Ecran total : Magali Berdah, sa tendinite et ses harceleurs par milliers

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Dans cette nouvelle rubrique, Magali Cartigny et Nicolas Santolaria proposent un zoom sur ces écrans omniprésents dans nos vies. Des réseaux sociaux à la télé, du smartphone à la console de jeux vidéo, les journalistes du « Monde » plongent dans le tourbillon des images.

C’est l’histoire d’une tendinite. Il fut un temps où, lorsqu’une personnalité faisait une bourde à la télé, on en rigolait cinq minutes à la machine à café, puis on passait à la promo de Martine à la compta. Désormais, la bourde devient un objet en lui-même, qui échappe à son créateur, et dont le sens est détourné à l’envi sur les réseaux sociaux, pendant des jours, voire des semaines. Désormais, quand on entendra « Magali Berdah », on pensera « tendinite ».

@brutofficiel « Tendinite au bras » Magali Berdah explique à Brut ce qu’elle a voulu dire par sa phrase qui a agité les réseaux sociaux après la diffusion de Complément d’enquête. #tendinite #influenceur #magaliberdah ♬ son original – Brut.

Tout a commencé par le documentaire « Influenceurs, arnaques et politique », tableau un peu fourre-tout du métier d’influenceur et de ses dérives, diffusé le 11 septembre, et qui a battu un record d’audience sur France 2. La patronne de l’agence d’e-influenceurs Shauna events, Magali Berdah, y ouvrait les portes de ses bureaux puis répondait en plateau aux questions de Tristan Waleckx. Ce dernier a tenté de la coincer sur le fait qu’elle ne portait pas la montre connectée dont elle faisait la publicité (qui demande à Charlize Theron pourquoi elle ne porte pas J’adore, de Dior ou à Stéphane Plaza s’il est abonné à Verisure ?). La papesse de la téléréalité a reconnu qu’elle ne la portait pas chaque jour, évoquant un problème de tendinite.

Une maladresse qui, dès le lendemain, suscita une déferlante de reprises sur Twitter. De la CGT à Tinder, en passant par Buffalo Grill, Actimel, Doctolib, Pôle emploi et le Crédit agricole, tous les communicants, en manque visiblement d’imagination, ont surfé sur la vague du « lol » en mode : « Je peux pas, j’ai une tendinite. » Même Nikita Belluci, figure du porno, a ironisé sur l’annulation de son gang-bang en reprenant cette excuse. Depuis, l’appel aux réservistes russes, l’agacement du roi Charles III, les déboires de Mbappé ou le malaise de la Nupes face à l’affaire Quatennens, tout est prétexte à la blagounette sur l’inflammation des tendons.

Un qui a le bras long, et qui jubile de cette épidémie nationale, c’est Booba. Le duc de Boulogne mène une croisade sur les réseaux sociaux depuis plusieurs mois contre les « influvoleurs » et Magali Berdah. Le rappeur, qui a porté plainte contre la femme d’affaires fin août, l’accuse d’arnaquer la jeunesse avec des placements de produits frauduleux. Une guerre dont il a gagné la première bataille avec l’enquête ouverte par le parquet de Grasse, le 6 septembre, pour « pratiques commerciales trompeuses ».

« Je reste debout et je ne me tairai pas »

Objet de la risée des internautes, Magali Berdah, allant jusqu’à s’expliquer sur Brut. et Virgin Radio sur la question fondamentale de sa douleur au bras, est ainsi devenue un mème à l’insu de son plein gré. Plus intéressante était la conférence de presse le 14 septembre, où la quadra, la voix tremblante, lançait un véritable appel à l’aide : « Je reste debout et je ne me tairai pas. » Elle y qualifie Booba de « harceleur et non de lanceur d’alerte » et dénonce le calvaire qu’elle subit depuis que le rappeur a lancé sa communauté contre elle (6 millions d’abonnés sur Twitter) en mai ; près de 100 000 messages de haine, de menaces de mort, de viol et d’incitations au suicide, y compris à l’encontre de ses enfants, alors que son adresse personnelle a été rendue publique (elle a dû déménager).

« Je vis à son rythme, quand il me laisse deux jours, ça va, et quand il reprend ses tweets, ça repart en meute derrière », a-t-elle raconté. Des screens de ces messages ont été rendus publics : « On viendra t’égorger chez toi sale pute », « Dommage que Hitler ne se soit pas occupé de tes grands-parents », « La sioniste, je lui baise sa mère. » Booba lui, a tweeté, entre autres : « Plus tu agonises, plus ça m’excite. »

A une époque où le cyberharcèlement n’a jamais été autant dénoncé, où le harcèlement scolaire est l’enjeu de campagnes nationales, on peut se questionner sur le fait que Booba, modèle pour des centaines de milliers d’adolescents, soit érigé au rang de justicier. En attendant que la justice passe, certains « acteurs » d’émissions de téléréalité ont mimé des problèmes de tendinite, sur Snap ou Instagram, profitant de l’aura soudaine que leur a donnée France 2 auprès du grand public. Mieux vaut un bad buzz que pas de visibilité du tout.

Avec ce documentaire, la France a donc semblé découvrir tout un univers dont elle ignorait étrangement l’existence : celui d’influenceurs suivis par des millions de jeunes et d’adolescents, qui sont leurs principaux clients, et ce depuis des années.

Se moquer de Magali Berdah nous évite peut-être de poser les questions qui dérangent : pourquoi nos enfants sont fascinés par Dubaï, les jets privés, l’oseille facile et la chirurgie esthétique et à quel point, nous, les adultes, en sommes responsables. La « lol-tendinite » semble surtout confirmer ce qu’elle dénonce : nous sommes tous, plus ou moins, des influencés.

Source lemonde