Dans cette nouvelle rubrique, Magali Cartigny et Nicolas Santolaria proposent un zoom sur ces écrans omniprésents dans nos vies. Des réseaux sociaux à la télé, du smartphone à la console de jeux vidéo, les journalistes du « Monde » plongent dans le tourbillon des images.
C’est l’histoire d’une tendinite. Il fut un temps où, lorsqu’une personnalité faisait une bourde à la télé, on en rigolait cinq minutes à la machine à café, puis on passait à la promo de Martine à la compta. Désormais, la bourde devient un objet en lui-même, qui échappe à son créateur, et dont le sens est détourné à l’envi sur les réseaux sociaux, pendant des jours, voire des semaines. Désormais, quand on entendra « Magali Berdah », on pensera « tendinite ».
Pour cause de #tendinite, nous sommes en incapacité de signer des accords d’entreprise cette semaine…
— CGT France Médias Monde (@CgtFmm) September 12, 2022
Un qui a le bras long, et qui jubile de cette épidémie nationale, c’est Booba. Le duc de Boulogne mène une croisade sur les réseaux sociaux depuis plusieurs mois contre les « influvoleurs » et Magali Berdah. Le rappeur, qui a porté plainte contre la femme d’affaires fin août, l’accuse d’arnaquer la jeunesse avec des placements de produits frauduleux. Une guerre dont il a gagné la première bataille avec l’enquête ouverte par le parquet de Grasse, le 6 septembre, pour « pratiques commerciales trompeuses ».
« Je reste debout et je ne me tairai pas »
Objet de la risée des internautes, Magali Berdah, allant jusqu’à s’expliquer sur Brut. et Virgin Radio sur la question fondamentale de sa douleur au bras, est ainsi devenue un mème à l’insu de son plein gré. Plus intéressante était la conférence de presse le 14 septembre, où la quadra, la voix tremblante, lançait un véritable appel à l’aide : « Je reste debout et je ne me tairai pas. » Elle y qualifie Booba de « harceleur et non de lanceur d’alerte » et dénonce le calvaire qu’elle subit depuis que le rappeur a lancé sa communauté contre elle (6 millions d’abonnés sur Twitter) en mai ; près de 100 000 messages de haine, de menaces de mort, de viol et d’incitations au suicide, y compris à l’encontre de ses enfants, alors que son adresse personnelle a été rendue publique (elle a dû déménager).
« Je vis à son rythme, quand il me laisse deux jours, ça va, et quand il reprend ses tweets, ça repart en meute derrière », a-t-elle raconté. Des screens de ces messages ont été rendus publics : « On viendra t’égorger chez toi sale pute », « Dommage que Hitler ne se soit pas occupé de tes grands-parents », « La sioniste, je lui baise sa mère. » Booba lui, a tweeté, entre autres : « Plus tu agonises, plus ça m’excite. »
A une époque où le cyberharcèlement n’a jamais été autant dénoncé, où le harcèlement scolaire est l’enjeu de campagnes nationales, on peut se questionner sur le fait que Booba, modèle pour des centaines de milliers d’adolescents, soit érigé au rang de justicier. En attendant que la justice passe, certains « acteurs » d’émissions de téléréalité ont mimé des problèmes de tendinite, sur Snap ou Instagram, profitant de l’aura soudaine que leur a donnée France 2 auprès du grand public. Mieux vaut un bad buzz que pas de visibilité du tout.
Avec ce documentaire, la France a donc semblé découvrir tout un univers dont elle ignorait étrangement l’existence : celui d’influenceurs suivis par des millions de jeunes et d’adolescents, qui sont leurs principaux clients, et ce depuis des années.
Se moquer de Magali Berdah nous évite peut-être de poser les questions qui dérangent : pourquoi nos enfants sont fascinés par Dubaï, les jets privés, l’oseille facile et la chirurgie esthétique et à quel point, nous, les adultes, en sommes responsables. La « lol-tendinite » semble surtout confirmer ce qu’elle dénonce : nous sommes tous, plus ou moins, des influencés.