Le Pape écrit la préface du livre d’Edith Bruck, survivante de la Shoah

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Le livre d’Edith Bruck intitulé « Je suis François » est disponible en librairie en Italie depuis jeudi 20 octobre. Publié par La nave di Teseo, il est le fruit d’une réflexion de l’écrivain après la visite qu’elle a reçue du Pape en février 2021. Voici la préface du volume, écrite par le Souverain pontife argentin.

Pape François – Cité du Vatican 

Lorsque j’ai lu dans L’Osservatore Romano du 26 janvier 2021, à la veille du jour de la mémoire des victimes de l’Holocauste, le bel entretien de Francesca Romana De’Angelis avec Edith Bruck, j’ai été frappé par la force calme et lumineuse de cette femme. Elle a réussi à trouver dans sa vie, puis à transmettre dans son œuvre littéraire, plusieurs «points de lumière» dans l’un des abîmes les plus sombres de l’histoire humaine. J’ai fermé le journal et j’ai appelé le rédacteur en chef, Andrea Monda, lui demandant de faire en sorte que je puisse me présenter, et éventuellement rencontrer Madame Bruck.

C’est ainsi que, moins d’un mois plus tard, je suis allé lui rendre visite chez elle, dans le centre de Rome. C’était une visite pleine d’émotions pour nous deux. Une émotion que Madame Bruck a maintenant voulu raconter, et je lui en suis reconnaissant, dans ce livre qui tente de résumer une expérience très difficile à dépeindre et à transmettre. Dès que je suis sorti de l’ascenseur, elle m’a salué dans l’embrasure de la porte en silence, car son émotion l’empêchait presque de parler: entre les larmes qui l’envahissaient, elle m’a remercié pour la visite et je l’ai remerciée à mon tour pour le témoignage qu’elle avait donné…. qu’elle avait donné pendant toutes ces années, je dirais même mieux, le témoignage qu’elle était et qu’elle est. Une mémoire vivante, voilà ce que j’avais sous les yeux: en cette dame de quatre-vingt dix ans, svelte et élégante, dotée de la force qui lui permet de pleurer, accueillant et ne résistant pas au don des larmes, je contemplais une mémoire vivante, faite personne.

Elle m’a accueilli dans son salon avec ses plus proches parents et nous avons passé un long moment à converser. Je me souviens que nous avons parlé de ces «points de lumière» qu’elle avait pu raconter dans ses livres, mais aussi d’autres choses, de la condition des personnes âgées, de son expérience intense avec son mari Nelo Risi, malade d’Alzheimer depuis longtemps, et de cinéma (avec son neveu Marco, nous avons parlé du film Il sorpasso) comme on le fait dans une conversation agréable, domestique, familiale.

Nous nous sommes ensuite parlés et rencontrés à nouveau, en public et, récemment, en privé, mais cette fois chez moi, à la Maison Sainte-Marthe. C’était à nouveau le 27 janvier, jour du Souvenir. Entre-temps, la situation mondiale avait changé et le vent de la guerre avait recommencé à souffler, même en Europe. Madame Edith est venue me rendre visite avec sa fidèle assistante, Olga, une Ukrainienne, avec qui nous parlions inévitablement de ce qui se passait à la frontière de ce pays désormais tourmenté. Comme il est important que la mémoire ne se perde pas! Nous avons besoin de personnes qui, même si ce n’est que de leur vivant, maintiennent la mémoire vivante, entretiennent son feu. Edith et Olga m’ont apporté un pain qu’elles avaient fait elles-mêmes, rappelant ce «pain perdu» de leur mère que l’écrivain avait immortalisé dans l’un de ses livres.

Peut-être qu’aucun pain n’est jamais définitivement perdu, il peut toujours être racheté. L’espérance ressuscite toujours et nous surprend toujours. C’est la petite sœur qui tire par la main les deux grandes, Foi et Charité, comme le chante Péguy. Ce pain qui n’était plus perdu était maintenant entre nos mains. On l’a rompu, ensemble, et on en a mangé un peu. Un geste simple et humain. Comme une prière. Ainsi, presque en silence, nous avons eu de la «compagnie», nous avons mangé le pain ensemble. C’est peut-être ainsi que nous pouvons recommencer, recommencer en tant qu’humanité, en faisant quelque chose ensemble, peut-être la chose la plus simple, se nourrir.

L’humanité est quelque chose de délicat, de fragile, toujours prête à se briser, à se détériorer, à dégénérer. Mais il arrive aussi que l’on rencontre des personnes, c’est le cas de Madame Edith, qui révèlent qu’elles possèdent des ressources inimaginables, une force qui jaillit on ne sait d’où et qui surmonte toutes les adversités et nous permet de rester humains.

Le livre que vous avez entre les mains est une tentative de raconter cette rencontre qui m’a donné tant de force et d’espérance et un sentiment de gratitude, de confiance, qui, j’en suis convaincu, sera également communiqué à ceux qui choisiront de le lire; c’est du moins mon souhait.