Le Conseil d’Etat valide l’expulsion de l’imam Iquioussen, en fuite

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Saisi par le ministère de l’Intérieur, le Conseil d’Etat a tranché : l’imam du Nord Hassan Iquioussen, prédicateur réputé proche des Frères musulmans, est bien expulsable. Gérald Darmanin a immédiatement réagi sur Twitter, saluant «une grande victoire pour la République».

La décision, très attendue, est tombée : mardi, la plus haute juridiction française a annoncé dans un communiqué qu’elle annulait l’ordonnance du tribunal administratif de Paris et rejetait donc la demande de suspension de l’expulsion qu’avait présentée le prédicateur«Le juge des référés du Conseil d’Etat estime que ses propos antisémites, tenus depuis plusieurs années, lors de nombreuses conférences largement diffusées, ainsi que son discours sur l’infériorité de la femme et sa soumission à l’homme, constituent des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination ou à la haine justifiant la décision d’expulsion.» La juridiction d’appel donne ainsi raison au ministère de l’Intérieur sur ces deux points précis, écartant en revanche «la remise en cause de la réalité des attentats terroristes et son rejet des lois de la République au profit de la loi islamique», deux éléments qui n’ont pas été jugés, «en l’état du dossier […] de nature à justifier une décision d’expulsion». Le Conseil d’Etat n’a en revanche pas suivi l’analyse du tribunal d’administratif – et de la défense du prédicateur – sur l’atteinte disproportionnée à sa vie privée. Le juge «considère par ailleurs que cette décision ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à la vie privée et familiale de M. Iquioussen», ajoute le communiqué.

«C’est une grande victoire pour la République. Il sera expulsé du territoire national», a exulté le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin sur Twitter. Le ministre, hyperactif tout l’été, jouait sa crédibilité sur ce dossier. Mais il aurait été gagnant quelle que soit la décision puisqu’il avait prévenu que si le Conseil d’Etat ne suivait pas l’analyse juridique des services de l’Etat, il faudrait changer la loi. Au moins la plus haute juridiction administrative aura-t-elle permis d’éviter une nouvelle loi de circonstances…

Propos «à teneur antisémite»

Le projet d’expulsion d’Hassan Iquioussen, imam de 58 ans né en France mais de nationalité marocaine, connu de Libération depuis plusieurs mois, est révélé fin juillet. En cause, «un discours prosélyte émaillé de propos incitant à la haine et à la discrimination et porteur d’une vision de l’islam contraire aux valeurs de la République», selon le ministère de l’Intérieur, qui lui reproche notamment «un discours à teneur antisémite particulièrement virulent» et des prêches prônant la «soumission» des femmes. Ce n’est pas la première fois qu’Iquioussen, actif depuis le début des années 2000, est dans le viseur des autorités, mais l’expulsion, déjà envisagée, n’avait pas dépassé le stade des intentions. Fin 2021, Iquioussen demande le renouvellement de son titre de séjour. Le préfet du Nord, un proche du ministre de l’Intérieur, saisit l’occasion pour regarder de près son dossier. A la place de son nouveau titre, l’imam reçoit un avis d’expulsion. A l’issue d’une audience devant le tribunal de Lille, à laquelle Libération a assisté, la commission d’expulsion donne son feu vert. Une fois le nouveau gouvernement en place, l’Intérieur prend un arrêté ministériel d’expulsion (AME) : signé le 29 juillet, il lui est notifié le lendemain. Il ne reste plus qu’à obtenir le laissez-passer du Maroc. «Si tout va bien, il sera dans l’avion lundi», confie, le jeudi précédent, une source proche du dossier. Mais, selon une autre source proche du dossier, les policiers dépêchés en début de soirée ne l’ont pas trouvé à son domicile de Lourches (Nord). Considéré comme en fuite, il est désormais inscrit au fichier des personnes recherchées.

La raison de cet excès de confiance des autorités ? Le dossier patiemment constitué par les services de renseignement contre l’imam aux 30 millions de vues sur YouTube, par ailleurs fiché S, dont toutes les conférences ont été passées au crible. Les propos sont accablants, le prêcheur, pense-t-on, est indéfendable : son expulsion ne devrait pas faire un pli. De fait, le 4 août, la Cour européenne des droits de l’homme valide la procédure. Coup de théâtre le lendemain : saisi en référé par l’avocate du prédicateur de Lourches, le tribunal administratif de Paris suspend la décision d’expulsion. Les juges rappellent que, si l’imam n’est pas français, il est né en France, y vit et est père de cinq enfants français. A ce titre, le contraindre à quitter le pays porterait «une atteinte grave et manifestement disproportionnée à son droit à mener une vie privée et familiale», font-ils valoir. Autrement dit, dans la balance de la justice, les protections dont il jouit en tant qu’étranger vivant depuis 58 ans en France pèsent plus lourd que les charges qui pèsent sur lui. «Plus vous vivez longtemps sur le territoire national, plus vous êtes difficile à expulser», décrypte le juriste Pierrick Gardien. Autre argument, Hassan Iquioussen a bien tenu des propos antisémites, mais ils sont anciens. C’est notamment ce que fait valoir son avocate, Lucie Simon. Pourtant, lorsque son projet d’expulsion lui a été notifié en mai, le prédicateur a incriminé «le lobby sioniste», a rapporté le préfet Georges-François Leclerc lors de l’audience à Lille devant la commission d’expulsion, y voyant la preuve que le prédicateur n’a pas «évolué», contrairement à ce qu’affirme son conseil.

Une plaidoirie minutieuse

Place Beauvau, c’est la consternation. «Les juges ne comprennent rien à la taqiya», le double discours des islamistes, peste un proche du ministre, qui fait aussitôt appel de la décision. C’est à la mise à nu de ce double discours que s’emploie le ministère en août, soucieux de bétonner son argumentaire en vue de l’audience. Elle s’est tenue vendredi et a mis face à face les mêmes protagonistes qu’au début du mois : d’un côté, les défenseurs de l’imam, soucieux d’«un examen juridique apaisé» alors que l’avocate Lucie Simon a reçu des menacesde l’autre Pascale Léglise, la directrice des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère. La plaidoirie de la juriste a été minutieusement écrite dans un document de 43 pages que Libération a pu consulter. Son titre : «Analyse des propos d’Hassan Iquioussen et recontextualisation dans le discours et la rhétorique des Frères musulmans».

Les affaires immobilières de celui qui qualifia les juifs, dans une vidéo de 2003, d’«avares et usuriers», «le top de la trahison et de la félonie», sont aussi regardées de près. «Louer un logement insalubre à un handicapé mental : tel est le dernier exploit en date de Hassan Iquioussen», écrit le Canard enchaîné mi-août, révélant que le prédicateur est sous le coup de deux enquêtes du parquet de Valenciennes. Selon nos informations, une précédente enquête sur des soupçons d’escroquerie, datant de 2012 et faisant suite à une dénonciation de responsables de la mosquée d’Escaudain (Nord), avait cependant été classée sans suite.

«Ils ont choisi leur camp»

Interrogé par le Journal du dimanche sur ce qu’il attend du Conseil d’Etat, Gérald Darmanin prévient : «Soit la loi permet à la France de se protéger, soit elle ne permet pas de l’expulser et, dans ce cas, il faudra changer la loi.» Et attaque l’opposition : «Quand je vois des parlementaires et responsables LFI soutenir cet “imam”, alors qu’on ne les a pas entendus pour Salman Rushdie, je me dis qu’ils ont choisi leur camp.» Il fut un temps cependant où Darmanin aussi «soutenait» cet imam. Lorsqu’il briguait la mairie de Tourcoing en 2014, révèle Mediapart fin août, le ministre avait dîné avec la vedette de YouTube, espérant sans doute obtenir les suffrages des musulmans de la commune grâce à son influence. Dimanche sur BFM TV, Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, est à son tour monté au créneau. Si le Conseil d’Etat allait dans le même sens que le tribunal administratif, «ce serait un très mauvais signal, a-t-il dit. Les Français ne comprendraient pas qu’un imam […] qui déteste autant la République conserve sa place dans la République». Plus de 700 étrangers soupçonnés de radicalisation ont été renvoyés dans leur pays d’origine ces derniers mois, d’après le ministère de l’Intérieur.

par Eve Szeftel

Source liberation