Israël : comment Netanyahou prépare son retour, par Danièle Kriegel

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La stratégie de l’ancien Premier ministre pour mettre en minorité la coalition dirigeante a payé. Depuis jeudi, un gouvernement de transition est aux commandes.

En moins de douze heures, jeudi dernier, les Israéliens auront connu deux temps politiques : dans la matinée, le vote de la loi de dissolution de la Knesset, le Parlement, et, dans l’après-midi, la première sortie sur le terrain de Benyamin Netanyahou, désormais en campagne électorale. Pour cette fois, le chef de l’opposition a choisi Malcha, le plus grand centre commercial de Jérusalem. Trois étages de boutiques en tous genres, habillement, tout pour la maison, informatique, cafés, brasseries, supermarché, etc. Sans jouer la montre, Benyamin Netanyahou est passé de magasin en magasin, s’arrêtant parfois dans l’un d’entre eux pour poser des questions sur les prix de tel ou tel produit. Comme dans cette boulangerie-pâtisserie ou ce supermarché.


À chaque fois, le même mantra en direction des clients. « L’envolée des prix ? La faute de ce mauvais gouvernement. Si vous votez pour nous, je vous promets la baisse du coût de la vie. Ce sera notre première mission… » La vidéo postée plus tard sur les réseaux sociaux reprend les grands moments de cette visite, surtout les acclamations de curieux d’abord surpris puis ravis, dont certains n’hésitent pas à reprendre les hits de douze ans de règne : « Bibi-roi d’Israël ! » ou « Rien que Bibi ! ».

« Un gouvernement fort qui rendra sa puissance au pays »

Moins de 24 heures plus tard, Benyamin Netanyahou aura développé un autre thème fort de sa campagne : Yaïr Lapid, son principal adversaire, l’actuel Premier ministre, ne pourra pas, selon lui, former de coalition gouvernementale sans les députés arabes, qu’il accuse depuis des mois d’être des suppôts du terrorisme : Ra’am, le parti islamique, membre de la coalition sortante, qu’il qualifie d’association liée aux Frères musulmans – et l’autre formation arabe, la Liste conjointe. Il en veut pour preuve la longue interview, publiée par le journal Yediot Aharonot, de l’ancienne conseillère diplomatique de Naftali Bennett.

Entre autres confidences, Shimrit Meïr raconte la forte tension, début mai, au sein du gouvernement, alors que le Premier ministre et son ministre des Affaires étrangères attendaient la décision des responsables de Ra’am concernant son maintien ou non au sein de la coalition gouvernementale. « Cette nuit-là, tout le monde attendait la décision du conseil des Imams. Hystérique, Yaïr Lapid a dépêché son chef de cabinet, avec un chéquier bien ouvert » (Pour acheter leur soutien ?). Du pain bénit pour Netanyahou qui, depuis des mois, ne cesse d’affirmer que le pays est dirigé par Ra’am. Résultat : dans un clip de campagne diffusé vendredi dernier, Benyamin Netanyahou lance : « C’est l’issue des prochaines élections : entre un gouvernement Lapid, soumis au chantage des partis arabes, un cabinet qui continuera de saper l’honneur national et augmentera les prix, ou plutôt un gouvernement fort dirigé par moi et qui rendra sa puissance au pays, la fierté et l’espoir à tous les citoyens d’Israël. »

Blocage parlementaire et pression sur les députés

Voilà pour les thèmes de campagne, de ceux qui doivent séduire tout un éventail d’électeurs, de la droite nationaliste à l’extrême droite, sionistes religieux comme ultraorthodoxes, sans oublier les déçus du gouvernement sortant. Mais la stratégie du chef du Likoud ne s’arrête pas là. Son autre cible s’inscrit dans l’action menée depuis un an de fait depuis son passage à l’opposition – c’est-à-dire provoquer un blocage parlementaire permanent. D’abord en votant contre tout projet de loi présenté par le gouvernement Bennett, même s’il est dans la ligne politique du Likoud. Puis, en parallèle, en repérant les maillons faibles de la coalition au pouvoir, afin d’exercer sur eux une pression maximale. Le but étant, bien sûr, de les faire craquer et de retirer leur soutien au gouvernement, lequel, il faut le rappeler, ne bénéficiait que d’une majorité au rasoir, soit 61 députés sur 120.

Une stratégie qui a payé. C’est en effet avec le départ, en avril dernier, de la députée Idit Silman, de Yemina, le parti de Naftali Bennett, que tout est allé de mal en pis pour la coalition devenue minoritaire. Le coup de grâce a eu lieu quelques semaines plus tard avec la défection de Nir Orbach, lui aussi de Yemina. Fin mai, début juin, c’était une évidence : les jours du gouvernement Bennett étaient comptés.

Un premier acte victorieux pour le chef de l’opposition, dans sa volonté de reconquête du pouvoir. Depuis jeudi dernier – la dissolution du Parlement et l’entrée en fonction à la tête du gouvernement de transition de Yaïr Lapid –, Benyamin Netanyahou joue le deuxième acte d’une pièce intitulée « retour au pouvoir ». Le troisième acte s’ouvrira le 1er novembre au soir avec les résultats des élections législatives. D’ici là, on devrait assister à un duel cinglant Lapid/Netanyahou. Mais rien ne permet de prédire une victoire de l’un ou de l’autre. De fait, selon les sondages les plus récents, ce cinquième scrutin en moins de trois ans et demi pourrait bien se conclure par une nouvelle situation de blocage, aucun des deux blocs, les pro et anti-Bibi, n’étant en mesure de former une coalition majoritaire. Ce sont là les « joies » de la proportionnelle intégrale. Pourtant, il serait tout aussi imprudent d’ignorer le facteur temps. Quatre mois, dans cette région du monde, c’est presque l’éternité, ou du moins une période suffisamment longue pour que tout bascule.
Danièle Kriegel