En vertu d’un accord signé le 1er août entre la Roumanie et Israël, quelque 15 000 Roumains rescapés de l’Holocauste devraient pouvoir percevoir une pension mensuelle.
« Nous corrigeons une très vieille injustice. » Le premier ministre israélien Yaïr Lapid s’est félicité de la signature d’un accord, qualifié d’« historique », scellé le 1er août entre l’Autorité des droits des survivants de l’Holocauste et l’agence d’assurance nationale roumaine. Selon cet accord, les survivants de la Shoah d’origine roumaine pourront bénéficier d’une pension mensuelle versée par l’État roumain – de 440 € à 730 €, selon le nombre d’années passées en Roumanie entre 1940 et 1945 – et pourront finir leur vie dans la dignité.
Les temps sont comptés. Ils ne seraient plus que quelque 15 000 toujours vivants en Israël. Les discussions ont achoppé entre les deux États pendant des années, notamment parce que Bucarest exigeait de ses anciens ressortissants qu’ils fournissent des documents officiels roumains pour prouver leur éligibilité, rapporte le quotidien Times of Israël.
La troisième communauté juive d’Europe avant guerre
La Roumanie avait fini par reconnaître, en 2020, la validité des documents fournis par l’Autorité des droits des survivants de l’Holocauste attestant du fait que ces derniers vivaient en Roumanie pendant la guerre. Mais la sécurité sociale roumaine avait jusqu’ici freiné des quatre fers. Dorénavant, ces documents permettront aux intéressés de déposer leur demande d’indemnisation, comme cela se produit dans d’autres pays qui ont contracté un accord similaire.
Mais le cas de la Roumanie est emblématique. Avant guerre, le pays comptait la troisième communauté juive d’Europe, après la Pologne et l’URSS. D’après le recensement de 1930, ils étaient alors 756 000 à y vivre. Au sortir de la guerre, environ la moitié d’entre eux avaient disparu. La commission d’historiens, présidée par le Prix Nobel de la paix Elie Wiesel, avait estimé, dans son rapport de 2004, entre 280 000 et 380 000 le nombre de juifs victimes de la Shoah dans les territoires alors contrôlés par le régime dictatorial du général Ion Antonescu.
Les survivants prirent ensuite massivement le chemin d’Israël. « Les autorités étaient également pressées de les faire partir et d’appliquer l’accord commercial conclu avec Israël », rappelle l’historien Ioan Stanomir. Seuls quelques milliers de juifs vivent actuellement en Roumanie.
La Roumanie reconnaît son rôle dans la Shoah en 2004
Or, si la Roumanie fut alors « l’allié le plus zélé du Reich en Europe de l’Est », comme le remémorait l’anthropologue Florence Heymann, anciennement en poste au centre de recherche français à Jérusalem, dans L’Horreur oubliée : la Shoah roumaine (1), c’est elle qui a mené sur son propre sol une « Shoah roumaine » à coups de pogroms, de massacres, de déportations en Transnistrie que le régime qualifiait de « dépotoir ethnique ». Ainsi, le pogrom de Iasi est connu de tous comme un massacre mémorable, 100% roumain.
Cette entreprise d’extermination, orchestrée par le régime, et non pas par le Reich, est restée au mieux oubliée, au pire niée, pendant des décennies. En 2003 encore, le gouvernement d’alors acceptait d’ouvrir ses archives mais affirmait « qu’à l’intérieur des frontières de la Roumanie des années 1940, il n’y a pas eu de Shoah ». Ce scandale qui secoua la planète donna naissance à la commission Wiesel, à la reconnaissance officielle en novembre 2004 du rôle de la Roumanie dans la Shoah, à l’institution d’une journée de commémoration, puis à une série de lois, plus ou moins laborieusement exécutées, telle celle de 2013 sur l’indemnisation et la restitution des biens spoliés.