Laurent Lévy, un homme de vision

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Le très religieux et iconoclaste président d’Optical center a hissé son enseigne à la 10e place mondiale des groupes d’optique. Il ambitionne de passer au 5e rang en 2030.

Il ne craint rien ni personne, sauf Dieu, dont il loue la grandeur dans chacune de ses phrases. Qu’il parle de l’empire qu’il a créé, de ses sept enfants, du chocolat (son péché mignon), de la ville de Jérusalem, dans laquelle il a fait son aliyah en 2005, des Beatles dont il reprend à la guitare les tubes, ou de sa fondation qui a distribué 250.000 paires de lunettes et 11.000 appareils auditifs en Israël en quinze ans…

Lui, c’est Laurent Lévy, 56 ans, le président de l’enseigne Optical Center (1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, 5500 collaborateurs, 710 magasins en France et à l’international), leader du marché en France et 10e groupe mondial d’optique et d’audition. «Tout le monde me prend pour un fou, mais je veux juste aider mon prochain», jure ce patron hyperactif, réputé pour son impatience, son culot et sa simplicité.

Et c’est peu dire que le parcours de ce fils d’un boucher juif rapatrié d’Algérie, qui rêvait sur les Grands Boulevards à Paris de devenir footballeur professionnel, est «hors norme», comme le décrit un ami. Personne n’aurait parié un shekel sur ce titulaire d’un brevet professionnel en optique après une année de médecine, qui est devenu, trois décennies plus tard, la 378e fortune de France (selon le magazine Challenges) et la 26e d’Israël (selon le quotidien Haaretz).

Surtout pas son banquier, qui lui a refusé en 1991 de lui prêter des fonds pour se lancer à Boulogne-Billancourt. Le motif? Il y avait déjà 15 opticiens en ville… «J’ai insisté, fait jouer mes réseaux et finalement emprunté 900 000 francs, dont 400 000 à mes parents, pour ouvrir ma première boutique», se rappelle cet éternel optimiste qui mettra trois ans pour devenir numéro un et ouvrir deux autres magasins, à la Défense et à Neuilly.

Folie des grandeurs

Son secret? Anticiper les envies des clients en leur vendant des montures de luxe à prix cassés. «Rien ne l’arrête. Il voit tout en grand», confirme Sandra Vidal, la directrice formation d’Optical Center, dans le groupe depuis… trente et un ans. «Il n’a peur de rien et n’a pas les mêmes limites que les autres», abonde un ami proche, qui lui trouve parfois «un petit côté “sale gosse” quand on lui résiste».

Sa réussite atteste toutefois de la folie des grandeurs de cet ambitieux visionnaire. «Il a rendu l’impossible possible, en intégrant dès 2007 dans ses magasins les produits d’audition. Ses concurrents, installés dans le secteur depuis plus longtemps, n’ont pas réussi le quart de ce qu’il a réalisé en quinze ans, applaudit Pascal Boulud, CEO de Signia Hearing France, qui loue  sa détermination sans faille et sa vision claire».

Il a aussi lancé en 2020 un service de proximité avec une flotte de 100 véhicules haut de gamme pour faire des bilans optique et auditif aux populations isolées dans des territoires difficiles d’accès. Il avait également créé quatre ans plus tôt à Lyon une clinique de chirurgie réfractive.

Œil pour œil, dent pour dent

Qu’on ne s’y trompe pas: Laurent Lévy est un dirigeant clivant, binaire – on l’aime ou on le déteste -, qui n’hésite pas à frapper le premier s’il veut asseoir sa position ou défendre une cause juste. Œil pour œil, dent pour dent, comme il est écrit dans la Torah, qu’il étudie depuis près d’un demi-siècle… Au début des années 2000, ce chevalier blanc, qui a un côté Robin des bois, a lancé «la guerre des six groupes», en référence à la guerre des Six-Jours, en attaquant en justice, simultanément, six de ses concurrents qui fraudaient la Sécu en optimisant les remboursements de lunettes. Une stratégie dont il ressortira gagnant, mais avec des ennemis à la pelle, à commencer par Alain Afflelou.

En interne, en revanche, Laurent Lévy est adulé, limite gourou de secte. «C’est un humaniste qui fait du bien et aime les gens avec lesquels il travaille», pointe son mentor Daniel Abittan, le fondateur de Grand Optical et Chateauform’. «Il ne dirige pas par la peur», confirme Jean Teule, le directeur du développement d’Optical Center, lui aussi dans le groupe depuis trente ans, même s’il impose à ses vendeurs d’être toujours tiré à quatre épingles…

Management atypique

Dans l’entreprise, tout le monde se tutoie. Son management est atypique, chaque séminaire d’intégration se terminant en fête sur le toit du siège parisien, même pendant… les confinements.  « Des collaborateurs heureux font des clients heureux», répète-t-il à l’envi, passant régulièrement de la parole aux actes. Il y a un an, il a affrété 11 avions pour emmener 2661 personnes (collaborateurs, fournisseurs et prestataires) en Israël quand l’enseigne a décroché la première place du secteur de l’optique en France. «Il voit son groupe comme une colonie de vacances», jure Sandra Vidal. Cet été, il a racheté près d’Angoulême un château, avec 170 hectares de parc, pour permettre à ses salariés d’aller s’y reposer en famille.

Et pas question de s’arrêter – en tout cas pas avant 70 ans, l’âge de la transmission, selon les textes – en si bon chemin. Pour son groupe, dont il détient 100 % du capital, Laurent Lévy vise la 5place mondiale en 2030 et l’ouverture de 1000 nouveaux magasins d’ici cinq ans dans 10 pays, notamment aux États-Unis. Pour sa fondation, il a lancé en novembre une action humanitaire en Afrique à partir de la Côte d’Ivoire pour équiper la population locale en lunettes et appareils auditifs.

Pour sa cité de Jérusalem, «le cœur du monde» d’où il dirige son empire, il a créé Kikar Hamusica, un quartier dédié à la musique pour poursuivre la trace de ses ancêtres – les Lévy étaient des prêtres musiciens dédiés aux temples de la Ville sainte. Il y possède aussi une équipe de foot et rachète à tour de bras des immeubles emblématiques, dont un chef-d’œuvre architectural situé en face de la résidence du premier ministre, pour les transformer en appartements de luxe, chambres d’hôtel, centres commerciaux, musées… au point que le journal The Jerusalem Post a une fois suggéré de rebaptiser Jérusalem… «Laurentville».

Par Marc Landré