Interview d’Élie Korchia : « Nous serons vigilants face à LFI et au RN »

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INTERVIEW – Le chef de file de la principale institution religieuse juive française, Élie Korchia, fait le point sur la situation des Juifs de France.

Dimanche à Troyes, le Consistoire central israélite de France organise un grand événement pour célébrer le millénaire du rabbin Rachi, un des plus grands penseurs du judaïsme, en présence de nombreuses personnalités, dont Sarah El Haïry, secrétaire d’État à la Jeunesse et au Service national universel. L’occasion pour son nouveau président, l’avocat Élie Korchia, élu en octobre, de livrer son sentiment sur la situation des Juifs de France.

Pourquoi célébrer Rachi à Troyes ? Que représente-t-il dans l’histoire du judaïsme français et de la France ?
C’est une figure qui symbolise l’ancrage et l’histoire du judaïsme en France. Il est le plus grand ­commentateur de la Torah et du Talmud depuis un millénaire. Et il ne vivait pas à Jérusalem ou à Babylone, mais à Troyes, en Champagne, au XIe siècle. On l’appelait même le rabbin vigneron ! Cette journée autour de Rachi met à l’honneur la pensée juive, la culture juive et l’humour juif. On va ainsi fêter la vitalité du judaïsme français sous ses multiples facettes. Il est aussi important que la jeunesse juive, qui depuis quinze ans a grandi en étant confrontée à nombre de drames, perçoive cette réalité positive.

Comment se porte aujourd’hui la communauté juive de France ?
Nous sommes dans une situation d’ambivalence. Il existe tout d’abord un climat qui reste anxiogène : rappelons les meurtres d’Ilan Halimi en 2006, de Sarah Halimi en 2017, de Mireille Knoll en 2018 et les attentats terroristes de 2012 et de 2015, qui ont provoqué un réel traumatisme. Il existait un adage qui disait « heureux comme un Juif en France » . Aujourd’hui, on pourrait dire « Inquiet comme un Juif en France »… D’un autre côté, il y a toujours cette volonté de ne pas céder à la résignation, d’aller de l’avant. La communauté juive continue, comme elle l’a toujours fait au sein de la communauté nationale, à innover et à se réinventer.

En 2021, 3 500 Français sont partis en Israël pour faire l’alyah, le chiffre le plus élevé depuis 2017, est-ce que ça vous inquiète ?
On revient aux chiffres habituels. Il y a quelques années, après les attentats de 2012 puis de 2015, ils étaient bien plus importants. L’État d’Israël, qui est un pays encore jeune, a le mérite de profiter de l’apport de Juifs du monde entier. Les Juifs français apportent ainsi une culture qui bénéficie largement au pays et c’est un motif de fierté pour nous.

Pour vous, les Juifs ont-ils toujours un avenir en France ?
Oui, il faut rester toujours combatif et optimiste. Nous sommes là, nous continuerons à y croire et à vivre dans ce pays qui est le nôtre, et qui constitue la troisième communauté juive dans le monde après Israël et les États-Unis.

Quelle est votre vision de la laïcité à la française, qui suscite aujourd’hui nombre de débats ?
Les citoyens juifs français ont toujours été un modèle d’intégration et de participation à la vie de la cité. Nous avons toujours trouvé des aménagements intelligents et positifs concernant la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État. Ces dernières années, certains politiques ont toutefois porté une vision plus restrictive, plus renfermée de cette notion de laïcité. Il ne faudrait pas que les juifs de France soient les victimes collatérales d’un changement de prisme dû en réalité à d’autres menaces et d’autres comportements. La laïcité ne peut pas être synonyme de négation ou d’entrave à la liberté religieuse. Nous sommes inquiets d’une possible remise en cause de certains acquis qui n’avaient jamais posé problème : je ne veux pas vivre dans un pays où des leaders politiques voudraient une loi pour mettre une amende parce qu’on porte une kippa dans la rue ou encore qu’on puisse nous empêcher de continuer à produire et manger de la viande cachère tel que nous l’avons toujours fait.

L’abattage rituel est combattu par certains politiques, mais aussi par certaines associations de défense des animaux. Le prenez-vous en compte ?
Nous avons sans doute le devoir de mieux communiquer à ce sujet pour rappeler et démontrer qu’il n’y a pas d’antinomie entre les règles du judaïsme et le respect dû aux animaux, contrairement à certains préjugés.

Quel est le niveau de l’antisémitisme en France aujourd’hui ?
Il est à un seuil inquiétant. Depuis plusieurs années, les chiffres ne baissent pas. On est sur une sorte de plateau. La lutte contre l’antisémitisme est une des premières préoccupations pour les citoyens juifs de France. Mais cela concerne plus largement le pays tout entier. Un pays où les actes antisémites restent aussi importants est un pays qui ne va pas bien. C’est pourquoi les gouvernements successifs des dernières années ont décidé d’en faire une cause nationale. L’antisémitisme est un virus et il faut le combattre, tant par la prévention que par la répression.

D’où vient-il ?
L’antisémitisme mute d’une génération à l’autre, mais il y a hélas des constantes. On l’a constaté par exemple lors des manifestations contre le vaccin durant la crise du Covid-19, quand des insultes antisémites ont été honteusement proférées, donnant lieu pour certaines à des condamnations. Il y a celui porté par toute une frange de l’extrême droite en France depuis plus d’un siècle, comme l’a rappelé l’excellent livre de Christophe Donner : La France goy (Grasset). Ces vingt dernières années, on a vu aussi une recrudescence d’agressions antisémites liées à l’islamisme radical, comme en 2012 ou 2015.

Les autorités en font-elles assez aujourd’hui pour lutter contre l’antisémitisme ?
Des actions sont menées et je tiens à rendre hommage au travail réalisé par les pouvoirs publics. Est-ce assez ? Évidemment pas puisque la situation reste très inquiétante. Les chiffres, comme les faits, sont têtus, et ils ne baissent pas. Un travail important est fait mais il faut encore l’amplifier. Notamment quand on voit certaines associations dans la sphère de l’extrême gauche qui, sous couvert d’antisionisme, s’attaquent en réalité aux Juifs.

Dans les quartiers où vit une population juive importante, au premier tour de la présidentielle il y a eu un survote en faveur d’Éric Zemmour. Comment l’expliquez-vous ?
Il n’y a pas de vote juif en France ! Dans la communauté juive, comme au sein de la communauté nationale, il y a pu avoir à un moment, à l’automne 2021, un certain engouement autour de la candidature d’Éric Zemmour. Il affirmait vouloir recomposer la droite française, mais il a en réalité recomposé l’extrême droite française. Et il a finalement échoué dans son projet, tout en servant – bien malgré lui – la cause de Marine Le Pen et du Rassemblement national.

Malgré ses propos sur Pétain ou sur les victimes juives de Mohamed Merah, il a quand même fait un bon score sur ces territoires…
Il faut relativiser les chiffres. Oui, des citoyens juifs ont voté pour Éric Zemmour. Mais regardez les législatives : il a réalisé des scores très faibles, y compris dans ces quartiers.

Sur l’antisémitisme, faites-vous confiance à Marine Le Pen ? Considérez-vous que le RN n’est plus un parti antisémite ?
Je ne vais pas faire de procès d’intention ni de procès en antisémitisme à Marine Le Pen. J’ai pris note de ses déclarations récentes. Mais nous restons vigilants et inquiets par rapport à l’extrême droite en France, en raison de son programme et des valeurs qu’elle incarne. Voir aujourd’hui à l’Assemblée nationale un nombre important de députés d’extrême droite, mais aussi d’extrême gauche, n’est pas sans nous inquiéter. Nous serons donc vigilants sur les propositions qui seront faites, en particulier sur la laïcité « à la française » qui nous est chère et que nous devons préserver.

Que reprochez-vous à La France insoumise sur l’antisémitisme ?
Là encore, je ne ferai pas de procès d’intention. Mais à chaque fois qu’il y aura des déclarations ou des actes qui vont à l’encontre des valeurs que nous portons, je me positionnerai. Par exemple, nous n’avons pas apprécié l’épisode avec Jeremy Corbyn [suspendu pour sa gestion de l’antisémitisme au Labour avant d’être réintégré, il est venu soutenir deux candidates LFI à Paris durant la campagne des législatives]. S’il n’y a pas de vote juif en France, j’ai toujours remarqué deux constantes : des appels au vote afin d’accomplir notre devoir civique (d’autant plus à une époque où l’abstention bat des records) ainsi qu’un profond rejet des extrêmes.

Mettez-vous sur le même plan Éric Zemmour, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ?
Non, parce qu’ils n’ont pas des parcours et des positionnements similaires. En revanche, il y a une inquiétude qui reste forte sur des propositions ou des déclarations qui pourraient être faites par ces différents responsables politiques. Nous serons particulièrement vigilants face à LFI et au RN en raison de leur poids à l’Assemblée nationale, Reconquête ! n’ayant eu aucun député élu en ce qui le concerne.

Propos recueillis par Michaël Bloch, Adèle Goldryng et David Revault d’Allonnes

Source lejdd