Hibuki, la peluche israélienne qui soigne les enfants ukrainiens traumatisés

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Hibuki, qui se noue autour du cou, essuie les larmes et écoute les secrets. United Help Ukraine
Avec son regard de chien battu et ses longues oreilles, la peluche israélienne Hibuki, permet à l’enfant traumatisés par les horreurs du conflit d’effectuer un transfert et libère sa parole.

Du haut de son appartement d’une tour du quartier de la «petite Russie» d’Ashdod, Daphna Sharon Maksimov se projette dans la guerre en Ukraine. La psychologue israélienne d’origine biélorusse pilote le projet Hibuki Open Arms, un programme d’aide aux enfants traumatisés par les bombardements et par les violences commises par les troupes russes. Selon les chiffres de l’ONU, 4,5 millions de mineurs ukrainiens sont des déplacés. La thérapeute se porte à distance au secours d’une partie de certains d’entre eux via une peluche baptisée Hibuki, mot hébreu qui pourrait se traduire par «câlin».

Hibuki est une peluche au regard de chien battu avec de longues oreilles pour essuyer les larmes et raconter ses secrets. Elle se noue autour du cou. La méthode Hibuki repose sur un transfert. «Les enfants en souffrance se lient spontanément avec la marionnette. Lorsqu’on leur demande ce qu’ils pensent des sentiments de Hibuki, ils vous répondent qu’il est triste. Lorsqu’on leur demande pourquoi, ils répondent que sa maison a été attaquée ou qu’il craint que son père meure dans les combats. Peu à peu, ces gamins commencent à parler d’eux. Les enfants ne savent pas expliquer leur peine. Ils ont besoin d’une projection», explique Daphna Sharon Maksimov.

La peluche devient un compagnon permanent dont il faut prendre soin, l’aider à dormir et ainsi permettre à l’enfant de retrouver à son tour le sommeil. Comme Sergei, 5 ans, un enfant du Donbass qui a marché 12 kilomètres avec sa grand-mère pour sortir de la zone des combats laissant derrière lui ses parents. «Avec Hibuki, il a fini par recommencer à parler», dit la psychologue, qui conseille par Zoom le travail de 40 collègues ukrainiens sur place et a initié quelque 2000 praticiens à la méthode.

Les cas les plus délicats concernent les fillettes et les garçons violés par les soldats russes. «C’est l’histoire d’une fillette de 6 ans de Boutcha. Elle a été violée par six soldats russes. Ses grands-parents ont été tués sous ses yeux. Sa mère a été attachée, violée et abattue. L’enfant a raconté à sa peluche ce qu’elle ne pouvait exprimer. Elle ne sera jamais une personne comme les autres, mais elle peut continuer à vivre», poursuit-elle.

Lors d’une conférence Zoom avec 150 enfants issus d’écoles juives d’Ukraine, un garçon de 8 ans de Kiev a partagé son histoire avec la thérapeute israélienne. Il a fui Kiev en voiture au début du conflit avec son père. «Le gamin avait oublié sa tablette à la maison. Son père a fait demi-tour en laissant les siens au bord du chemin. Il n’est jamais revenu, victime d’un bombardement. Si le garçon avait été pris en charge rapidement, les chances de rétablissement auraient été plus grandes», commente Daphna Sharon Maksimov.

30.000 réfugiés en Israël

Les concepteurs du projet sont convaincus des vertus d’auto-apaisement et de soulagement de Hibuki. «Au lieu de se concentrer sur leurs propres angoisses, ils portent leur attention ailleurs. Nous avons découvert que les enfants qui ont reçu la peluche souffrent moins d’anxiété et de dépression», insiste la psychologue. 5000 marionnettes Hibuki en provenance de Chine et d’Israël sont en cours d’envoi vers douze villes d’Ukraine. Une usine de Lviv s’est également lancée dans la fabrication du produit.

Le concept a été inventé en 2006 durant la deuxième guerre du Liban pour les enfants israéliens déplacés du nord du pays. Il est repris lorsque des tirs de roquettes se sont abattus sur Ashdod et a été exporté au Japon à l’occasion du tsunami de 2011. L’initiative s’inscrit dans l’élan de solidarité en faveur de l’Ukraine qui touche principalement la communauté russophone, qui compte plus d’un demi-million de personnes d’origine ukrainienne dans une population de 9,4 millions d’habitants.

Près de 30.000 réfugiés ont débarqué en Israël depuis le début du conflit. Les juifs, soit la moitié d’entre eux, bénéficient de la loi du retour et peuvent obtenir la nationalité israélienne. Les autres ont des visas touristiques renouvelables assortis d’une interdiction de travailler. Un principe contesté par la justice.

«Il y a énormément de projets et d’initiatives dans la société civile, mais l’État ne suit pas», estime Anna Zharova, la directrice de l’Alliance israélo-ukrainienne. «Depuis le début de la guerre, tout citoyen israélien pouvait inviter un Ukrainien et s’en porter garant en Israël. Désormais, un non-juif israélien peut inviter uniquement sa famille au premier degré.»

Côté russe, environ 10.000 dissidents ont rejoint la Terre sainte. Appelée «l’alya Poutine», cette vague d’immigration de dissidents touche surtout des artistes, des professionnels des médias, des hommes d’affaires et des partisans d’Alexeï Navalny.

Souvent les relations entre Israéliens d’origine russe et Israéliens d’origine ukrainienne se tendent. «Mes amis ukrainiens réagissent parfois avec nervosité. On se dispute. Ils pensent que nous pouvons faire quelque chose, mais nous sommes impuissants. Et nos proches en Russie sont dans le piège de la propagande de Poutine. C’est une catastrophe. Ils sont convaincus qu’il va sauver l’Ukraine des néo-nazis», dit Viktoria, une esthéticienne d’Ashdod où plus d’un quart de la population est russophone.

Source lefigaro