Procès de la corruption à la prison de Fresnes : des faits finalement banals

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L’ex-directeur de la 3e division de la maison d’arrêt de Fresnes est soupçonné d’avoir accordé des avantages à trois détenus dont Arnaud Mimran et Fabrice Touil. Des peines de prison ferme ont été requises au terme du procès tenu cette semaine à Créteil. Récit.

C’est une affaire au casting détonnant. Dans les rangs des prévenus s’y croisent, d’un côté, deux millionnaires du carbone, l’ex golden-boy Arnaud Mimran et le joueur de poker Fabrice Touil, et de l’autre, Khalid El Khal, 53 ans, doublement diplômé d’un troisième cycle universitaire en lettres et en droit, un fonctionnaire expérimenté et bien noté de l’administration pénitentiaire dont le premier détenu fut François Besse, l’ancien complice de Jacques Mesrine.

Ces trois-là se sont rencontrés à la division 3 de la prison de Fresnes (Val-de-Marne), deuxième maison d’arrêt de France, bâtie en 1898 et réputée pour sa violence, sa surpopulation carcérale, son manque d’effectifs et sa vétusté.

Dans cet univers dégradé, la « D3 » dont Khalid El Khal fut pendant plusieurs années le directeur, passe pour être le pire du pire. Un bloc pénitentiaire où les 900 détenus doivent cohabiter avec les rats, les punaises de lit et les vermines diverses. C’est là que sont regroupés les détenus de confession juive dans un souci de protection, mais aussi les condamnés à des peines allant de 6 à 18 mois, les prisonniers suivant une scolarité, les indigents et les détenus souffrant de troubles psychiatriques.

Propension à la vantardise

Poursuivi pour « corruption passive » et « association de malfaiteurs », Khalid El Khal est aujourd’hui soupçonné d’avoir touché de l’argent en échange d’avantages accordés durant leur détention à Fresnes à Arnaud Mimran, Fabrice Touil mais également Eric Robic qui, en 2011, avait mortellement fauché une joggeuse dans les rues de Tel Aviv.

Les millionnaires du carbone auraient-ils fait perdre la tête au directeur de la « D3 » ? Ou bien ces escrocs à la langue bien pendue sont-ils les victimes de leur réputation de corrompre tout ce qu’ils touchent comme de leur propension à la vantardise, même derrière les barreaux ?

Depuis le début de l’affaire, en mars 2018, la question sous-tend le dossier. Difficile, au terme des trois jours de procès qui se sont tenus cette semaine devant le tribunal correctionnel de Créteil, d’y apporter une réponse définitive.

Certes, dans leur réquisitoire, les deux procureurs de la République ont opté, sans surprise, pour la première hypothèse. Evoquant « une affaire hors normes par le contexte comme par les acteurs », ils ont requis des peines sévères : quatre ans de prison ferme contre Fabrice Touil [en fuite, NDLR] et Khalid El Khal, assorti d’un mandat de dépôt différé pour ce dernier ; deux ans de prison ferme pour Arnaud Mimran et Eric Robic.

Une seule remise d’argent

Pour autant, les trois jours d’audience auront mis en lumière les fragilités d’un dossier reposant pour l’essentiel sur des témoignages de personnel pénitentiaire. Jugés « précis et convergents » par le ministère public, ils sont souvent été contredits à l’audience par des éléments factuels apportés par les avocats de la défense. « Ce n’est pas un dossier de paroles contre paroles mais de faits objectifs contre déclarations mensongères », considère Me Paul Aprile, l’un des avocats de Khalid El Khal pour lesquels certains témoignages ont été orientés par des inimitiés professionnelles.

Au terme d’une enquête fouillée, une seule remise d’argent a été établie par les policiers : 5 000 euros remis entre décembre 2017 et mars 2018 par Fabrice Touil au directeur de la division.

Les renseignements initiaux reçus par la PJ de Versailles et la Brigade de Répression de la Délinquance Astucieuses, à l’origine de l’ouverture de l’enquête en 2017, évoquaient pourtant un vaste système de corruption permettant l’introduction de téléphones, de tablettes, de nourritures casher, d’alcool, de champagne mais également la fourniture de faux documents pour des dossiers médicaux au profit de détenus en lien avec le grand banditisme ou l’escroquerie à la taxe carbone.

Douches quotidiennes

Une fois arrivé à l’audience, le dossier semble toutefois avoir sérieusement dégrossi. Seuls trois anciens détenus ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel. Il leur est reproché d’avoir bénéficié de fouilles plus légères, de douches quotidiennes, d’une plus grande liberté de mouvements ou encore d’une bienveillance dans le contentieux disciplinaire.

Eric Robic, lui, se voit renvoyé pour avoir bénéficié d’un poste d’« auxi » sport adjoint durant sa détention, ce qui lui permettait de profiter de douches supplémentaires. « L’accusation semble confondre, corruption, réalité des conditions carcérales en France, gestion pratique et quotidienne par un directeur de division et ouï-dire », estime son avocat Me Samuel Habib.

On n’est pas en train de parler d’avantages faramineux. Mais en prison, une douche, un parloir, une circulation plus souple, ça n’a pas de prix », ont expliqué les procureurs dans leur réquisitoire. « Evidemment, dans une affaire de corruption, on n’a pas de PV d’assemblée générale qui dit « je te donne ça contre une atteinte à ta probité » ont-ils ajouté, reconnaissant se contenter d’un « faisceau d’indices ».

« Parloirs de charme »

Difficile, en effet, de considérer les écoutes téléphoniques réalisées sur la ligne d’Arnaud Mimran durant sa détention comme un PV d’assemblée générale. « C’est un bordel cette prison, la tête de ma mère, c’est un vrai bordel », s’y vante-t-il lors de conversations avec un ami détenu à Fleury-Merogis. « Ici, c’est la meilleure taule », « Je fais ce que je veux », ajoute sur les écoutes l’ancien golden-boy, actuellement détenu après avoir été condamné à une peine de 13 ans de prison pour enlèvement et séquestration [il a fait appel, NDLR]. « C’est de la surenchère, on est dans le jeu », s’est-il défendu à l’audience :  A Fresnes, c’est la misère, on n’a pas de frigo, on ne boit pas d’eau, c’est sale, il y a des rats partout, donc on essaye de s’inventer des côtés positifs, sinon on tombe en dépression. 

Sur les écoutes téléphoniques, Arnaud Mimran se vantait également de recevoir des escort girls au sein de la prison, et ce avec l’autorisation du directeur. Une fanfaronnade de plus, selon l’intéressé. « Je lui dis qu’il y a des filles mais c’est tout le temps ma sœur qui vient », répond-il aujourd’hui sur ce point.

Au cours de la procédure, aucun élément n’est d’ailleurs venu corroborer l’existence de ces parloirs de charme. « La question des parloirs de charme a créé un certain émoi dans ce dossier, ironise son avocat Me Jean-Marc Fedida. Peut-être que le tribunal n’a pas le même sens de l’humour que les détenus, mais présenter Fresnes comme étant aussi agréable que le George-V, agrémenté en plus d’une salle de loisirs, c’est tout de même difficile de le croire. »

« De la moisissure partout »

Parmi les avantages consentis par Khalid El Khal, Arnaud Mimran et Fabrice Touil auraient bénéficié de douches médicales quotidiennes, quand la règle veut que les détenus n’aient le droit qu’à trois douches par semaine. « Les douches médicales, ça ne peut se faire que sur certificat. S’il y a favoritisme, ça ne peut venir que d’un médecin », clame Me Philippe Ohayon, l’un des avocats de Khalid El Khal.

Sur la division 3, où les conditions d’hygiène sont déplorables, près de 200 détenus bénéficiaient de douches médicales. Selon un avocat du dossier, les détenus se livreraient même à un commerce des punaises de lit afin de bénéficier plus facilement du certificat médical. « Les punaises dans nos lits, c’était pas des punaises, c’était des crabes ! », témoigne à la barre Eric Robic. « Même les douches, il y a de la moisissure partout, de la mousse verte, j’y vais avec des chaussures de plongée, parce que certains ont eu des champignons, il y en a un qui a été amputé d’un doigt de pied », renchérit Arnaud Mimran.

Les trois hommes sont également soupçonnés d’avoir « squatté » les parloirs avocats avec la bienveillance du directeur. « On allait dans le box d’avocats pour parler entre détenus parce qu’on n’avait pas envie de remonter dans nos cellules. C’était un cache-cache perpétuel qu’on faisait avec les surveillants », explique Eric Robic.

Sushis, chicha, parfums

Quant à l’absence de fouilles, elle semble toute relative. Plusieurs ont été menés dans la cellule d’Arnaud Mimran durant sa détention à Fresnes. Elles ont permis la découverte de téléphones, de parfums, d’une chicha et de sushis. « Je payais des détenus qui les faisaient rentrer, assure Mimran. J’ai été condamné pour ça ».

Après la découverte d’un téléphone portable, Khalid El Khal aurait même signalé l’incident à une juge d’instruction parisien pour savoir si cette dernière souhaitait examiner l’appareil, comme l’ont fait remarquer les avocats du directeur. « Comme protecteur, on fait mieux », ironise le fonctionnaire à la barre, costume noir, chemise blanche, lunettes aux larges verres.

Et si Arnaud Mimran a effectivement profité d’une cellule individuelle à Fresnes, ce fut aussi le cas dans toutes les prisons où il est passé. « Arnaud Mimran n’a profité d’aucun avantage que son statut personnel ne pouvait justifier à raison de la notoriété de son dossier et de la médiatisation de sa personne qui l’exposait et le rendait vulnérable », assure Me Fedida.

Dans le cas de l’ancien golden-boy, en plus des avantages consentis, le directeur aurait, selon l’instruction, joué un rôle dans son transfert vers le centre de détention du Havre, réputé plus souple en matière d’aménagement de peine. Seulement, sa seule intervention établie dans ce transfert est un coup de téléphone adressé à un ancien agent pénitentiaire de Fresnes muté au Havre pour lui signaler les tendances suicidaires d’Arnaud Mimran.

« M. El Khal, ce n’est pas mon ami, lâche ce dernier. On me force à aller au Havre, alors que je demande Meaux. Quand je sais que je vais au Havre, je demande quand j’y vais, et on voudrait me dire que j’ai payé pour tout ça ? A un moment, on marche sur la tête ! ».

« Tiens, prends ça. Il y a pas beaucoup »

Au final, l’élément le plus embrassant pour Khalid El Khal reste la remise de 5 000 euros. « J’ai commis une faute déontologique grave, reconnaît-il à la barre. J’ai failli à ma mission. J’ai porté atteinte à l’image de ma profession. Je n’aurais pas dû maintenir le lien avec Fabrice Touil, je n’aurais pas dû prendre son argent. Je n’en avais pas besoin ».

Ligne jaune déontologique ou ligne rouge pénale, comme le pense le ministère public ? Entre décembre 2017 et mars 2018, le directeur rencontre à plusieurs reprises Fabrice Touil. Ce dernier vient de sortir de prison sous bracelet électronique. Lors de ces rendez-vous qui se tiennent du côté des Champs-Elysées, le fonctionnaire éteint bizarrement son téléphone portable. Il ignore que les policiers ont sonorisé son véhicule de fonction. « Tiens, prends ça. Il n’y a pas beaucoup, il y a 1 500 mais déjà pour le petit, pour le week-end », lui lance, le 8 décembre 2017, le joueur de poker. « Je suis surpris, je ne sais pas comment réagir », explique aujourd’hui Khalid El Khal. « Lors de la 2e remise, il vous remet 3 000 euros, là vous êtes moins surpris ? », ironise la présidente du tribunal.

Lors d’un autre rendez-vous, 500 euros sont remis. « C’est un petit kif 5, 600 balles, t’inquiètes », lâche Touil. « Arrête tes conneries », lui répond le directeur.

Les 5 000 euros seront retrouvés dans un sac plastique jeté dans la précipitation par la fenêtre par Khalid El Khal juste avant la perquisition à son domicile des policiers en mars 2018. « C’est de l’argent maudit. Je ne le touchais pas, je ne l’approchais même pas », assure-t-il.

« Il vient, c’est le roi, il a les clés »

A la barre, le directeur assure avoir développé un lien d’amitié avec le joueur de poker.
Lors des échanges enregistrés, il lui dispense des conseils sur la meilleure façon d’embrouiller le juge des libertés et de la détention sur le montant de la caution, lui confie avoir obtenu des remises de peine supplémentaires pour Eric Robic (ce qui se révélera faux) et lui assure qu’il prendra en charge son frère Richard – condamné en son absence dans des affaires de taxe carbone – si ce dernier se rend aux autorités : « 16-17 mois avec moi. Je l’aménage, il est parti (…) Il vient, c’est le roi, il a les clés », promet le directeur sur les écoutes. « C’était de la fanfaronnade, madame la présidente, je n’avais aucun pouvoir pour l’aménager », expliquera Khalid El Khal à l’audience. « Je trouve un peu court de s’en sortir avec un haussement d’épaules en disant “on déconnait” », répliquera un des procureurs.

Lors des investigations, les enquêteurs ont noté que les comptes en banque du directeur étaient largement créditeurs ainsi que peu de retraits d’espèces ou de paiements en carte bleue effectués. Ce que contestent ses avocats. Me Vera Goguidze, une de ses avocates, soutient :  Il y a des espèces dans ce dossier, nous dit-on. Seulement, on ne les trouve pas. Tous les postes de dépenses du couple El Khal qui auraient pu permettre d’écouler les espèces ont été payés en carte bleue : travaux, voiture, achats de vêtements pour enfants. 

« Le parquet entend poursuivre des avantages et pour ce faire propose au tribunal d’adhérer à un syllogisme de la misère : tout le monde est traité de façon illicite alors toute rupture de l’égalité dans les traitements inhumains et dégradants doit être analysée en un avantage illégitime. C’est un raisonnement non seulement inhumain mais de plus totalement erroné en droit », considère pour sa part Me Jean-Marc Fedida.

Le tribunal rendra sa décision le 11 janvier prochain.

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Source nouvelobs