Thierry Lhermitte au festival Off d’Avignon : «Le mal ne disparaîtra jamais»

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Sur la scène du Chêne Noir, à Avignon, Thierry Lhermitte présente jusqu’au 30 juillet «Fleurs de soleils», d’après Simon Wiesenthal. Un spectacle puissant et questionnant.

Dans « Fleurs de soleils », paru en 1969, Simon Wiesenthal (1908-2005), survivant autrichien de la Shoah qui deviendra chasseur de nazis après-guerre, relate comment en 1942, il est étrangement appelé au chevet d’un officier nazi à l’agonie qui lui demande de lui accorder son pardon au nom des Juifs. Ce qu’il lui a refusé. Ce choix l’interrogera toute sa vie. Avait-il fait le bon ? Cette question du pardon est au cœur de ce spectacle puissant mis en scène par Steve Suissa et porté, seul en scène, par Thierry Lhermitte qu’on rencontre peu avant sa deuxième représentation au théâtre du Chêne Noir (jusqu’au 30 juillet, à19h55), dans le Off d’Avignon.

Comment se passe votre festival ?

THIERRY LHERMITTE. C’était mal parti, j’ai eu le Covid. On a annulé trois représentations (le spectacle commençait le 7 juillet), j’ai repris avant-hier et ce soir (12 juillet) c’est la deuxième. Je suis bien fatigué, mais ça va mieux. J’étais incapable de jouer, et puis, c’est interdit.

Que représente Avignon pour vous ?

C’est la deuxième fois que j’y joue, la première c’était il y a cinq ans. Je n’étais jamais venu. Je suis émerveillé. Franchement de l’extérieur ça me faisait un peu rire, tous ces théâtreux, mais de voir l’enthousiasme général, combien c’est sympa, bon enfant et bon esprit, c’est vraiment extra. Ce type de foisonnement de créativité doit être unique au monde. C’est très sympathique.

Qu’est-ce qui vous faisait rire, parce que vous en avez fait beaucoup du théâtre dans ce type d’ambiance…

Oui, j’en ai fait des tournées avec deux tréteaux avec mes camarades du Splendid, j’ai joué dans ces conditions-là aussi, c’était très soixante-huitard, c’est ça qui me faisait rire, un rire attendri bien sûr, et en fait, c’est tellement sympa qu’Avignon m’a conquis.

Vous pensez en profiter du festival ?

Oui, j’ai énormément de copains qui jouent, je ne me rendais pas compte à quel point il y avait toutes sortes de gens, de jeunes à vieux, qui jouent.

Vous vous baladez un peu ?

Non. Je viens d’arriver, j’ai eu le Covid et il fait un peu chaud…

Votre journée vous la rythmez comment ?

Je vais monter à cheval le matin, et le soir je joue. Je suis venu avec mon cheval, à 20 minutes d’ici, chez des amis.

Vous allez reprendre ce spectacle à Paris ?

Je ne pense pas, à moins qu’il y ait une petite série qui se présente, sinon je joue le 11 août au festival de Lacoste (Vaucluse) et en tournée de septembre à février, une quinzaine de dates par mois.

Un autre projet pour la suite ?

Pour septembre 2023, mais c’est un peu tôt pour en parler.

En troupe ou seul ?

Avec d’autres comédiens, pas seul. Je n’ai aucun goût particulier à jouer seul, c’est la première fois et c’était l’occasion, je n’en avais jamais eu le projet ni l’ambition, c’était vraiment le coup de foudre, la rencontre avec ce texte, avec Steve Suissa.

Qu’est-ce que ça vous a appris de jouer seul ?

Bizarrement ça m’a enlevé du trac, c’est très étrange. En même temps ce texte est assez différent d’une pièce de théâtre parce que c’est un peu une mission. Je parle aux gens.

Vous le prenez comme une mission ?

Oui, d’aller éclairer ou en tout cas partager cette interrogation. Il n’y a pas de quatrième mur, je parle aux gens pour de vrai. Quand je rentre, j’essaye de ne pas être dans le théâtre mais dans la transmission. Le partage de cette interrogation autour du pardon…

Qui est tellement actuelle…

On vient de juger le 13 Novembre, on voit ce qui se passe en Ukraine, malheureusement les malheurs ne s’arrêtent pas et ne sont pas près de s’arrêter. C’est une interrogation, non pas permanente ni quotidienne, mais qui ne peut pas s’éteindre. Le mal dans l’histoire de l’humanité ne disparaîtra jamais, les occasions de pardonner, ou pas, il y en a tout le temps.

Ce spectacle a fait bouger des choses en vous ?

J’ai beaucoup lu sur le pardon, je me suis posé beaucoup de questions et pour moi le pardon ne peut intervenir qu’après la justice et la demande de pardon. Je crois que je n’aurais pas pardonné et regretté de ne pas l’avoir fait. Il faudrait être assez fort pour pardonner à l’univers entier le mal qu’il s’inflige sans cesse, ce serait le sauver sans doute, mais je ne suis pas le sauveur, c’est ce qui est dit à la fin.

Les derniers rescapés de la Shoah disparaissent et manifestent beaucoup d’inquiétude sur la préservation et la transmission de cette mémoire… Ont-ils raison ?

Oui. Mon grand-père avait fait la guerre de 14, ça avait une réalité pour moi. Celle de 39-45 aussi avec mes parents. Mais pour mes enfants, la guerre de 14, c’est de l’histoire comme Louis XIV. Et pour la génération d’après…

On parle de crimes contre l’humanité de masse à l’époque moderne…

Oui, mais le génocide arménien est derrière, les Héréros en Afrique, le génocide au Rwanda, les Indiens d’Amérique aussi. Il en sera pour la destruction des juifs d’Europe tout autant… Gaël Faye, qui a vécu le génocide au Rwanda, disait sur France Inter qu’on est tiraillé entre se souvenir et avancer, là-bas, les assassins sont encore à la porte à côté… Il faut avancer avec son passé, dit-il.

Et pour avancer, pardonner ?

Dans certains cas, oui, mais pas dans tous. Certains disent il faut pardonner dans tous les cas, moi non… Peut-être qu’il faut pardonner même à ceux qui ne se repentent pas. Est-ce qu’on a besoin du pardon pour vivre ensemble ? Ou est-ce qu’on ne peut pas pardonner à n’importe qui, justement pour vivre ensemble ? Dans l’émission de Faustine Bollaert (Ça commence aujourd’hui sur France 2), un Juif déporté enfant raconte comment il a pardonné à un ancien gardien de son camp sur son lit de mort, le prenant dans ses bras. Il dit que c’était le plus beau jour de sa vie, qu’il a grandi et était plus heureux après.

Par Sylvain Merle