Les deux voisins sont parvenus à une entente historique, dont les détails doivent être précisés, pour clarifier leur frontière maritime et exploiter des gisements gaziers en Méditerranée orientale.
Le plus dur est fait. En annonçant qu’Israël et le Liban ont «conclu un accord historique», le Premier ministre israélien Yaïr Lapid met fin à un suspense vieux de deux ans et un contentieux bien plus ancien. Grâce à une médiation des Etats-Unis, les deux pays, officiellement toujours en guerre, ont clarifié leur frontière maritime ce mardi et levé des obstacles à l’exploitation de gisements gaziers en Méditerranée orientale. Il reste quelques détails à régler, mais le chef du gouvernement se sent suffisamment confiant pour affirmer que le deal «va renforcer la sécurité d’Israël, injecter des milliards dans l’économie israélienne et assurer la stabilité de notre frontière nord» – bien que la bordure terrestre reste à définir.
On behalf of the State of Israel, I thank American mediator @AmosHochstein for his hard work to bring about this historic agreement.
— יאיר לפיד – Yair Lapid (@yairlapid) October 11, 2022
Les derniers mètres ont pourtant été les plus durs. Début octobre, les leaders des deux pays se montraient positifs. Mais le Liban, dont le président Michel Aoun voit son mandat se terminer le 31 octobre, a demandé des amendements. Israël, qui vivra ses cinquièmes élections en quatre ans le 1er novembre, réagit au quart de tour. Sous pression de l’ancien Premier ministre Benyamin Nétanyahou, qui dénonce une reddition au Hezbollah, le cabinet de Yaïr Lapid clame que rien ne sera lâché sur les intérêts économiques et sécuritaires d’Israël. Le ministre de la Défense, Benny Gantz, a ordonné à l’armée de se préparer pour des «scénarios d’escalade dans le Nord, par des moyens offensifs et défensifs».
Deuxième succès
A Tel-Aviv, on est préoccupé depuis longtemps par l’écroulement progressif du Liban. «Je pense que ça faisait partie d’un show politique. Les deux parties voulaient montrer à leur coalition qu’ils cherchaient le compromis sans la compromission. Mais en à peine une semaine, chacun fête l’accord de son côté», estime Gabriel Mitchell, membre du think tank israélien Mitvim, spécialiste de la Méditerranée orientale. Cette percée est le deuxième succès diplomatique régional du mois pour Yaïr Lapid, après la remise en route, le 3 octobre, du Conseil d’association Union européenne-Israël, en sommeil depuis une dizaine d’années.
Les détails de l’accord ne sont pas encore connus, mais la définition de la frontière serait à l’avantage d’Israël, entérinant la bordure définie par ses forces armées. S’agira-t-il d’une limite officielle ou de facto ? Les nouvelles coordonnées devront être envoyées aux Nations unies pour validation. Les Israéliens pourront d’ores et déjà exploiter le gisement de Karish, proche du Liban, alors que l’Europe a soif d’un gaz non russe. «Sur le court terme, c’est le principal avantage : tirer parti de ce champ gazier sans être menacé. Sur le long terme, c’est une réussite sensationnelle. Tout le monde dans la région regarde ce deal de très près. Deux pays, qui ne se reconnaissent pas mutuellement, ont pu parvenir à un accord, et exploiter des gisements pourrait être un encouragement à plus de coopération régionale», poursuit Gabriel Mitchell. Hasard ou coïncidence, la Turquie a rétabli ses relations diplomatiques avec Israël mi-août et envoyé, le 6 octobre, un ambassadeur à Tel-Aviv. Ankara, isolé ces dernières années face à une coalition grecque, chypriote, égyptienne et israélienne, desserre peu à peu l’étau.
«Une certaine rente»
Côté Beyrouth, c’est l’entreprise française TotalEnergies qui entamera le processus d’exploration des eaux libanaises, à commencer par le gisement de Cana, a déclaré le ministre de l’Energie, Walid Fayad. Yaïr Lapid avait évoqué ce dossier avec Emmanuel Macron lors d’une visite à Paris en juillet. «Le principal challenge, c’est de voir comment le Liban exploitera cette opportunité. Pour le marché local ? international ? En tant qu’Israélien, c’est ce que je souhaite», commente Michael Harari, ancien ambassadeur d’Israël en Egypte et à Chypre.
L’un des objectifs d’Israël est d’avoir un Liban plus stable, dans lequel l’influence du Parti de Dieu – qui se félicite de l’accord – serait diminuée. «C’est une petite victoire pour Michel Aoun, et le Hezbollah, qui montre qu’il est capable d’assurer au Liban une certaine rente. Cet accord met à l’abri le sud du pays, car les deux parties auraient maintenant beaucoup à perdre dans une escalade. Beyrouth clôt une séquence diplomatique difficile et pourra compter sur de nouvelles ressources», analyse Joseph Bahout, professeur à l’université américaine de Beyrouth.
Mais il y a loin du gisement au pipeline. Le pays du Cèdre, toujours sous le choc de l’explosion du 4 août 2020 qui a dévasté son port, manque encore des infrastructures nécessaires pour exploiter la manne gazière. D’aucuns évoquent déjà des coopérations avec des pays de la région. A voir si les hydrocarbures peuvent mener à la paix.
par Samuel Forey