Le RN ne vise plus les présidences des groupes «antisémitisme» et «sida»

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A l’issue d’une nouvelle réunion à l’Assemblée ce mercredi, le Rassemblement national a finalement choisi d’abandonner la présidence des groupes d’études parlementaires consacrés aux thématiques de l’antisémitisme et du sida. Récit des coulisses de ces négociations.

Le Rassemblement national ne présidera pas les groupes d’études parlementaires consacrés à l’antisémitisme et au sida. Une semaine après l’émoi provoqué par la fuite d’un document de travail interne à l’Assemblée nationale attribuant, provisoirement, ces deux présidences au parti d’extrême droite, les députés se sont finalement mis d’accord pour accorder leurs violons lors d’une réunion de la délégation du Bureau chargée des groupes d’études, ce mercredi 16 novembre à 11 heures au Palais Bourbon.

Au cours de ce second tour de négociations, parfois qualifié de « troc » ou carrément de « Monopoly » par certains participants, le RN a néanmoins obtenu, en échange, les présidences des groupes « Sécurité privée » et « Cancer », jusque-là « réservées » par la majorité. Tout se serait même déroulé « dans une urbanité parfaite », assurent plusieurs participants à « l’Obs », confirmant, s’il le fallait, la capacité du nouveau groupe RN à se fondre dans le paysage parlementaire.

Des présidences à foison pour le RN

Dans le détail, à l’issue de la réunion de ce mercredi, le RN est en passe d’obtenir neuf présidences uniques de groupes d’études sur les 80 validées par la présidence de l’Assemblée nationale – contre 113 lors de la dernière législature. Il s’agit des groupes : « Adoption », « Camargue », « Economie, sécurité et souverainetés économiques », « Prostitution », « Sécurité privée », « Sécurité routière », « Territoires en reconversion », « Vigne, vin et œnologie » et, enfin, « Francophonie ». Selon nos informations, ce groupe, a fait l’objet d’une passe d’armes entre frontistes et insoumis, qui cherchaient à le récupérer − « On peut vous céder la Francophonie mais alors on récupère “Discriminations et LGBTQI-phobies”… » Une éventualité rapidement abandonnée par LFI.

Commentaire d’un élu de la Nupes : « Il n’y a pas de bonne solution. Le péché originel revient à la majorité qui a fait le choix d’intégrer le RN dans les institutions en leur confiant des vice-présidences de l’Assemblée nationale. Le RN qui ne préside pas un groupe sur l’antisémitisme, c’est une bonne chose, mais à la place, ils auront la main sur la sécurité privée, qui englobe notamment la question du port d’armes. Est-ce beaucoup plus rassurant ? »

Plusieurs coprésidences RN, dont « Cancer » et « Prisons et conditions carcérales », ont aussi été actées ce mercredi, en compagnie notamment des groupes parlementaires Horizons (l’écurie d’Edouard Philippe) et Liot (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires). Selon nos informations, la présidence RN du groupe « Vigne, vin et œnologie » pourrait aussi faire l’objet, dans les prochains jours, de tractations avec Renaissance, qui lorgne dessus. A cet égard, le RN, qui compte dans ses rangs plusieurs députés viticulteurs, dont Christophe Barthès (Aude) ou du Girondin Grégoire de Fournas (toujours sous le coup d’une exclusion temporaire de l’Assemblée pour des propos à teneur raciste), s’est engagé à éviter tout conflit d’intérêts.

Le RN contraint de négocier

De l’avis général, y compris au sein du RN, le sort réservé à la présidence RN du groupe « Antisémitisme » ne faisait guère de doute. Sylvain Maillard, le président par intérim du groupe Rennaissance, avait rapidement évoqué un « casus belli » et précisé qu’il bénéficiait du soutien de l’ensemble des groupes parlementaires de gauche au sein de l’hémicycle. De son côté, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), par la voix de son président Yonathan Arfi, avait dénoncé une « une ineptie et une manipulation innaceptables» : « Si cela devait arriver, jamais le Crif et les institutions juives ne participeront à cette mascarade ».

Face au tollé, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet était intervenue pour indiquer que le document de travail qui attribuant la présidence « Antisémitisme » au RN n’était que provisoire et ferait logiquement l’objet d’ajustements et que rien n’était « acté » avant le 7 décembre prochain.

Là encore, au-delà des pressions politiques, le groupe de Marine Le Pen se savait contraint à négocier afin que la question ne soit tranchée par un vote du bureau de l’Assemblée nationale où il est largement minoritaire. Ce mercredi, auprès de « l’Obs », le président du Crif a salué « le retour au bon sens » : « La raison a fini par l’emporter. Il était inconcevable qu’elle tombe dans les mains du RN et de LFI. Je regrette tout de même que le RN n’ait pas eu la décence de ne pas solliciter cette présidence en premier lieu. »

« Entourloupe » ou « naïveté coupable » ?

Comment expliquer le raté du 9 novembre ? Ces derniers jours, certains participants aux négociations de la semaine dernière n’hésitaient pas à dénoncer une « entourloupe » de l’extrême droite. En cause : le système proposé par le vice-président RN de l’Assemblée nationale et président de la délégation aux groupes d’études, Sébastien Chenu : « Il était le seul à avoir le détail des désiderata de chaque groupe parlementaire avant le début des discussions. Lui seul savait donc quels étaient les groupes demandés par les uns et les autres. On ne jouait pas sur un pied d’égalité et cela a eu un impact sur les attributions. »

L’élu RN s’était finalement fendu, le jeudi 10 novembre, d’une « mise au point » par communiqué afin de rappeler que la procédure de désignation des présidences avait bel et bien été respectée. Ce mode de désignation, comparable à celui de la « draft » en NBA (la période durant laquelle les joueurs de basket américains les plus prometteurs sont sélectionnés par les clubs), permettait ainsi aux différentes formations politiques, par ordre de grandeur, de se positionner pour les présidences des groupes d’études. « Le groupe Renaissance a été amené à s’exprimer en premier lieu et a choisi “Chasse et pêche” et “Jeu vidéo”, délaissant en toute connaissance de cause la possibilité de prendre le groupe “Antisémitisme” qui a donc été ensuite sélectionné par le RN dans l’ordre des choix », précisait le député RN dans son communiqué.

Autour de Chenu, on rappelait ainsi que la majorité était « prévenue » et ne pouvait pas feindre la sidération. Et les mêmes de rappeler que la formation de Marine Le Pen avait manifesté « dès l’été dernier » son intérêt pour la présidence du groupe « Antisémitisme », « notamment en proposant de le renommer “Les nouvelles formes d’antisémitisme” ». « Ils savaient. Dans ces conditions, les cris d’orfraies de la majorité et de la gauche ne valent rien. »

Concernant l’attribution provisoire, la semaine dernière, du groupe « Sida » au RN, les troupes de Marine Le Pen dénoncaient un « faux procès », rappelant que cette présidence n’avait été obtenue qu’en toute fin des négociations. « Le groupe faisait partie des derniers à ne pas encore avoir été choisis et nous ne l’avons sélectionné qu’à la toute fin, rappelle un élu frontiste. Avant cela, la gauche et la majorité avaient eu plusieurs fois la possibilité de se proposer pour en prendre la présidence. Ils n’en ont rien fait. »

Par Lucas Burel