Le journaliste de 25 ans, investi candidat par la Nupes à Vénissieux, a déjà publié son autobiographie. Passionnante, surtout par ses omissions.
Une autobiographie à 25 ans, pourquoi pas ? C’est l’âge auquel la starlette de la télé-réalité Nabilla Benattia avait publié la sienne. Elle s’intitulait Trop vite (Robert Laffont, 2016), titre qui aurait sans doute convenu au récit de Taha Bouhafs. En effet, Ceux qui ne sont rien (La Découverte, janvier 2022) est un livre très vite lu. Il compte 127 pages, dont un quart de longs verbatim où l’auteur laisse parler les autres (son avocat, un Gilet jaune, une femme de ménage, un ouvrier, Assa Traoré…). Reste donc, de l’auteur proprement dit, quelque 80 pages, qui semblent avoir été très vite écrites, elles aussi.
La ligne directrice est de se poser en porte-voix des oubliés des cités, issus de l’immigration, discriminés, en proie aux persécutions policières. Le problème est qu’à trop marteler ce message Taha Bouhafs laisse de côté des détails qui n’en sont pas vraiment.
En ce qui concerne son parcours, tout d’abord, le jeune homme, né en 1997, se présente comme issu d’une famille arrivée à Échirolles (Isère) alors qu’il avait 4 ou 5 ans, vers 2002. Le père est ouvrier dans l’électronique, la mère est femme au foyer. « Son voile joue contre elle en France et trouver un boulot relève presque de l’impossible », écrit-il.
«Je ne comprends pas que #LFI puisse présenter quelqu’un qui a été condamné pour injure raciale.»
🗨 @Fabien_Roussel Secrétaire national du @PCF à propos de la candidature de #TahaBouhafs▶ #Les4V @Caroline_Roux #Nupes #Venissieux pic.twitter.com/QjUvyKM3S4
— Info France 2 (@infofrance2) May 9, 2022
La réalité est un peu plus nuancée. Zaïm Bouhafs, père de Taha, nous a confirmé qu’il était arrivé en France en 1979. Rentrant régulièrement en Algérie, il s’est marié là-bas, puis il a fait venir son épouse et leurs deux enfants, Taha et sa sœur jumelle. Il était bien intégré dans la vie locale, animant une association, appelée Le Club de réflexion interculturel. Militant à gauche dès 2012, il est aujourd’hui quatrième adjoint à la mairie d’Échirolles.
Mayare – la sœur jumelle de Taha – porte, elle, le voile, ce qui ne l’empêche pas d’être active. Elle a donné au moins une conférence avec son père. En 2021, elle a fait un stage de cinq mois au Labo Cités, une structure dédiée aux politiques de la ville dépendant de la région Auvergne-Rhône-Alpes, présidée par Laurent Wauquiez.
Première campagne
Taha Bouhafs laisse penser dans la suite de son récit qu’il s’est engagé en politique presque par hasard, en suivant les jeunes Grenoblois de La France insoumise sur les réseaux sociaux. En 2016, il participe à ses premières réunions avec eux. À le lire, il a alors tout à apprendre, jusqu’au nom de son futur mentor : « Souvent, ils parlent d’un certain Jean-Luc… Jean-Luc Mélenchon. Mon père a voté pour lui en 2012. »
Moins d’un an plus tard, pourtant, il est candidat du parti aux législatives de 2017, à 20 ans à peine. Un ami qui le fréquentait à l’époque livre quelques clés sur cette ascension éclair. « Taha était en décrochage scolaire, il avait du temps. Il a été de toutes les manifestations contre la loi travail du printemps 2016 à Grenoble. Les jeunes socialistes l’ont repéré en premier. Ils étaient encore en bons termes avec les mélenchonistes. Ils ont décidé de le coacher pour en faire leur candidat dans la 2e circonscription de l’Isère, contre l’avis des communistes locaux, qui lui ont d’ailleurs mené la vie dure. »
Taha est éliminé au premier tour, avec les honneurs : 12 % des voix. À un débat télévisé organisé à l’époque par TéléGrenoble, il fait preuve d’une assurance impressionnante, mais avec un discours qui n’est plus celui d’aujourd’hui. Si le racisme institutionnel revient comme une obsession dans Ceux qui ne sont rien, ce thème était quasiment absent de sa première campagne, axée sur les fondamentaux de la gauche sociale : emploi, logement, insertion. Sans communautarisme. Interrogé par le site d’information locale Place Gre’net en juin 2017, il pose en chemise blanche, avec en arrière-plan une croix en pierre.
Une ascension pas si spontanée
Dans la suite de son récit, Taha Bouhafs raconte ses premiers pas à Paris. Il admet sans détour le ratage de Tolbiac (pendant l’occupation de la faculté en mai 2018, il avait propagé sur les réseaux sociaux la rumeur d’une mort attribuée à la police). Il n’enjolive pas son rôle dans l’affaire Benalla. Il a filmé le collaborateur du président en train de maltraiter des manifestants place de la Contrescarpe le 1er mai 2018, mais sans le reconnaître. C’est en réalité Le Monde qui a fait éclater l’affaire. Tout juste oublie-t-il de préciser que d’autres que lui ont filmé la même scène.
Racontant un contrôle de police au faciès (forcément), il oublie encore une précision importante : le camarade qui l’accompagne ce jour-là, « David », est le fils de Daniel Guiraud, maire (PS) des Lilas de 2001 à 2020. On est loin du jeune de cité sans appui face aux forces de l’ordre. Pas un mot, non plus, sur son ami Mehdi Meklat. Les lecteurs de son autobiographie ne sauront pas que Taha Bouhafs était prêt à jouer le rôle d’un chroniqueur déchu pour cause de tweets homophobes et antisémites dans un film qui n’a jamais vu le jour.
Depuis des années, aux antipodes de l’image de l’outsider jailli des tours qu’il cultive avec soin, Taha Bouhafs côtoie des apparatchiks et des people. Depuis sa première législative, en 2017, il n’a jamais cessé d’être coaché par des professionnels. Ses appuis lui ont assuré un train de vie tout à fait correct depuis son recrutement au Média, la webtélé des Insoumis, en décembre 2019. Selon des sources internes, il est le deuxième salaire de la rédaction. Là-dessus non plus, pas un mot.
Divagations nantaises
Comme le disait Gustave Flaubert, « le difficile en littérature, c’est de savoir quoi ne pas dire ». Or c’est bien de littérature qu’il s’agit tant l’autobiographie de l’homme pressé de La France insoumise finit par s’éloigner des faits. Le récit de son déplacement à Nantes de juillet 2018, en particulier, n’a plus qu’un lointain rapport avec la réalité.
Un jeune homme du nom d’Aboubakar Fofana avait été tué par le tir d’un CRS, le 3 juillet. Le quartier du Breil, où il vivait, s’était embrasé. « Quand j’ai vu passer l’information sur Twitter, j’ai pris le premier train depuis Paris. Qu’est-ce qui m’a poussé à y aller ? Tous les articles livraient uniquement la version policière, raconte Taha Bouhafs. Les médias faisaient le travail de la préfecture de police », sans donner la parole aux habitants. Lui est allé à leur rencontre. Il a découvert Le Breil, « un quartier tranquille, où les familles se connaissent la plupart du temps », et il s’est fait accepter des habitants. « À force de traîner là, les gens comprennent que je suis des leurs… Ils m’apportent à manger et me proposent de dormir chez eux. »
La police les persécute. Taha les comprend. « Un soir, alors que la médiathèque prend feu, un jeune de mon âge m’explique : “On n’avait pas le choix, c’était le prix à payer pour que l’on parle de la mort de notre ami.” Il a malheureusement raison : s’il n’y avait pas eu ces feux de détresse, on n’aurait peut-être jamais entendu parler de sa mort et son histoire serait restée un encart macabre dans les pages “faits divers” d’Ouest-France. »
Tout ce qu’écrit Taha Bouhafs dans ce passage est trompeur, à commencer par la référence à la préfecture de police, spécificité francilienne inexistante en Loire-Atlantique. Dès le début, les médias nationaux ont largement couvert le fait divers, évoquant l’éventualité d’une bavure. Quant au Breil, à l’époque, ce n’était pas du tout un secteur tranquille. Quelques mois plus tôt, en octobre 2017, un collectif de mères avait manifesté contre une dégradation très préoccupante de la sécurité dans le quartier, théâtre d’une guerre des gangs s’affrontant avec des armes à feu. La médiathèque brûlée lors des émeutes, de surcroît, ne se trouvait pas au Breil, mais dans le secteur de Malakoff, distant de plus de 7 km. Si les incendiaires connaissaient Aboubakar Fofana, ils le considéraient sans doute comme le représentant d’un quartier rival.
Enfin, Taha Bouhafs n’était pas allé au Breil sur une brusque impulsion, ni seul, contrairement à ce que suggère son récit. Il s’était déplacé à Nantes avec Youcef Brakni, pilier du comité Vérité pour Adama. Les deux hommes agissaient dans le cadre d’une démarche systématique visant, selon les propres termes de Youcef Brakni, à « politiser » les décès de jeunes issus de l’immigration tués par la police. Sur le terrain, au Breil comme ailleurs, ils se sont heurtés à des réticences, comme le racontait à l’époque un petit média local, Radioparleur. Youcef Brakni s’en désolait : « Ils en viennent à se dire que, si on politise trop, ça va poser des problèmes. Notre travail est de les convaincre. » De voter Insoumis ?
Nous aurions aimé poser la question à Taha Bouhafs, mais il n’a pas souhaité s’exprimer. Impossible, donc, de savoir si le candidat aux législatives dans la 14e circonscription du Rhône cautionnerait d’éventuels incendies volontaires d’équipements publics, comme le fait le journaliste. Contacté, le député PS sortant de la circonscription, Yves Blein, nous a dit sans détour qu’il ne soutiendrait pas Taha Bouhafs si jamais lui-même ne briguait pas sa propre succession. La mairie PS de Nantes, en revanche, n’a pas commenté.
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