Durant l’Antiquité, la Terre Sainte a connu bien des souverains. Deux livres de l’Ancien Testament sont d’ailleurs consacrés à ces « Rois ». Mais qui pourrait croire qu’au cœur du XXe siècle, un simple colon juif, dentiste de son état, ait songé à relever la couronne de David ?
Tandis que la Seconde guerre mondiale fait rage et que le massacre des juifs d’Europe s’accélère, la Palestine est toujours sous mandat britannique. Avec sa fine moustache, ses cheveux gominés et ses costumes parfaitement taillés, Samuel Solnik a fière allure, au volant de sa somptueuse automobile, dans les vieilles rues de Jérusalem.
Né en 1910 à Kalisz, dans la Pologne russe, Samuel est le fils d’un journaliste, ardent militant sioniste. Après une formation de dentiste à Nancy, complétée par un doctorat de médecine à Genève, il a émigré au début des années 1940 et s’est installé dans une belle maison de Réhavia, un quartier huppé de la Ville sainte. Passionné de philatélie, le docteur Solnik étudie également sa généalogie. Il en vient à se persuader descendre de don Isaac Abravanel, philosophe et financier séfarade du XVe siècle, trésorier du roi Alphonse V de Portugal. Or, celui-ci aurait eu pour ancêtre direct le roi biblique David. Il n’en faut davantage à notre praticien pour revendiquer le trône vacant !
En 1942, Samuel publie à Jérusalem, chez l’imprimeur Shraga Weinfeld, Royaumes d’Israël : le royaume de la Maison de David à la lumière de notre réalité actuelle. Ce livre, rédigé en hébreu, soutient que son auteur appartient à une « lignée ininterrompue » remontant à l’époque des rois d’Israël. Une fois que Hitler sera vaincu, « la communauté juive mondiale comprendra que sa force et le secret de son existence résident dans une union générale de la nation, qui se formera après l’élimination des partis en Israël et qu’un seul mot d’ordre se dressera contre leurs entreprises : ‘Vive le royaume de David !' »
En dépit de son sceau royal arborant un lion de Juda couronné, surmonté d’une étoile à six branches, le dentiste de Réhavia ne convainc personne. Quand un fils lui naît, en 1943, il le prénomme Emmanuel et décide de lui transmettre ses droits, se réservant les fonctions de « régent ». C’est le singulier arrangement qu’il proposera le 4 mars 1946, au comité anglo-américain chargé de statuer sur l’avenir de la région. Sa lettre restera sans réponse. Le 17 février 1949, Chaïm Weizmann devient président du nouvel État d’Israël et Solnik lui adresse ses félicitations, renonçant de facto à son rêve monarchique… Il finira d’ailleurs par s’installer au Canada, où il ouvrira un commerce de timbres de collection.