Dans une plainte déposée vendredi 10 juin auprès du comté de Leon, en Floride, le rabbin Barry Silver dénonce la loi portée par le gouverneur de l’État qui interdit l’avortement au-delà de 15 semaines de grossesse. Selon le rabbin, cette loi « interdit aux femmes juives de pratiquer leur foi ».
Le rabbin d’une communauté de Boynton Beach, dans l’État américain de Floride, a déposé une plainte, vendredi 10 juin, contre une loi qui interdit l’avortement après 15 semaines de grossesse. Signée par le gouverneur républicain Ron DeSantis, cette loi, qui entre en vigueur le 1er juillet, n’autorise l’interruption d’une grossesse qu’en cas de « risque grave » pour la santé de la femme ou d’une anomalie létale du fœtus.
Pour Barry Silver, à l’origine de la plainte déposée devant la cour du comté de Leon, « cette loi interdit aux femmes juives de pratiquer leur foi sans l’intrusion du gouvernement, ce qui viole leur droit à la vie privée et leur liberté de religion ». Rabbin de la communauté L’Dor Va-Dor, qui signifie « génération à génération », il prône un « judaïsme de demain aujourd’hui » et s’inscrit dans une mouvance libérale, bien qu’il ne soit pas affilié à un courant reconnu du judaïsme américain. Selon lui, comme le judaïsme autoriserait l’avortement, l’interdiction juridique d’un droit religieux irait donc à l’encontre de la liberté de religion, garantie par le 1er amendement de la Constitution américaine.
Cette procédure juridique intervient dans un contexte américain de remise en question du droit à l’avortement à l’échelle du pays. En mai dernier, un document rédigé par l’un des juges conservateurs de la Cour suprême avait fuité, concernant l’annulation de l’arrêt « Roe vs Wade », qui garantit depuis 1973 le droit à l’avortement. Alors que la décision devrait être rendue à la fin du mois de juin, l’accès à l’interruption volontaire de grossesse pourrait être du ressort de chaque État.
Au cas par cas
Que dit le judaïsme à propos de l’avortement ? « Dans le judaïsme progressiste américain, il existe un activisme très actif en faveur de l’accès à l’avortement », explique la philosophe Noémie Issan-Benchimol, doctorante en sciences religieuses à l’École pratique des hautes études (EPHE).
À l’inverse, les courants traditionalistes s’inscrivent plutôt dans une opposition à l’avortement, à l’instar des groupes juifs orthodoxes qui s’étaient opposés à l’extension des délais légaux d’avortement à New York, en 2019. « Les orthodoxes ne sont pas “pro-life” pour autant, souligne Noémie Issan-Benchimol. Le judaïsme orthodoxe considère que l’avortement est autorisé dans certains cas, voire requis si la vie de la mère est en danger, et ce jusqu’à la naissance. La décision est prise par les rabbins au cas par cas. »
Parmi la communauté juive, 83 % des juifs estiment, selon un sondage publié par le Pew Research Center en 2015, que l’avortement devrait être légalisé dans la plupart des cas ou tous les cas – soit le groupe religieux le plus favorable à l’avortement aux États-Unis.
Primauté de la vie de la mère
Qu’en disent les textes ? « Chacun trouve sa justification selon les sources qu’il utilise, met en garde la philosophe. Il n’existe pas d’interdit biblique explicite à l’avortement. » De fait, les textes ne comportent pas l’idée que la vie commence à la conception. Selon le Talmud, le fœtus n’a pas de statut juridique avant 40 jours, et la vie de la mère l’emporte toujours sur celle de l’enfant, tant qu’il n’est pas sorti de son ventre.
Les débats rabbiniques se situent davantage sur l’interprétation de la nature du « danger » pour la vie de la mère. Une détresse psychologique constitue-t-elle un danger sur la vie de la mère ? La décision finale d’autoriser ou non l’avortement se fait alors au cas par cas, selon l’interprétation d’un rabbin.
Défense de la liberté religieuse
La plainte du rabbin de Floride pourrait-elle aboutir ? Selon Samira Mehta, professeure d’études juives et d’études de genre à l’université du Colorado, « c’est difficile à dire, mais si elle aboutit, cette décision créera un précédent et pourrait servir l’exemple dans d’autres États ».
« Aux États-Unis, la question de la liberté religieuse a longtemps été utilisée pour protéger les minorités religieuses », souligne Samira Mehta. Or, récemment, cet argument a été repris par des groupes religieux ayant une influence politique, pour attaquer les droits de ces minorités, par exemple lors de manifestations « pro-life » où des chrétiens ont appelé à l’interdiction de l’avortement en se basant sur des arguments religieux. « Si les catholiques et les évangéliques conservateurs ont droit à la liberté de religion, les autres communautés religieuses aussi. »
Juliette Paquier