Le mardi 1er novembre, les Israéliens éliront leurs députés à l’occasion du cinquième scrutin législatif en trois ans et demi. Une fois n’est pas coutume, une problématique de vie quotidienne domine la campagne : le coût de la vie car Israël est l’un des pays les plus chers au monde.
Il y a sept ans Yaelle Ifrah s’installait à Jérusalem. Depuis, cette Parisienne est devenue conseillère économique au Parlement israélien. Elle rappelle que les 5,2% d’inflation annuelle ont fait grimper des prix déjà parmi les plus élevés de la planète : « C’est absolument stupéfiant de voir que les prix en Israël sont environ 30% plus élevés que les prix de l’OCDE. Mais si on prend des produits comme les produits laitiers, on est à 60 ou 80 % de plus. Je crois que c’est véritablement une situation unique au monde dans un petit pays qui est une île économique, une île très prospère mais dans laquelle le pouvoir d’achat n’est pas forcément au niveau d’une monarchie pétrolière. »
La plupart des commerçants israéliens proposent de payer les achats en plusieurs fois sans frais y compris les courses alimentaires. Mais même à 0% cela crée une bulle d’endettement. Sept ménages israéliens sur dix sont régulièrement à découvert bancaire alors les initiatives se multiplient. Par exemple, dans quelques mois Yaelle Ifrah va lancer une application pour comparer les prix et la qualité des produits. Et rue Emek Réfaïm à Jérusalem une nouvelle boucherie vient d’ouvrir sous la direction de Marc Abitbol : « J’ai ouvert un rayon de boucherie à moitié prix. La même viande, la même provenance, mais à moitié prix. Il y a des monopoles ici, il n’y a pas de commerce libre. Il y a plusieurs grosses entreprises qui ont le monopole sur toute l’alimentation, sur les soupes, sur les pâtes, sur le lait. Vous ne pouvez pas faire entrer de l’étranger si cela ne passe pas par la bureaucratie et dans la bureaucratie, il y a beaucoup de combines. Mais alors comment vous avez fait justement ? Je suis rentré dans un groupe d’acheteurs. Automatiquement, quand on a une force d’achat, on a une force de vente et on gagne très, très bien notre vie. »
Une économie socialiste qui a connu un choc ultra-libéral
Israël est un pays très protectionniste mais aussi très petit qui produit peu de biens de consommation et importe énormément via ces entreprises monopolistiques déplore Yaelle Ifrah : « Israël a été un pays de type socialiste avec une économie totalement administrée durant les trente premières années de son existence. Et puis, à la suite de la révolution conservatrice qui a mené Menahem Begin au pouvoir en 1977, puis l’arrivée de Benyamin Netanyahou sur la scène politique en 1996, Israël s’est droguée à la doxa ultra-libérale et son économie est devenue une sorte de jungle. La privatisation sauvage a fait que le monopole d’État s’est transformé en monopole privé. Les habitudes de protéger le marché intérieur israélien ont donné lieu à la création de toute une série d’institutions chargées de protéger les producteurs, comme pour le lait. Le marché du lait est entièrement régulé par l’État en Israël, qui fixe les prix d’achat et les prix de vente à la consommation. Nous avons donc un pays de dix millions d’habitants qui possède des centaines de standards industriels uniques au monde qui évidemment sont destinés à bloquer l’importation. Sans parler du ministère de la Santé qui impose sur les produits alimentaires des normes draconiennes qui ne correspondent pas à ce qui existe à l’étranger. »
A cela, il convient de souligner une spécificité israélienne. Dans ce pays peuplé à 80% de Juifs, l’essentiel de la nourriture vendue est cachère, c’est-à-dire conforme aux exigences de la religion juive. Dans sa boucherie, Marc Abitbol désigne un papier rose, bien visible, accroché au mur : « C’est le certificat de cacheroute. C’est toujours un peu plus d’argent. Il y en a qui profite de cela pour augmenter trop les prix. La vérité, le prix n’est pas énorme, autour de 500 shekel tous les six mois soit 150 euros. Mais il y a le ‘shomer’ le surveillant qu’il faut payer tous les mois. Il y a plusieurs groupes de rabbins. Après, si vous voulez maintenant respecter plus orthodoxes, alors il faut payer encore une autre cacheroute à un autre surveillant. Et là, quand vous arrivez à ce niveau, ils ne vous font de cadeau ! »
La high-tech moteur de l’économie et de la hausse des prix
Dans l’auto-proclamée « start-up nation », la high-tech a injecté 21 milliards de dollars dans l’économie israélienne l’année dernière. Ce secteur représente 10 à 15% du PIB. Le cours du shekel s’envole face à l’euro et pourtant les importations coûtent plus cher. Les expatriés payés en euros voient leur pouvoir d’achat s’effondrer. Tel Aviv est classée ville la plus chère du monde par The Economist et le prix des logements est exorbitant dans les grandes agglomérations constate l’agent immobilier Alex Losky : « Les prix et les loyers ont augmenté avant le corona de 60 % environ. Dans une ville comme BatYam, c’était 10 000 shekels le mètre carré. Aujourd’hui, vous arrivez à BatYam entre 30 000 et 40 000 shekels le mètre carré, c’est-à-dire à 10 000 euros le mètre carré. Il y a un manque de construction énorme. Il manque à peu près 200 000 appartements. C’est un problème avant tout de bureaucratie. C’est incroyable. Le parti qui arriver au pouvoir sera obligé de faire le maximum de libérer des terrains. Je suis dans l’immobilier depuis 35 ans en Israël et je n’avais jamais vu de situation comme cela. »
A l’occasion de ce cinquième scrutin législatif depuis avril 2019, le coût de la vie est la problématique numéro un chez les Israéliens dans les études d’opinion.