Dans la très religieuse ville de Be’er Ya’akov, les habitants remontés contre le précédent gouvernement se sont fortement mobilisés pour faire gagner la coalition de droite menée par Benyamin Nétanyahou.
Be’er Ya’akov est une petite cité faite de maisons basses, jamais plus d’un étage, parsemée de nombreuses synagogues. En son centre, un marché, quelques cafés. Et, juste à la périphérie, de hautes tours flambant neuves, comme si Tel-Aviv, à 15 kilomètres, poussait jusque-là ses orgueilleux buildings. L’endroit raconte une certaine histoire d’Israël. D’abord petite communauté peuplée à moitié d’Ashkénazes et de juifs du Caucase, elle est devenue après la guerre un immense camp de transit où sont passés de nombreux Séfarades. Chaque groupe a construit sa synagogue pour y prier à sa façon. Le dernier camp a fermé dans les années 80. Et d’un bourg de 6 000 habitants au début des années 2000, elle est devenue une ville de près de 30 000 habitants.
«Il fallait renforcer la droite»
La nuit est tombée. Un groupe de chauffeurs routiers sort de la menue synagogue éclairée de rayons pâles. A Be’er Ya’akov, les horaires des prières sont adaptés sur ceux du travail. Ilan, forte carrure, barbe grise et yeux verts, vit ici depuis douze ans. Il a toujours voté pour le Shas, un parti religieux et séfarade qui cultive une forte dimension sociale : «Le précédent gouvernement se détournait de la religion, voulait éliminer le shabbat du calendrier. Il fallait renforcer la droite.» Son collègue Ya’akov, les jambes arquées d’un cow-boy, qui vient prier ici tous les jours, affirme que «la droite est passée grâce à la volonté de Dieu : ça s’est joué à quelques voix près». Même sentiment pour Asef Ohayon, plus jeune : «Il fallait rappeler la dimension religieuse de ce pays. Israël sans la Torah n’est pas Israël, point. Sinon, on est comme tous les autres peuples.»
Aucun n’a été tenté de voter pour les mouvements suprémacistes juifs, comme le parti sioniste-religieux de Bezalel Smotrich ou Puissance juive, d’Itamar Ben Gvir. Pour ces travailleurs, il fallait simplement et avant tout remettre la religion au cœur du projet de la droite israélienne. Résultat : à Be’er Ya’akov, le Shas a amélioré son score de 30 % par rapport aux dernières élections, passant de moins de 900 votes à plus de 1 200, sur un corps électoral de 18 000 personnes. Un résultat à l’image du pays, où le parti religieux a réussi à résister à la poussée de l’extrême droite et convaincre 80 000 électeurs de plus, envoyant 11 députés à la Knesset, contre 9 lors du scrutin de 2021.
Marcher sur les plates-bandes
«Le Shas a mené une campagne très efficace. En Israël, c’est un parti religieux autant que celui des déclassés. Il a visé les périphéries, et concentré ses messages sur le coût de la vie. Son score lui permet de pousser Benyamin Nétanyahou à constituer un gouvernement avec lui et la droite plutôt que d’aller chercher des partenaires à gauche», explique Shuki Friedman, vice-président du Jewish People Policy Institute. L’an dernier, après la défaite de Nétanyahou, les partis ultraorthodoxes, fidèles à leur alliance avec le Likoud du Premier ministre déchu, étaient repassés pour la première fois dans l’opposition en douze ans. Ils avaient alors vu la coalition menée par Yaïr Lapid, avec le dirigeant antireligieux Avigdor Liberman au ministère des Finances, marcher sur leurs plates-bandes – la présence dans le gouvernement d’un rabbin représentant le courant du judaïsme réformé, que les conservateurs considèrent comme un concurrent, avait été perçue comme une menace.
«On a décrété la mobilisation générale contre ce soi-disant gouvernement du changement. Le Shas a été le premier à se lancer dans la campagne. Notre idée, c’était de toucher un public plus large, pas seulement séfarade, sur le coût de la vie. Et ça a marché», estime Avi Amram, cadre du parti et directeur de cabinet de Yossi Taieb, membre de la Knesset.
Plan de campagne coordonné
A Be’er Ya’akov, l’homme du Shas, c’était Nitzan Lavi, dont la famille vit ici depuis trois générations. Il reçoit au Kollel – centre d’études religieuses avancé – séfarade, attenant à la mairie, qui affiche encore l’immense poster pour les élections à l’entrée : une photo d’Ovadia Yosef, grand rabbin de la communauté mort en 2013, avec les mots suivants : «Fiers d’être juifs.» «Pour nous, le précédent gouvernement voulait effacer le mot juif de l’Etat juif. On a fait campagne sur ce sujet, dans cette ville religieuse. Les rabbins nous ont aidés. Et ça a marché. Smotrich et Ben Gvir ont capté des voix du Likoud. Pas les nôtres. Les sionistes religieux ne nous gênent pas tant qu’ils sont sur la même ligne pour garder l’identité juive de ce pays», explique Nitzan Lavi, 33 ans, homme pressé et figure du Kollel.
Parfaitement exécuté au niveau du parti, le plan de campagne a été coordonné avec les autres formations du camp dit «national». Aux partis religieux, le public conservateur traditionnel. Aux mouvements suprémacistes, les électeurs les plus radicaux, ulcérés de l’expérience du précédent gouvernement (qui mêlait ultranationalistes, centristes, mouvements de gauche et le Ra’am, un parti islamiste conservateur). Le tout suivi de près par le Likoud, entré lui aussi très tôt en campagne. Le parti de Nétanyahou a délaissé les réseaux sociaux pour adresser des messages directs à ses électeurs, par téléphone ou par porte-à-porte. Le but : ramener aux urnes les citoyens lassés des scrutins à répétition, en pariant qu’une participation élevée profiterait aux partis de droite. De quoi reprendre la main, et peut-être pour longtemps.