Sigmund Freud vivait à Vienne lorsque le nazisme s’est emparé de l’Europe. Il ne voulait pas s’échapper mais un groupe de ses fidèles partisans s’est organisé pour le forcer à fuir. Le journaliste américain Andrew Nagorski retrace cette incroyable épopée.
Sigmund Freud aimait trop Vienne. Il l’aimait tant qu’il a risqué sa vie pour ne pas la quitter. Même face à la brutale montée de l’antisémitisme et le nazisme qui s’infiltrait rapidement dans la ville, il s’est entêté à rester. Jusqu’à la dernière seconde, comme nous l’explique le Times. Le journaliste américain Andrew Nagorski raconte dans son livre, Saving Freud: A Life in Vienna and an Escape to Freedom in London, l’incroyable épopée du psychanalyste pour fuir la capitale autrichienne.
En 1931, Freud a 81 ans et mène une vie douce. À l’aise financièrement, son travail a été reconnu dans le monde entier, il a de nombreux adeptes, une ribambelle de doctorats et même une chaire qu’il pensait ne jamais pouvoir atteindre, à cause de sa confession juive. Il vit dans un appartement avec sa fille Anna qui s’occupe de lui et de leur chien, Wolf. Entouré d’antiquités et envouté d’un parfum de cigares, Freud se plait dans son cocon viennois. Son fils Martin dirigeait la maison Verlag Press et publiait en bas de la rue des textes de psychanalyse rédigés par des adeptes freudiens. Bref, tout se passait bien.
Mais, du jour au lendemain, tout bascule. Le nazisme se propage et la chasse aux juifs est de plus en plus féroce en Europe de l’Est. En 1933, Freud est conscient que la situation en Allemagne est « très sérieuse » mais est persuadé qu’elle ne se propagera pas en Autriche. Son optimisme aurait pu le perdre. C’était sans compter sur un petit groupe de personnes bien déterminées à sauver le psychanalyste, qu’il le veuille ou non. Ses partisans ont monté un plan bien ficelé pour soudoyer, piéger et forcer le psychanalyste têtu à monter dans un train pour Paris avant de finir ses vieux jours à Londres, où il est décédé en 1939.
Parmi la bande, on retrouve tout d’abord Ernest Jones, un médecin gallois qui était un élève dévoué de Freud avant de devenir son biographe. Jones a réussi à se procurer auprès du Home Office de Londres les papiers nécessaires pour tout le groupe Freud (24 personnes), à une époque où la Grande-Bretagne se méfiait plus que d’habitude des immigrants. La trésorière du groupe était Marie Bonaparte, une arrière-petite-nièce de Napoléon qui avait consulté Freud pour sa « frigidité ». Elle a décidé ensuite de rester à Vienne pour devenir elle-même psychanalyste. Elle a maintenu le moral de la bande au plus haut dans les heures les plus sombres et a trouvé l’argent pour le dernier pot-de-vin à la Gestapo, que Freud lui a remboursé quelques temps plus tard.
Un nazi au secours du psychanalyste juif
Au sein des acteurs clé de la fuite de Freud, on retrouve aussi le diplomate américain William Bullitt, ancien ambassadeur à Moscou qui allait être muté à Paris. Il avait collaboré avec Freud pour la rédaction d’une étrange biographie sur Woodrow Wilson, ancien président des États-Unis qu’ils détestaient pourtant tous les deux. Bullitt avait des relations. Juste avant la fuite, il a parlé au président Roosevelt, pour lui demander d’accélérer les démarches diplomatiques secrètes pour extraire Freud de Vienne.