Le Danemark ressort « Borgen » du frigo après neuf ans d’absence

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Huit nouveaux épisodes de la série danoise seront disponibles le 2 juin sur Netflix. Un retour événement pour les fans de cette fiction politique au succès planétaire. Cette quatrième saison aborde les thèmes de l’ivresse du pouvoir et de l’exploitation des ressources dans le Grand Nord.

Menue, le visage illuminé par un grand sourire, elle s’avance dans le couloir de l’hôtel vêtue d’un large pantalon orange et d’un chemisier mauve, ses boucles châtains dansant sur ses épaules. C’est idiot, mais on a bien failli ne pas reconnaître Sidse Babett Knudsen. On s’attendait à voir apparaître Birgitte Nyborg, son personnage dans la série Borgen, une cheffe de gouvernement tirée à quatre épingles dans un tailleur sévère, les cheveux coiffés en catogan, le regard ­calculateur. Notre méprise l’amuse. L’actrice danoise a l’habitude. Venue donner une interview au siège du Monde, en 2012, sur son rôle dans la série, elle s’était retrouvée à faire la visite de la rédaction, « traitée comme si j’étais la première ministre du Danemark ».

Il y a des rôles qui définissent une carrière. Pour Sidse Babett Knudsen, 53 ans, celui de Birgitte Nyborg est de ceux-là. En l’espace de trente épisodes, entre 2010 et 2013, son personnage de mère de famille, leader d’un petit parti danois, devenue la femme la plus puissante du royaume scandinave, s’est imposé, contre toute attente, parmi les personnages cultes du petit écran. D’ailleurs, quand la chaîne danoise DR1 a annoncé, en pleine première vague de la pandémie de coronavirus, que la série Borgen allait revenir pour une quatrième saison, la nouvelle a provoqué un buzz planétaire.

Diffusés au Danemark depuis janvier, les huit épisodes de la nouvelle saison, intitulée Le Royaume, le pouvoir et la gloire, sont ­disponibles sur Netflix dans les pays nordiques depuis le 14 avril. Ils seront accessibles dans le reste du monde à partir du 2 juin. En attendant, M Le magazine du Monde a pu assister à la présentation presse pour les médias étrangers, début avril, au luxueux Hôtel d’Angleterre, en plein centre de Copenhague. Le planning est millimétré : quinze minutes avec chaque acteur et des sandwichs au saumon fumé dressés sur une grande table dans le hall, pour ­patienter en attendant son tour.

« C’était comme enfiler ma robe préférée »

Flanquée d’une attachée de presse de Netflix, Sidse Babett Knudsen reçoit les journalistes à la chaîne dans une salle de réunion. Sa photo a été collée sur la porte. Elle propose de faire l’interview en français : une langue qu’elle a apprise quand elle vivait à Paris entre 18 et 24 ans, à la fin des années 1980. Après Borgen, elle a partagé l’affiche avec Fabrice Luchini dans L’Hermine (2015), réalisé par Christian Vincent, et incarné le médecin Irène Frachon dans La Fille de Brest (2016), d’­Emmanuelle Bercot. On l’a aussi aperçue dans plusieurs grosses productions internationales, dont la série américaine Westworld.

A-t-elle tergiversé avant de ressusciter Birgitte Nyborg ? « Ah oui, j’ai hésité et hésité, répond-elle du tac au tac. Ça me semblait presque un sacrilège. J’étais tellement fière qu’on se permette, au Danemark, d’arrêter après trois saisons, contrairement aux séries américaines où tout le monde finit par mourir d’ennui. Donc, a priori, je ne voulais pas y ­toucher. » Mais l’idée fait son chemin : « Je me demandais ce qu’elle était devenue dix ans après… » Et puis… « Quoi que je fasse en France ou en Angleterre, on me parle toujours de Borgen. Je me suis donc dit que s’il y avait une bonne histoire, est-ce que je pouvais ­vraiment me permette de dire non ? »

Après six mois de réflexion et malgré une énorme trouille, elle accepte de reprendre le rôle. « C’était comme enfiler ma robe préférée », dit-elle, même si Birgitte Nyborg, la cinquantaine passée, ministre des affaires étrangères obsédée par son travail, n’est plus la même. Autour d’elle, le monde aussi a changé. « Dans les saisons précédentes, le conflit était entre sa carrière et son rôle de mère. Cette fois, il est plus intériorisé. Il se situe entre elle et ses idéaux. Pour moi, la mise en danger était plus grande, car je la vois comme une héroïne. »

L’ivresse du pouvoir

Plus sombre que les précédentes, la nouvelle saison de Borgen aborde la question de l’ivresse du pouvoir. Pendant l’écriture du ­scénario, Adam Price, le créateur de la série, a rencontré de nombreuses personnalités politiques danoises : « Ils m’en ont parlé comme d’un
poison à action lente qui tombe, goutte par goutte, dans votre café. Vous ne vous en rendez pas compte. Votre café a toujours le même goût. Un jour, vous vous réveillez et vous ne pouvez plus imaginer votre vie en dehors de ce cercle où les décisions sont prises : vous êtes devenu accro. »

Adam Price assure qu’il n’avait pas envisagé de faire renaître Borgen. « Et puis, il y a cinq ans, on m’a parlé de cette loi qui prévoit que si des ressources naturelles sont découvertes au Groenland [territoire autonome danois], le partage des revenus se fera avec le Danemark, lors de négociations. » Il imagine d’abord un thriller politique, puis se rend compte qu’il tient là une nouvelle saison de Borgen. Mais tourner au Groenland coûte cher. Trop pour la chaîne DR1. Il contacte alors Netflix, qui accepte de coproduire la série.

Au Danemark et dans les pays nordiques, les critiques ont fait l’éloge de cette nouvelle saison. Adam Price reconnaît qu’il y avait un risque : « Il y a douze ans, quand nous nous sommes lancés, DR1 nous a dit que notre série ne voyagerait probablement pas, ce qui a été très libérateur : nous avons fait en sorte de produire le meilleur show politique pour un public danois. » Pour lui, c’est sans doute ce qui a plu à l’étranger : en s’attachant à rester « authentique », la série a touché « à l’universel » et séduit les téléspectateurs de plus de 80 pays.

Dans la foulée, Adam Price a créé sa société, SAM Productions avec Søren Sveistrup, scénariste de The Killing (Forbrydelsen) – le premier gros succès international de DR1, en 2007 – et Meta Louise Foldager Sørensen, la productrice de Lars von Trier. « Parce que les gens connaissaient nos noms et répondaient au téléphone quand nous appelions, nous avons pu produire des fictions internationales », raconte le showrunneur.

Une carte de visite pour les acteurs danois

Borgen a aussi changé la vie des acteurs danois, tout d’un coup convoités par les réalisateurs et producteurs du monde entier : « Avant, Nikolaj Coster-Waldau et Mads Mikkelsen étaient les seuls, ou presque, qui jouaient à l’étranger », constate l’actrice Birgitte Hjort Sørensen (la journaliste Katrine Fønsmark à l’écran). « On nous disait qu’il fallait qu’on se débarrasse de notre accent et qu’on devienne aussi américains que possible si on voulait avoir une chance de faire carrière à l’étranger, parce que les gens n’aimaient pas les sous-titres. C’est le contraire aujourd’hui. Lors de la soirée de lancement de Vinyl [série américaine où elle interprète un des rôles principaux], un des grands patrons de HBO est venu me dire qu’il adorait Borgen. »

Chemise lavallière vert bouteille, pantalon et stilettos roses, boucles dorées, Birgitte Hjort Sørensen assure qu’elle n’a pas hésité à reprendre le rôle de l’ambitieuse journaliste : « Quand j’ai lu le script, c’était comme si je retrouvais une vieille copine sur Facebook. » Pour les fans, mauvaise nouvelle : son ex-compagnon, l’impitoyable spin doctor Kasper Juul, ne reviendra pas. Après avoir décroché le rôle d’Euron Greyjoy, le tueur de dragons dans Game of Thrones, l’acteur Pilou Asbæk a enchaîné les projets à l’étranger.

Nouveau venu dans le casting, le brillant Mikkel Boe Følsgaard, Ours d’argent du meilleur acteur en 2012 pour son rôle dans Royal Affair, interprète l’ambassadeur du Danemark au Groenland. Il y a douze ans, il était encore à l’Ecole nationale de théâtre de Copenhague : « On étudiait Borgen et le jeu de Sidse Babett Knudsen. » Alors, forcément, ça lui a fait tout drôle au premier jour de tournage : « Je suis entré dans son bureau au ministère des affaires étrangères. Et là, je me suis dit : “P… n, c’est Birgitte Nyborg, je suis assis en face de Birgitte Nyborg !” C’était surréaliste. »