiques et les sciences. Entre-temps, on prévoit que les ultra-orthodoxes passeront d’environ 12 % de la population aujourd’hui à 25 % d’ici 2050. Sans une sérieuse réforme de l’éducation, Israël pourrait devenir un pays où les gens connaissent leur Livre des Nombres [le quatrième livre de la Bible, ndt], mais pas leurs nombres ni leurs livres.